52. Good morning coloc
Adèle
J’ouvre un œil, puis le second, sans oser bouger d’un poil, pour constater qu’Eliaz est encore endormi. Si j’en crois sa proximité avec le mur contre lequel mon lit est collé, c’est moi qui ai cherché à l’étouffer cette nuit. Fait doublement véridique étant donné que nos jambes sont entremêlées, que ma bouche est dangereusement proche de sa pomme d’adam et que mon bras est enroulé autour de son ventre comme si je me raccrochais à un doudou.
J’ai bien peur que nous ayons manqué de discrétion, cette nuit. Je doute que James, dans la chambre à côté, ait pu bien dormir… Quant à Pierre, en dessous, ça aurait pu le faire si je ne m’étais pas retrouvée les quatre fers en l’air en chutant du lit parce que la boîte de capotes m’a échappée. Je suis une calamité. Pour le sexy, on repassera pour le coup. Dans tous les cas, j’ai eu le malheur d’aller nous chercher un truc à grignoter et surtout à boire après le troisième round, et j’ai juré comme un charretier sur le palier du premier étage en me cognant le petit orteil contre la rambarde de l’escalier. Bref, j’ai cumulé, ils vont tous me haïr comme jamais, c’est certain.
Je décide de laisser respirer mon… petit ami ? J’ai l’impression d’avoir quinze ans en pensant ça, mais ça me paraît pourtant être la réalité depuis hier soir, apparemment. J’ai dit oui, et je ne sais pas trop si ça me plaît davantage que ça me fait flipper, en vérité. Il faut vraiment que j’arrête de me prendre le chou avec ça, on a dit step by step, sans prise de tête, et ça commence plutôt mal pour moi. Bref, je me retourne pour regarder l’heure sur mon réveil, constate qu’il était encore très tôt et je suis ravie de pouvoir paresser un peu. Sentiment qui s’accroît encore quand mon doudou humain vient se coller dans mon dos et m’enlace étroitement. Qui c’est la nana pas du tout romantique mais qui adore se faire câliner au réveil ? Oui, je lève la main dans ma tête. Peut-être même que je sautille intérieurement. Surtout quand ses lèvres se posent dans mon cou et me font frissonner. Merde et re-merde, ne manque plus qu’un petit déjeuner au lit et c’est le réveil parfait, ça.
Du moins, ça l’était… jusqu’à ce que deux coups soient toqués à la porte et que cette dernière s’ouvre sans même attendre l’autorisation. Bienvenue à la coloc, où James fait comme s’il était chez lui, sans doute parce qu’il l’est !
— Salut les petit Chatons ! s’exclame-t-il en se jetant sur le pied de mon lit, faisant grincer des dents Eliaz qui tire la couette jusque sur nos têtes. Oh, boudez pas, j’ai fait quasi nuit blanche ! Et si je ne portais pas en très haute estime les joies du sexe et de l’orgasme, je serais venu vous refroidir à coup de seau d’eau glacée entre le round deux et le trois ! Je vous ai laissés tranquilles quand j’ai vu que vous rentriez tous les deux, mais j’ai besoin d’explications, moi.
— Et ça ne pouvait pas attendre le petit déjeuner ? marmonné-je en lui donnant un léger coup de pied.
— J’ai suffisamment attendu, ma Puce. Je veux savoir, maintenant !
Quel emmerdeur celui-là.
— Je te présente Monsieur 88%, James. Voilà, grosso modo tu as toute l’histoire. Sors de là, maintenant, la nuit n’est pas terminée, lui lancé-je en sortant la tête de sous la couette.
— Non, Eliaz, tu es ce mec qui la faisait rêver même sans photo ? Je comprends tous les gémissements cette nuit, alors, si tu rajoutes le son et l’image à l’écrit. Petit coquin, va !
— Tu es toujours comme ça, le matin ? demande le Breton en souriant.
— Toujours, marmonné-je alors que James cherche à s’incruster entre nous. Wow, arrête-toi tout de suite, mon petit Chat, tu ne reluqueras pas l’homme nu sous ma couette, espèce d’obsédé !
Je le repousse comme je peux et me love davantage contre Eliaz en soupirant de contentement. James bougonne pour la forme et se lève en mode pile électrique. Il me donne le tournis dès le réveil, c’est éreintant. Autant, dormir avec lui est agréable, mais il faut quand même dire que la tornade, le matin, c’est un peu too much pour une fille qui n’est pas du matin.
— J’espère que tu as au moins mis le café à couler, mon Chou, sinon tu vas déguerpir de cette chambre plus vite qu’un avion de chasse au décollage.
— J’ai tout préparé, ma Chérie. Mais tu n’as le droit de venir que si ton petit copain vient aussi. Et si possible, torse nu, il faut bien qu’on ait une compensation vu la nuit qu’on vient de passer.
— Je suis désolé, James, commence Eliaz avant de sourire en me regardant. En fait, non. Va pour le torse nu si ça te fait plaisir.
— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, James, ma nuit a été des plus agréables. Allez, sors de là, sinon c’est moi que tu vas voir à poil et je ne voudrais surtout pas que tu fasses des cauchemars.
— Mais toi, tu sais bien que je t’aime, ma Puce. Enfin bon, je file avant que ton homme ne me saute dessus et que ça te rende jalouse !
James sort en ricanant, égal à lui-même, et claque la porte au cas où le reste de la maison serait encore endormi. Et moi je me rends compte que je ne l’ai pas détrompé lorsqu’il a appelé Eliaz mon “petit copain”... Je n’ai pas tiqué, je n’ai même pas réagi, comme si c’était normal. Adèle 2.0 est dans la place, apparemment.
