45. Le réveil de la tentation
Eliaz
Je regarde la pâte à crêpes qui est en train de se boursoufler dans la poêle et me dis que je suis vraiment prêt à faire tout et n’importe quoi, juste pour qu’Adèle me prête un peu d’attention. Quelle idée de me lever si tôt juste pour qu’elle ait des crêpes pour son son petit déjeuner ! Mais, chose promise, chose due et donc, je m’exécute. Lorsque j’ai terminé ma préparation, je me dis qu’il faudrait que j’aille vérifier qu’elle est bien réveillée et je monte pour aller frapper à sa porte. N’entendant aucune réponse, je me permets d’ouvrir sa porte et de l’appeler doucement.
— Adèle ? Tu dors ? Si tu veux voir le lever de soleil, il faudrait penser à te lever…
J’avoue, je fais le curieux et j’essaie de la distinguer dans la pénombre à peine rendue plus claire par la lumière du couloir. Je ne vois qu’une masse de couvertures qui finit par bouger avant de me répondre.
— Répondeur d’Adèle, marmonne-t-elle, pas disponible pour le moment… Ce matelas est beaucoup trop confortable pour que je veuille le quitter, pitié.
— C’est comme tu veux, Adèle, dis-je doucement, mais si tu veux voir le lever du soleil depuis la mer, il faudrait que tu descendes. J’ai fait des crêpes et il y a de la pâte à tartiner au chocolat !
— Hum… Tu peux m’expliquer pourquoi cet enfoiré de soleil se lève si tôt ? Et je déteste que tu fasses le réveil, soupire-t-elle en allumant la lampe de chevet sans bouger. Pas comme ça, trop déprimant, même si tu parles de crêpes et de chocolat.
Wow. Qu”elle est belle, même au réveil. Cela me rappelle trop cette nuit que nous avons passée ensemble et où je l’ai réveillée en la couvrant de baisers. Je crois d’ailleurs que, vu que ses épaules sont nues, elle ne doit pas porter grand-chose dans son lit, malgré la fraîcheur relative de la maison. J’ai bien fait de lui rajouter une grosse couette bien chaude hier soir.
— Si tu veux, je vais écrire un message à la Nature pour lui demander des explications. En attendant, si tu préfères, on peut passer la journée ici.
— Tu peux pas ramener le lit sur le bateau ? Ouais, ça ce serait carrément le pied… Je ne bouge pas de là et hop, on se téléporte en pleine mer, pouffe-t-elle avant d’enfouir son visage dans l’oreiller.
Je la regarde un moment et me demande ce que je dois faire. Si on tarde trop, on ne verra pas ce moment magique qu’est l’aurore depuis le pont du bateau. Mais je ne vais pas non plus la forcer à bouger, je ne suis pas son père.
— Si tu ne bouges pas, je vais être obligé d’employer la manière forte, dis-je en ouvrant plus la porte.
— Oh, vraiment ? Je suis curieuse de voir ce que tu entends par là, mon Lapin ! N’oublie pas que je ne suis pas du matin…
Elle reste le visage collé contre son oreiller et ne bouge absolument pas. J’ai vraiment envie de lui montrer le beau spectacle depuis le matin et elle m’a provoqué en me disant qu’elle était curieuse, non ? En tout cas, je prends ça comme une invitation et entre dans la chambre. Je pose mes mains sur ses épaules et, au lieu de la chatouiller comme je comptais le faire initialement, je me contente de lui masser le dos qui est effectivement nu sous les draps.
— Finalement, la manière forte ne me fait plus envie, dis-je en m’asseyant à ses côtés. Vraiment, si tu préfères que je te laisse dormir, dis-le moi.
— Tu ne me donnes pas vraiment envie de bouger, là, tu t’en rends compte ? rit-elle, toujours immobile.
Je continue mon petit massage jusqu’au bas de son dos avant de remonter lentement le long de ses côtes. Je frôle ses seins nus et termine mon ascension par un petit bisou dans son cou.
— Peut-être qu’on peut passer la matinée à autre chose qu’à faire du bateau, si tu préfères.
