49. Alea Jacta Est

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Eliaz

Ce soir, c’est le moment de vérité et je ne suis pas du tout prêt à l’affronter. Honnêtement, j’hésite à ne pas me rendre du tout au rendez-vous et ghoster Adèle en tant que Monsieur 88%, en espérant qu’elle se tourne vers moi, Eliaz, son collègue. Mais si au lieu de ça, elle continue ses recherches et se trouve un nouveau mec ? Alors, j’aurais tout perdu. Mais si je vais au rendez-vous, elle va comprendre que Monsieur 88% et moi ne sommes qu’une seule et même personne et là, c’est quitte ou double. Soit elle comprend que nous ne sommes pas si différents que ça et me donne une chance, soit elle me traite de fou et de trompeur et c’en est définitivement fini de notre relation. Connaissant son caractère, je ne vois pas d’autre dénouement possible. Elle est trop entière pour qu’on revienne au statu quo actuel. Et ça, ça m’effraie à un point tel que j’en ai les jambes qui tremblent.

Je suis interrompu dans ces pensées qui me rendent malade de stress par l’objet même de toutes mes rêveries qui revient des toilettes avec sa tenue du soir. Et je dois faire un effort pour ne pas rester bouche bée devant la vue qu’elle m’offre. Il en a de la chance, Monsieur 88% parce que déjà, d’habitude, elle fait des efforts lorsqu’elle sort, mais là… là… Je crois que je ne l’ai jamais vue aussi magnifique. Tout est parfait, du maquillage léger qu’elle a mis sur son visage à sa robe sombre mais qui scintille de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel grâce aux paillettes multicolores qui dessinent des arabesques sur son corps et s’enroulent autour de toutes ses courbes. La robe s’arrête juste au-dessus des genoux et elle a enfilé une paire de collants qui reprennent ces mêmes couleurs avant de terminer vers des escarpins qui doivent bien lui permettre de gagner dix centimètres. Le charme est total jusqu’à ce qu’elle claque des doigts et s’adresse à moi, visiblement contente de l’effet qu’elle me fait.

— Arrête de bosser, il est trop tard pour ça, mon Lapin. Surtout que je pars tard, ce soir, comparé à d’habitude… Ce qui veut dire qu’il est largement l’heure de rentrer chez toi. A moins que tu aies trouvé un rencard, finalement ?

— Tu vas vraiment sortir comme ça ? demandé-je sans répondre directement à sa question. Tu connais l’expression anglaise “Dress to kill” ? Je crois qu’elle a été créée pour toi. Si tu veux, je t’emmène où tu veux ce soir, tu n’auras qu’à t’excuser auprès de ton rencard. Une femme comme toi, on ne peut tout simplement pas la laisser s’échapper.

Je sais, c’est pathétique d’essayer d’arranger les choses comme ça au dernier moment, mais je m’en voudrais de ne pas essayer. Et franchement, si elle accepte, je serai le plus heureux des hommes. Fini le stress !

— Je suis trop curieuse de le rencontrer pour le planter ce soir, désolée. Et il faut aller au bout pour l’article, surtout quand ton collègue te lâche !

— Trop curieuse ? grommelé-je. Il en a de la chance, quand même. Je peux t’assurer qu’il va passer son rencard à te dévorer des yeux et à s’imaginer les choses les plus folles dans sa tête. Enfin, ça, c’est si tu ne fuis pas dès que tu poseras les yeux sur lui.

— Eh bien, je n’allais pas y aller en jogging, en même temps, rit-elle. Donc, tu valides la tenue, j’imagine ?

— Je ne sais pas. Il n’a aucune chance de te résister… Je… Non, rien. Profite bien de ta soirée, tu es tout simplement parfaite. Je n’ai jamais vu une femme aussi jolie que toi. J’espère que la surprise sera bonne pour toi, me résigné-je à lui dire en tentant un sourire qui est bien loin d’être naturel vu le stress qui continue à bouillir en moi. Bon amusement et fais attention à toi.

— Merci, Eliaz, me répond-elle en déposant un baiser appuyé sur ma joue. Bonne soirée à toi aussi. A demain.

— A demain pour le débrief, dis-je alors qu’elle enfile déjà son manteau rouge vif et se sauve en me faisant un signe de la main.

A peine a-t-elle franchi la porte que je me précipite à mon tour dans les toilettes avec mes affaires. Je sors de mon sac une belle chemise noire que j’enfile après m’être mis un peu d’eau de cologne. Je récupère ma veste d’un bleu nuit sombre que je me suis achetée aussi spécialement pour l’occasion et je me dis que j’ai l’air classe. Je ne sais pas si ça sera suffisant, mais je n’ai pas le temps de faire beaucoup plus. Déjà que je vais arriver avec un peu de retard, je ne peux pas me permettre de rester plus longtemps ici.

Je sors dans le froid de la rue et prends le métro pour me rendre dans le septième arrondissement, dans un petit bar restaurant tenu par des bretons où Monsieur 88% a finalement invité son date du soir. J’adore l’endroit qui est charmant. Tous les murs sont couverts de couvertures de journaux du début du vingtième siècle, le tout éclairé à la lumière de bougies et de lumières voilées, franchement, plus romantique que ça, tu meurs. J’espère seulement qu’on pourra en profiter plus que pendant l’apéro, si encore elle accepte de prendre ne serait-ce que ce verre avec moi.

