47. Entre deux bretons

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Eliaz

Cette soirée qui avait mal commencé est en train de me faire changer d’avis sur les fêtes que je trouvais jusqu’à présent très peu intéressantes. Il faut dire que c’est la première fois que je la passe en si charmante compagnie. Adèle ne me laisse plus l’embrasser, mais pour tout le reste, on pourrait vraiment croire qu’on est en couple. Son petit doigt ne quitte littéralement pas le mien et j’avoue que les regards qu’elle m’envoie sont difficiles à expliciter. Ses magnifiques yeux gris semblent parfois plein de désirs, parfois troublés, à d’autres moments plus distants. Je ne sais pas à quoi m’en tenir mais profite de la soirée comme si j’avais vraiment réussi à séduire la plus belle femme du village.

Lorsque la musique s’arrête, tous les participants qui sont encore là applaudissent les musiciens et je me joins avec enthousiasme à eux, conscient qu’ils ont participé à leur manière à cette belle soirée que j’ai passée avec Adèle. Marie sort devant nous avec son mari, non sans jeter un regard que je qualifierais de jaloux vers ma collègue qui s’en amuse et me fait un petit bisou sur ma joue barbue. J’aurais aimé plus, mais c’est déjà tellement bien, tout ça. Il faudrait que je réussisse à lui faire jouer le rôle de la petite amie plus souvent.

Nous reprenons la voiture et rentrons à la maison, et j’avoue que je ne suis qu’à moitié surpris de voir mon père nous laisser terminer le chemin, seuls, alors que Nina glousse déjà en l’entraînant à sa suite. En voilà deux qui vont conclure ces festivités de la meilleure des façons. Je suis un peu jaloux de lui mais je me dis que ça me laisse le champ libre pour tenter quelque chose à nouveau avec Adèle.

— Tu es fatiguée ou tu serais tentée par un petit tour sur la plage ? Avec cette lune, on voit presque comme en plein jour.

— Va pour la plage, mais jure-moi de ne pas me réveiller à sept heures demain !

— Non, j’espère bien être encore endormi moi aussi à sept heures demain.

Je ne précise pas que j’adorerais que ce soit entre ses bras, ne voulant pas l'embarrasser avec mes envies, mais j’y pense fortement.

— Bien… pour info, je n’accepterai aucun réveil avant neuf heures, mon Lapin, et encore, je suis gentille, rit-elle en passant son bras sous le mien.

J’adore quand elle se montre tactile comme ça et qu’elle m’appelle “Mon Lapin”. Cela renforce tellement cette impression un peu folle que nous sommes un vrai couple. Je lui montre la voie et fais exprès de me coller à elle tout le long du chemin qui descend jusqu’au bord de la mer. Le spectacle est féérique malgré le froid de cette nuit sombre. On voit bien toutes les étoiles, les reflets de la lune dans les vagues dont le bruit est à la fois apaisant et pousse à s’émerveiller.

— C’est beau, n’est-ce pas ?

— Ça l’est, oui. C’est même plus que ça, ton adjectif est très réducteur pour un journaliste !

— Disons que tout l’esprit du journaliste est distrait par la jolie femme qui est à son bras. Il semblerait que toute son énergie soit prise à résister à l’envie qu’il a de la serrer contre lui et à l’embrasser tellement il la trouve superbe et séduisante.

— Sors de la brume, Beau Gosse, et concentre-toi un peu sur la beauté du paysage. C’est magique d’être en pleine nature au beau milieu de la nuit.

Je prends cette phrase pour une invitation à oser plus et me penche vers elle pour l’embrasser. Immédiatement, elle répond à mon baiser, ses lèvres s’entrouvrent et m’invitent à y glisser ma langue qui retrouve la sienne avec plaisir. Je pense avoir réussi à faire tomber ses barrières, mais tout à coup, je suis surpris quand elle s’écarte et me repousse avec douceur.

— Je suis trop sorti de la brume ? soupiré-je, résigné.
— Eliaz… On ne peut pas, je te l’ai déjà dit. Je… je voulais que ton ex comprenne que tu n’es plus sous sa coupe, on n’est pas ensemble, c’est… On bosse ensemble, il faut se cantonner à ça.

— Mais c’était pourtant agréable, non ? Je… j’avais l’impression que ça ne te déplaisait pas…

— J’ai pas dit que c’était déplaisant, loin de là. Mais c’est comme ça et pas autrement, soupire-t-elle.

— Ça veut dire quoi, c’est comme ça et pas autrement ? Je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas me donner une deuxième chance. Je suis sûr que tu pourrais être agréablement surprise si c’était le cas.

— C’est pas une question de chance, Eliaz. On bosse ensemble, y intégrer du sexe, c’est compliquer les choses. Et je te l’ai déjà dit, tu mérites mieux que des parties de jambes en l’air.

Je soupire car je n’arrive à rien avec elle malgré la connexion que je ressens au fond de moi. Une nouvelle fois, comme avec Marie, j’ai dû me tromper et ce n’est pas la femme de ma vie.

— Tu as déjà quelqu’un dans ta vie, en fait, c’est ça ?

— Quoi ? Mais… je… peut-être, oui. Je ne sais pas, c’est… compliqué. Il y a ce gars avec qui je discute sur le dernier site de rencontre. Le feeling est bon, et pour une fois j’ai vraiment envie de le rencontrer… Désolée.

Elle rigole ? Elle est en train de me rejeter pour cet autre moi que j’ai créé de toute pièce ? Mais, que puis-je répondre à ça ? Putain, je suis con quand même. Et quand elle va se rendre compte que c’est moi aussi, je vais avoir le droit au même refrain du “no zob in job.”

— Mais tu ne le connais même pas ! Comment tu peux savoir qu’il fera l’affaire ? Et qu’il sera d’accord pour te rencontrer ?