— Ce ne serait sans doute pas une très bonne idée, murmure Adèle en se retournant finalement, tirant la couette jusque sous son menton. Et puis, il paraît que le spectacle est superbe…
— Je confirme que le spectacle est superbe…Tu as l’air réveillée, je t’attends en bas ?
— Tu aurais pu me ramener le petit déj au lit, quand même ! L’accueil est limite en Bretagne, me taquine-t-elle.
— J’arrive ! dis-je en bondissant du lit, en ne lui laissant pas le temps de répondre.
Je file à la cuisine, pose les crêpes et le café sur un plateau, je fais attention à ne pas oublier le chocolat et remonte aussi vite que je le peux. Je frappe à nouveau à sa porte.
— Madame, votre petit déjeuner est prêt. Je peux vous l’amener ? indiqué-je, un peu haletant.
— Oh merde, Eliaz, sérieusement ? Je plaisantais ! Enfin… je ne dis pas non, hein, mais tu mets le paquet, là. Entre.
— Eh bien, tu es mon invitée d’honneur, ce weekend, commencé-je à dire en poussant la porte avant de me stopper net.
Adèle s’est levée et s’est adossée au mur, sa magnifique poitrine offerte à ma vue.
— Et en plus, je dois dire que je ne regrette pas du tout ! ajouté-je en déposant le plateau sur ses genoux.
— Obsédé, sourit-elle en tirant un peu la couette. Merci pour le petit déjeuner, tu es bien trop attentionné.
J’hésite à la laisser ou à rester et je fais tout pour ne pas donner l’impression que je la mate, même si c’est ce que je suis en train de faire.
— Difficile de ne pas l’être, j’avoue. Tu es toujours aussi belle. Je vais t’attendre en bas. Bon appétit.
— Merci… Promis, mon cerveau s’éveille avec l’odeur du café, je me dépêche.
Je descends presque à regrets de ne pas avoir su saisir ma chance et soupire en voyant mon père déjà prêt à partir.
— Il va falloir patienter un peu, Madame est en train de se préparer, expliqué-je alors qu’il ne me répond que par un haussement d’épaules et un sourire.
Lorsqu’Adèle descend, juste quinze minutes plus tard, je reste un instant bouche bée tellement elle est superbe quand elle apparaît en bas des escaliers, et je reprends rapidement contenance devant son sourire moqueur. Sa tenue pour aller en mer est exquise : elle a revêtu un pull marin avec des rayures blanches et bleues, assez moulant, et des leggings bleus clairs qui se marient incroyablement bien avec la petite jupe noire qui ne sert que d’agrément.
— Rentre la langue et ferme la bouche, tu baves, mon Lapin, se moque-t-elle en déposant le plateau du petit déjeuner dans la cuisine.
— Désolé, j’espère juste que mon père ne va pas te sauter dessus, parviens-je à dire sans détourner mes yeux d’elle. Tu es prête ? Il est déjà parti pour préparer le bateau afin de ne pas perdre de temps.
— Oui, oui, j’enfile mon manteau et je te suis. On va y être à temps ?
— Je pense, oui. Tu as été efficace, une fois ton café servi. Bravo !
J’enfile mon manteau et tends à Adèle une écharpe et un bonnet qui appartiennent à ma sœur. Il va faire très frais ce matin et j’ai peur qu’elle attrape froid. Nous filons sur le petit chemin qui descend au port, équipés de lampes torches qui nous éclairent.
— C’est une aventure, n’est-ce pas ? lui demandé-je alors que nous arrivons devant le bateau de mon père.
— Ça va devenir une aventure une fois sur le bateau. Pour l’instant, mon cerveau trouve que c’est un cauchemar de ne pas profiter de la nuit pour dormir, tu sais ? plaisante-t-elle.
— Je te promets que tu n’as jamais rien vu d’aussi beau. Suis-moi.
Je saute sur le bateau et lui tends la main pour qu’elle puisse me rejoindre. Elle s’élance à son tour pour franchir le petit espace entre le quai et l’embarcation et se retrouve dans mes bras. J’avoue que j’en profite un peu trop, mais elle s’écarte, visiblement toujours décidée à éviter que je ne la colle trop. Je retiens un soupir et lui indique de me suivre à l’avant du bateau.