Une fois arrivé devant le restaurant, je vois que je n’ai que cinq minutes de retard, ce qui est tout à fait acceptable. Je regarde par la fenêtre en essayant de trouver le courage d’entrer et affronter mon destin. Je remarque tout de suite que James est assis près de la fenêtre et regarde nonchalamment sa colocataire installée à une table, seule pour l’instant. Mais il fait quoi, là ? Ce n’était pas prévu au programme, ça. J’hésite encore plus à entrer et à me dévoiler non seulement devant elle mais aussi devant son ami. Cependant, il ne faut pas que je tarde trop si je ne veux pas qu’elle se fasse aborder par un autre type. Vu comme elle est séduisante, je crois que la moitié des hommes du bar est en train de la mater et l’autre est gay. Et puis, alea jacta est, non ?

Je prends donc une grande respiration et pénètre dans le bar. Comme si c’était normal, je salue James de la main avant de poursuivre mon chemin vers la table où est installée Adèle qui fronce les sourcils en me voyant approcher.

— Bonsoir, la place est libre, je peux m’installer ? demandé-je en souriant et en essayant de ne pas perdre de ma superbe.

— Eliaz ? Mais… qu’est-ce que tu fais là ? La place… devrait bientôt être prise. Pour une fois que je suis à l’heure, mon rencard est à la bourre.

— A la bourre ? Mais non, pas tant que ça. Tu vois bien que je suis arrivé ! souris-je sans oser m’avancer plus, cependant.

— Mec, qu’est-ce que tu fiches ? intervient James en approchant. Tu vas lui péter son coup, là. Tu ne m’avais pas dit qu’il devait venir, Adèle.

— Mais parce qu’il ne devait pas venir ! Comment tu as su que j’étais là ? Tu m’as suivie ? Je… Ecoute, Eliaz, je sais que tu voudrais qu’on… continue ensemble, mais je t’ai déjà expliqué pourquoi ce n’était pas possible, alors tu ne peux pas te pointer là et faire n’importe quoi.

Bon, là, ça se complique… Je fais comment pour me débarrasser de James et convaincre Adèle de me laisser ma chance sans tout faire foirer ? Dans quelle galère je me suis mis, moi ? Je me tourne vers le colocataire de la jolie femme dont les yeux me lancent des éclairs.

— Ecoute, James, tu pourrais me faire confiance, ce soir ? Je te promets que je ne vais pas lui péter son coup, comme tu dis, mais j’ai besoin de lui parler seul à seul. Je n’ai pas besoin de beaucoup de temps et si elle ne veut pas de moi, je pars. Sans faire de scandale, promis. Tu pourras même être là pour elle, si elle le veut. Mais là, il faut que je lui parle… S’il te plaît ? le supplié-je presque.

— Adèle ?

— C’est bon, vas-y. Merci, James… Et si je te fais signe, tu le déjouques, hein ?

Je roule les yeux devant la violence de ses propos mais je ne peux pas lui en vouloir non plus.

— Ouais, bon, ça ira aussi sans violence, hein ? Au pire, tu n’auras qu’à me faire passer pour un lourdingue venu te draguer…

— Je plaisantais, Eliaz, sourit Adèle. Alors, qu’est-ce que tu veux ?

J’attends que James se soit éloigné et ait repris son poste d’observation pour me concentrer entièrement sur ma collègue à qui je vais devoir annoncer que je suis Monsieur 88%. Facile, il suffit de lui dire, non ?

— Tu sais bien ce que je veux, Adèle. Et je suis désolé d’avoir usé de ce stratagème, mais c’est la seule chose qui m’est venue en tête pour ne pas perdre tout espoir. Je peux m’asseoir ?

— Ce stratagème ? Tu veux dire risquer que mon date de ce soir me voie accompagnée et fasse demi-tour ? On se voit toute la journée, Eliaz, pourquoi maintenant ?

— Il n’y a aucun risque que ton date fasse demi-tour. Tu ne vois pas que je n’ai qu’une envie, passer le reste de la soirée avec toi ? demandé-je en faisant un nouveau pas vers elle. Elles sont si peu visibles que ça, mes envies ? Et pour la raison du pourquoi maintenant, c’est évident, non ? C’est l’heure du rendez-vous !

— Qu’est-ce que tu as fait ? finit-elle par me demander en récupérant son téléphone dans son sac. T’es quand même pas allé jusqu’à pirater mon compte pour annuler mon rencard ?

— Je n’ai pas ce type de compétences, non… Tu ne comprends pas ?

J’ai alors une idée folle qui me traverse l’esprit.

— Attends, regarde.

Je prends mon téléphone et me connecte sur l’appli du site de rencontre et lui envoie un message depuis le compte de Monsieur 88% :

S’il te plait, laisse-moi m’asseoir et discuter. J’ai besoin de cette nouvelle chance. Monsieur 88%, c’est moi ! Je suis Monsieur 88% !

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