46. Touche pas à mon mec

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Adèle

Je suis docilement les Kerouaec sur le chemin qui remonte en direction de la maison familiale après une balade qui s’est éternisée en pleine mer. Oh, je ne m’en plains pas, même si j’avoue être frigorifiée. Eliaz est un radiateur plutôt efficace, mais il n’a pas pu lutter contre le vent qui s’est infiltré sous ma peau. Je rêve d’une longue douche chaude pour faire remonter ma température corporelle, à défaut de pouvoir le faire autrement… Oui, difficile de ne pas avoir des pensées déplacées quand tu passes une partie de la journée dans les bras d’un beau marin. Même le manque de caféine n’a pas été trop pesant alors que je suis une vraie droguée.

Je pourrais rouler une pelle au père d’Eliaz quand il se dirige directement vers la cheminée pour faire une flambée, à peine entré. Et faire de même avec son fils qui, une fois débarrassé de son gros manteau, s’affaire en cuisine pour préparer du café et du chocolat chaud.

Je finis emmitouflée dans une couverture, installée sur le canapé, une tasse de café à la main, alors que mon collègue s’installe à côté de moi avec son chocolat chaud. Il me lance un regard faussement outré en lorgnant sur ma tasse, et le sourire qui naissait sur mon visage se crispe quand il tire mes jambes repliées pour poser mes pieds sur ses cuisses. Une partie de moi essaie de réagir pour éviter tout malentendu, mais quand il recouvre ma plante de pied de sa paume chaude, toute envie de rébellion me quitte.

— Je sais que je peux être un peu frileuse, mais sérieusement, comment vous faites pour ne pas grelotter, là ? ris-je en observant tour à tour le père et le fils. J’ai l’impression d’avoir fini la balade sur le Titanic le soir de son baiser avec l’iceberg !

— Eh bien, on a le sang chaud en Bretagne. Je suis content qu'on ait évité les icebergs !

— Oui, moi aussi ! Bravo, Capitaine. C’est fou comme tu ressembles à ton père, Eliaz, c’est comme si tu avais tout pris de lui alors que moi je suis un mélange bizarre de mes deux parents, Marie-Jeanne en moins.

— Le mélange est ravissant, murmure-t-il en remontant sa main sur mes chevilles.

J’ai les joues qui chauffent. Oui, moi, je rougis et détourne le regard. Merde, stop Adèle ! Ça doit être le café, ça me réchauffe, voilà, c’est ça. On y croit, encore une fois…

— En tout cas, ça valait le coup de se lever, ce matin, mais si tu me réveilles aussi tôt demain, je te jure que je te fais la peau.

— Non, demain, promis, je te laisse dormir. Surtout qu'on risque de rentrer tard ce soir. Tu vas m'épuiser, je pense, rit-il.

— T’épuiser ? Tu déconnes, c’est toi qui me réveilles alors que le soleil dort encore, hé ! Et puis, faire la fête le soir, c’est cool, non ? J’ai hâte de te voir danser, moi !

— Moi aussi, j'ai hâte de te voir te trémousser sur la piste. Tu vas rendre fous de désir tous les Bretons qui seront présents ! Moi compris…

Je me retiens de lui répondre pour éviter de sortir une connerie et jette un œil à son père, occupé à lire le journal, installé dans son fauteuil. Eliaz ne se montre pas plus gêné que ça de tenter sa chance alors que son paternel est à portée de voix. Et moi ? J’avoue que je suis moins à l’aise que je pourrais l’être, surtout quand je prends conscience de ma position. Alors je me redresse et termine rapidement mon café.

— Je vais aller prendre une douche et me préparer pour la soirée. Je dois la jouer fille sage ou pas ?

— Tu en es capable ? Tu fais comme tu veux, mais moi, j'aime bien quand tu es toi-même.

Hum… Je ne sais pas si ça a toujours été vrai, mais quelque chose me dit qu’Eliaz s’est fait à l’idée que j’étais un peu loufoque, vraiment pas comme lui. Est-ce que ça me fait plaisir ? C’est possible, oui. De toute façon, il faut faire avec, je n’ai pas l’intention de changer, même pour un mec. Oui, j’ai ce genre de pensées…

Je file me doucher rapidement et enfile ma robe pin up préférée rouge à pois blancs par-dessus des collants épais noirs. Je suis bien contente d’avoir prévu des bottines à talons épais, mais surtout un petit gilet noir, court mais bien chaud. Je me maquille devant le miroir de l’armoire, dessine mes traits d’eye liner et mes lèvres en rouge, ébouriffe un peu mes cheveux avant de redescendre.

Je découvre au salon Loïk ainsi qu’une jolie petite brune aux cheveux aussi courts que moi mais aux boucles naturelles. Elle est toute menue, et c’est encore plus visible alors qu’elle se tient tout près du père d’Eliaz. La voisine… Vu ce que je viens de surprendre, je crois que le paternel se tape la petite voisine qui doit avoir au moins vingt ans de moins que lui. La féministe en moi a envie de bougonner, mais j’avoue que j’adore le décalage total entre eux deux ! Lui, grand, baraqué, silencieux et à la mine toujours plus ou moins renfrognée, qui fricote avec elle, toute petite, au sourire apparemment facile, et qui m’assaille à la seconde où elle me voit.