— Reste là, je vais aider mon père à la manœuvre et ensuite je te rejoins.
— A vos ordres, Capitaine ! Ou… moussaillon ? C’est ton père, le capitaine, rit-elle.
— Tant que tu m’obéis, tu peux m’appeler comme tu veux, rigolé-je avant de la laisser s’installer sur le petit banc à l’avant du navire.
Je largue les amarres et guide mon père pour sortir du port malgré l’obscurité qui, même si elle commence à s’estomper, reste assez importante pour qu’il ne puisse pas voir si une petite embarcation croise notre chemin. Nous nous éloignons lentement du port et je vais prendre place à côté d’Adèle qui a l’air de frissonner malgré les couches de vêtements.
— Tu as froid ? Si tu veux, tu peux te rapprocher de moi, dis-je en levant un bras pour lui faire de la place.
— Tu joues aussi le rôle de radiateur ? sourit-elle en se glissant sous mon bras.
— Pour toi, je suis prêt à jouer tous les rôles.
Je referme mon bras sur elle et la serre contre moi alors que le bateau continue de gagner le large.
— Tu vois la côte, là-bas ? Le soleil va apparaître à l’horizon pas loin derrière. On voit déjà que le ciel est plus clair. C’est là-bas que le miracle va avoir lieu et que tu vas comprendre que c’était bien de se lever tôt.
— “Bien” et “se lever tôt” dans la même phrase ? T’es un malade, Kerouaec, je t’assure !
— Et moi, je t’assure que tu vas changer d’avis. Admire, il n’y a rien de plus beau au monde.
Je caresse son bras et espère que je ne me trompe pas. Pour moi, ce spectacle est le plus féérique du monde, mais peut-être qu’elle va juste trouver ça normal, sans plus. J’ai du mal à rester concentré sur l’astre solaire pour une fois, tellement la proximité du corps d’Adèle me chamboule. J’ai une folle envie d’elle et je crois que même la beauté de la Nature ne peut pas me détourner de la vision qu’elle m’offre. J’observe son attention portée sur l’horizon, elle est concentrée et je ne suis même pas sûr qu’elle se souvienne que je suis à ses côtés. Un premier rayon apparaît et le ciel se teinte de diverses couleurs orangées et rouges. Avec le froid, il y a très peu de nuages et rapidement, le reste du soleil se montre. L’éclat est encore limité mais déjà, on peut admirer les reflets de ses rayons dans le bleu de la mer. Adèle a l’air complètement sous le charme, ses magnifiques yeux gris tentent de tout enregistrer, de tout regarder.
— Bienvenue au Paradis, soufflé-je enfin en continuant à observer ses réactions.
— Ce serait un vrai Paradis s’il n’était pas si tôt, mais c’est… wow, c’est superbe. J’ai pas les mots, et c’est pas rien quand on me connaît !
— Je confirme, ce n’est pas habituel. Je suis content que ça te plaise, j’avais peur que tu sois déçue, continué-je en détournant enfin mon regard d’elle pour apprécier le spectacle.
— Quand je pars en vacances, je passe mon temps à chercher des spots magnifiques pour observer le coucher du soleil, mais j’ai trop de mal à me lever pour accompagner le soleil à l’aube. Aucun risque d’être déçue avec un paysage pareil.
— Je suis d’accord. Quand on est ici, au milieu de la mer, c’est comme si nous n’étions plus sur Terre. Rien ne peut nous empêcher d’être heureux, ici.
J’ai une folle envie de l’embrasser mais je me retiens. Je me contente de la serrer tout contre moi et me dis que si je veux la convaincre de me redonner une chance, des moments comme celui-ci sont essentiels mais pas suffisants. Tant qu’il n’y aura pas cette étincelle chez elle, je suis voué à me battre dans le vide. Alors, en attendant, il faut profiter et ne pas se poser de question. L’avenir arrivera bien assez vite.
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