— Et pourquoi pas ? On discute quotidiennement depuis quasi deux semaines, il aurait déjà mis un stop si je ne l’intéressais pas, non ? Je… je veux voir ce que ça donne, c’est tout, soupire-t-elle.

— Et avec moi, tu ne veux pas voir du tout ce que ça pourrait donner alors ? C’est… dommage…

— Je te l’ai dit, on bosse ensemble. On ne peut pas prendre le risque de compliquer les choses, surtout qu’on passe notre temps à se piocher le nez au boulot.

— Tu as sûrement raison, soupiré-je. On rentre ? J’ai un peu froid.

Elle acquiesce alors que je suis en train de me dire qu’elle va sûrement se faire ghoster par son Monsieur 88% qui la détourne ainsi du réel moi. Mais bon, je ne suis même pas sûr que cela la pousserait dans mes bras. Franchement, c’est difficile à admettre qu’elle préfère un inconnu à mes charmes, tout ça parce que je suis son collègue.

En rentrant à la maison, nous nous arrêtons un instant devant le feu que je ranime un peu pour profiter de sa chaleur.

— Merci d’avoir pris ma défense tout à l’heure face à Marie. Même si ce n’était qu’un doux rêve, j’ai bien aimé. Et puis, c’était agréable de lui rabattre un peu son caquet.

— Elle le méritait. Tu es bien mieux sans elle, à mon avis.

— Oui, ça, j’en suis sûr désormais. Bonne nuit, Adèle. Et demain, dors aussi longtemps que tu le souhaites, promis, je ne t’embêterai pas de bon matin.

— Je mettrai mon réveil pas trop tard quand même, histoire de profiter. Bonne nuit, Eliaz… A demain.

Je la regarde partir, l’écoute se préparer dans la salle de bain avant de retourner dans sa chambre. L’avantage de cette maison, c’est qu’on sait exactement où les gens sont sans même avoir besoin de les espionner. Je m’installe dans le fauteuil près du feu et regarde mon téléphone où bien entendu, un message ne tarde pas à arriver.

Salut, Monsieur 88%. Comment se passe ton weekend ? Pocahontas cherche la Petite Sirène pour discuter un peu, si tu es dispo ;)

J’hésite à répondre mais mon esprit un peu pervers me dit que j’aurais tort de me priver de passer un moment, même virtuel, avec elle.

— Bonjour Pocahontas. Le weekend se passe bien mais il aurait été plus intéressant en ta compagnie. Toujours disponible pour toi, bien entendu ! Tu profites de l’air breton ?

Oui, ça fait un bien fou de quitter Paris quelques jours, même si c’est pour le boulot, à la base. J’ai passé une partie de la journée en mer, c’était le bonheur. Et ta journée ?

— J’avoue que j’ai pas mal pensé à toi. J’ai toujours adoré les promenades en mer. Je ne l’avouerai jamais en personne, mais c’est romantique, je trouve. Surtout en charmante compagnie. Tu devais avoir fière allure, habillée en Pocahontas, le bras tendu vers l’horizon, fendant l’air marin vivifiant !

J’avais plutôt l’air d’un bibendum dans mon manteau, à jouer Rose Dewitt Bukater à la proue du bateau :D les cheveux emmêlés par le vent… Je n’avais même pas de fourchette pour les démêler.

— Je crois que si j’avais été là, j’aurais passé ma main dans tes cheveux pour les démêler, et je pense que je n’aurais pas résisté à l’envie de t’embrasser. Désolé si je dis des bêtises, ce soir. Il se pourrait que je sois un peu trop excité du fait de te parler pour dire des choses sensées.

Tu serais libre pour qu’on se rencontre lundi ou mardi soir ? Je crois qu’il est temps qu’on voie ce que ça donne en live, non ?

Je crois que là, les dés vont être jetés. Parce que oui, je suis libre, mais comment va-t-elle réagir quand elle verra que c’est moi ?

— Oui, bien sûr. J’ai tellement hâte de te voir et te rencontrer en vrai. Je suis sûr que ce sera à la fois surprenant et très agréable. On dit mardi soir à 19h ? Enfin, tu pourras voir à quoi je ressemble;

Il serait temps. Après tout, tu es avantagé ! Mardi, 19h, ça me va. Je t’enverrai l’adresse du bar dansant dont je t’ai parlé… Mais pas avant mardi, c’est la surprise ;)

— J’ai tellement hâte de te voir. J’espère que tu m’accorderas un baiser. J’ai déjà l’impression de tellement te connaître que ça va être bizarre de te prendre dans mes bras.

Tu m’étonnes, c’est peut-être parce que je la connais vraiment bien, non ?

Ah oui ? Eh bien… je pourrais te dire la même chose, sauf que je ne sais même pas à quoi tu ressembles, alors je vais me contenter de te dire que je ne te garantis pas le baiser, ce sera ta punition !

— Et moi, je te garantis que tu as l’homme parfait qui va venir à ta rencontre et que tu ne sauras pas t’empêcher de m’embrasser. Paris tenu ?

Je vois que tu ne doutes pas de toi et tes charmes ! On verra ça. Bonne nuit, Monsieur 88%, l’air de la mer m’a achevée… Fais de beaux rêves.

— Toi aussi, fais de beaux rêves.

J’ai le sourire aux lèvres suite à ce petit échange qui démontre une nouvelle fois notre capacité à entrer en connexion quand nous n’avons pas notre travail entre nous deux. Je le perds cependant rapidement car dans moins de trois jours, elle saura qui je suis réellement. Vu son caractère, ça promet d’être une rencontre explosive et la fin de ces échanges si naturels. Pas sûr que je sois prêt à affronter cela…

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