— Salut ! Moi c’est Nina. Tu dois être Adèle ! Je suis ravie de te rencontrer. J’adore ta robe ! Et mon Dieu, comment tu réussis à te maquiller comme ça ?

Je ris alors qu’elle me fait la bise et vole déjà dans mon dos pour en faire de même avec Eliaz qui, lui, semble un peu moins à l’aise avec l’idée de la côtoyer à cet instant.

— Bonjour Nina. Tu sembles prête pour la fête. Je crois que tout le monde va être jaloux des Kerouaec, ajoute-t-il en me jetant un regard plein de désir.

Je lève les yeux au ciel avec un sourire en coin et enfile le manteau qu’il me tend après avoir mis le sien, après quoi nous montons tous les quatre en voiture pour descendre au village. Nous ne sommes pas encore garés que la musique dans la salle des fêtes se fait entendre, alors que des gens dansent déjà sur le trottoir.

La salle est chauffée, bien remplie, et la bonne humeur est de rigueur. L’ambiance semble agréable alors qu’un groupe danse au centre une chorégraphie typiquement bretonne. Eliaz attrape ma main et m’entraîne au bar, où nous commandons deux verres de Chouchen. Nous suivons tous les deux des yeux son père et sa cavalière qui s’intègrent au groupe de danseurs sans hésitation.

— C’est beaucoup moins guindé qu’à Paris, j’adore !

— C’est vrai, ça te plait ? Je ne savais pas si tu n’allais pas trouver ça trop ringard. On est loin d’une soirée chic en boîte dans la capitale, en effet.

— Je ne suis pas une parisienne, moi, ris-je. Petite, ma grand-mère m’embarquait dans des bals dans son village, le dimanche après-midi. Il n’y avait que des petits vieux ou presque et je passais mon temps à danser avec eux. Le pire ? Même à quinze ans, j’adorais ça !

— Et le Chouchen, tu aimes bien ? N’en bois pas trop, ça fait tourner la tête. Et c’est quand tu veux pour aller danser, parce qu’ici, jeunes et vieux, tout le monde participe !

— C’est délicieux et ça se boit comme du petit lait, un peu risqué effectivement ! En ce qui concerne la danse… j’ai bien peur de ne pas suivre les pas, je n’y connais rien en danses bretonnes !

— Tu n’auras qu’à me suivre, alors, c’est vraiment très simple. L’idée, c’est juste de passer un bon moment, de toute façon. Tu viens ?

J’acquiesce et attrape la main qu’il me tend après avoir déposé nos manteaux sur l’une des chaises alignées contre le mur, mais il se stoppe presque brutalement au point que je me cogne contre son dos plutôt massif. L’espace d’un instant, des souvenirs de notre nuit se rappellent à moi. Oui, rien qu’en ayant le nez et une main contre son dos… Je vire folle.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Marie… dit-il seulement tout bas.

Oh… Piquée par la curiosité, j’essaie de regarder dans la même direction que lui en tentant de ne pas me sentir vexée lorsque sa main lâche la mienne. J’ai l’impression qu’Eliaz pâlit lorsque la blonde qui avance dans notre direction est visible des pieds à la tête, révélant un petit ventre rebondi sous une robe noire un peu guindée. Elle se plante rapidement devant mon journaliste et lui claque deux bises en se mettant sur la pointe des pieds, avant de se tourner légèrement en direction du mec qui se poste à ses côtés, un canon blond comme les blés, qui semble tout droit sorti d’un club de surf vu son physique, mais dont les manières me font hésiter avec un club de golf pour bourges.

— Bonsoir, Eliaz, je suis contente de te voir… Tu n’as pas changé d’un poil ou presque.

— Bonsoir, je ne pensais pas te voir ce soir, répond-il, visiblement sous le choc de cette rencontre.

— Tout le monde n’est pas parti vivre à la Capitale en quittant sa famille, tu sais ? C’est plutôt ta présence qui est étonnante.

— Je suis là pour le weekend. Félicitations, on dirait. Toi qui ne voulais pas d’enfant…

— Trouver l’homme de ma vie m’a fait changer d’avis, il faut croire. Gaël est juste parfait, avec lui j’ai pu envisager un avenir sur le long terme, heureux et serein.

Je déteste sa façon de parler à Eliaz et je commence à comprendre pourquoi mon Breton peut se montrer si peu sûr de lui en écoutant son ex. Ça me permet de ne pas trop me vexer d’être totalement exclue de cet échange, même si j’ai fortement envie de m’incruster… et de le défendre. Pas parce qu’il est en position de faiblesse, encore troublé par sa rencontre, mais parce qu’il ne mérite pas tout ce qu’elle sous-entend avec classe, cette connasse.

Oups, je suis énervée…

— Oh, je viens de comprendre, souris-je en me glissant sous le bras d’Eliaz pour enlacer sa taille. C’est ton ex, c’est ça, mon Coeur ? Je suis Adèle.

— Tu n’es pas venu seul ? lui demande-t-elle, surprise. Je croyais que tu avais dit que personne ne me remplacerait ? Elles sont belles, tes promesses… Enchantée, moi, c’est Marie. Et bon courage avec lui, hein ?

J’attends quelques secondes qu’Eliaz rétorque, mais il semble avoir perdu l’usage de la parole. Dieu merci, il ne me ridiculise pas totalement en me repoussant, c’est déjà ça. Et si lui perd ses mots, moi je perds ma patience face à cette nana qui cherche clairement à avoir ou retrouver l’ascendant sur mon Breton.

— Te remplacer ? ris-je. Je ne suis pas une roue de secours, ma Jolie. Et les promesses sont caduques quand l’une des parties jette l’autre. Enfin, je devrais te remercier, à bien y réfléchir, c’est moi qui profite de la marchandise et qui suis sur un petit nuage. Pas besoin de courage, si ce n’est pour réussir à sortir de la maison quand on a un tel spécimen au lit !

J’appuie mes propos d’un léger baiser au coin des lèvres à Eliaz qui commence à me faire flipper à rester à moitié inerte, mais il finit par plonger ses beaux yeux dans les miens en me lançant un petit sourire qui envoie valdinguer mon petit coeur qui devient tout mou en sa présence. Mais qui se serre aussi lorsque je me demande s’il est toujours amoureux de cette Marie qui ne m’inspire pas du tout confiance.

— Je te rappelle, Marie, que c’est toi qui as brisé notre promesse, toi qui t’es fourvoyée en me quittant. Et franchement, je ne suis pas mécontent du changement, ajoute-t-il en m’enlaçant. L’important, c’est que nous soyons tous les deux heureux, désormais, non ?

Il se penche alors sur moi et profite de l’occasion pour poser ses lèvres sur les miennes, ses yeux perçants dirigés vers les miens. Le coquin ne gâche pas cette opportunité et j’avoue que j’y trouve un réel plaisir, d’autant plus quand j’aperçois du coin de l'œil la colère de l’ex de mon collègue.

— Bien, si ça ne vous dérange pas, nous allons vous laisser. Ce fut un réel plaisir de vous rencontrer, tous les deux, mais j’ai promis une danse à Eliaz et j’ai vraiment hâte de rentrer pour profiter de la nuit, continué-je sur le ton de la confidence, le sourire aux lèvres. Félicitations pour le mariage et le bébé. Nous ne manquerons pas de vous envoyer une invitation quand nous célébrerons nos noces !

Je glisse ma main dans celle d’Eliaz qui semble soufflé par ce que je viens de dire et l’entraîne plus loin avant de grimacer comme rarement.

— T’es vraiment sorti avec cette fille, sérieusement ? Elle a l’air tellement… condescendante, hautaine, chiante à mourir et… désolée, hein, mais t’as eu des goûts de chiotte en matière de filles, mon Lapin !

— Disons qu’elle m’a sauté dessus et que je me suis laissé faire. Flatté sûrement de l’attention de la fille la plus sexy de la classe. Mais avec elle, jamais il n’a été question de mariage. Le nôtre, c’est pour quand ?

— Oulah, c’est pas demain la veille, mon Coeur, je suis féministe, je te rappelle ! Alors les vieilles traditions pour appartenir à un mâle, c’est pas trop mon trip. Je préfère autant aller manifester les seins à l’air, souris-je.

— Eh bien, ça, ça attendra la fin du fest noz. Ici, je te rappelle, nous sommes en terre catholique et conservatrice ! Mais je te laisserai protester tout ce que tu veux à la maison, promis !

— Quel pervers profiteur, m’esclaffé-je. Est-ce que… est-ce que ça va ? Je veux dire, tu avais l’air plutôt chamboulé par cette rencontre.

— Je ne m’attendais pas à la voir. J’ai eu l’impression de repartir quinze ans en arrière, alors que j’étais un ado tout timide. C’était… très perturbant, mais j’ai été sauvé par une femme extraordinaire qui trouve que je suis un bon coup au lit, rit-il.

— C’était sincère, ris-je. Allez, fais-moi danser, maintenant, je veux lever le petit doigt avec toi !

Je plante un baiser sur sa joue et me laisse embarquer sur la piste sans rechigner. Je crois surtout qu’intérieurement, j’ai voulu marquer mon territoire comme un vulgaire clébard et faire comprendre à Miss blondinette que c’était chasse gardée… Et ça, ce n’est pas du tout mon genre, et ça ne colle absolument pas avec ma décision de ne pas remettre le couvert avec Eliaz. Autant dire que je dois perdre la tête, non ?

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