— Désolée pour ce réveil. James est… James. Y a même pas d’adjectif pour lui.
— Il me fait rire ! Même si j’aurais préféré un réveil plus… coquin ? finit-il en me serrant contre son corps nu et déjà bien réveillé.
— Eh bien, c’est raté pour ce matin… Si on ne descend pas, il est capable de remonter pour venir nous chercher… Et puis, maintenant que j’ai parlé de café… je n’ai plus que ça en tête, pouffé-je en promenant mes doigts sur sa hanche.
— Vraiment que ça ? me murmure-t-il en me mordillant le lobe de l’oreille.
— Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat, gloussé-je sans même tenter de le repousser. Mais… on a un article à boucler, et des colocs à affronter avant ça… Tu dois repasser par chez toi avant d’aller au boulot, peut-être aussi ?
— Non, je peux garder les habits d’hier soir, sauf si tu les as tous arrachés. On doit vraiment affronter et faire tout ça ? On ne peut pas rester ici à se faire des câlins ?
— Je ne dirais pas non, mais Véronique déteste quand tu es en retard. Allez, debout, Beau Gosse.
Je plante un rapide baiser sur ses lèvres, du moins c’était l’intention première, mais nous nous éternisons suffisamment longtemps pour entendre James crier depuis le rez-de-chaussée, et je daigne finalement me lever, non sans mal. J’enfile rapidement mon peignoir et une culotte propre en dentelle rouge qui semble plaire à Eliaz, passe devant le miroir pour constater que la fatigue se voit sur mon visage sans que mon sourire n’en pâtisse, et l’observe s’habiller tranquillement. J’ai encore du mal à croire que je viens de plonger les deux pieds dedans…
Pourtant, James a fait en sorte que toute la coloc le comprenne et, quand nous débarquons dans la cuisine, non sans s’être arrêtés une ou deux fois entre les deux étages pour nous bécoter, Pierre vient immédiatement enlacer Eliaz comme s’ils se connaissaient depuis des années.
— Félicitations ! Belle prise, mec, j’ai perdu mon pari à cause de toi mais bon, je ne suis pas rancunier, juste plus pauvre de cinquante balles.
— J’ai toujours raison, mon Chou, tu devrais le savoir depuis le temps, lance James en me tendant une tasse de café.
— Wow, attendez, percuté-je, vous avez parié sur nous ?
— Oh que j’aime ce mot dans ta bouche, ma Puce. “Nous”, Hallelujah ! glousse-t-il en me pinçant les joues comme à une gamine.
Et moi je dois virer rouge pivoine. Oui, c’est certain. Et puis je grimace en le voyant déposer dans les mains d’Eliaz ma tasse bretonne. Quel enfoiré !
— Une femme dont la tasse favorite est un compliment aux Bretons ne pouvait que craquer pour toi, tu vois ?
— C’était écrit, en effet, sourit Eliaz, mais rassurez-moi, je ne dois pas coucher avec toute la coloc ?
— Beurk, hors de question, s’esclaffe Aya. Et bon courage pour supporter Adèle au quotidien. Au boulot elle se contrôle, t’as encore rien vu, mon pauvre.
— Arrête de raconter n’importe quoi, la reprend James en lui massant les épaules. T’es juste jalouse, Bichette, mais ça va bien se passer. T’as la chance d’être à l’étage d’en dessous, tu ne l’entends pas gémir au moins, toi !
— Oh pitié, vous pouvez arrêter deux minutes ? les imploré-je en m’installant à côté d’Eliaz à table. Je te jure qu’ils ne sont pas comme ça tous les matins. C’est… l’euphorie de la nouveauté.
— Tu m’étonnes, ils sont rares les amants que tu ramènes à la maison.
— Stop ! m’écrié-je. Un mot de plus et on se barre, bande de cinglés.
Tous les trois s’observent quelques secondes avant d’éclater de rire. Est-ce que j’ai déjà dit que je doutais d’être la plus folle de la coloc ? Sérieusement, j’en aurais presque honte, ce matin, surtout s’ils se mettent à déblatérer sur ma vie sexuelle. Et en plus, je ne sais pas comment me comporter avec Eliaz ce matin, devant eux. Dans le genre nunuche, je vise le podium, mais ça me fait trop réfléchir et il est trop tôt pour ça.
Dieu merci, la conversation finit par dévier et nous petit-déjeunons dans une ambiance agréable. Eliaz répond à mes interrogations muettes et personnelles en posant sa main sur ma cuisse ou sur le dossier de ma chaise. Apparemment plus à l’aise que moi quant à tout ça, je finis je ne sais trop comment calée contre lui et le sourire en coin que me lance James en dit long sur sa satisfaction.
— Du coup, en conclusion, les sites de rencontre, c’est bien, non ? nous interroge-t-il finalement. Je vais peut-être m’inscrire…
— On n’a pas tenté les sections gays, tu nous raconteras, répond mon amant qui s’amuse à déposer de petits baisers dans mon cou.
— Du coup, vous êtes un peu biaisés pour définir votre début d’histoire, se moque Pierre. Vous vous connaissiez déjà, mais vous avez conclu grâce à un site de rencontre… Conclu bruyamment en plus, heureusement que je ne streamais pas, cette nuit.
— On n'était pas si bruyants que ça, grommelle Eliaz.
— Suffisamment pour qu’on vous entende ! Je plains ta frangine quand vous dormirez chez toi, tiens !
— Ouais, bon, on va aller se préparer plutôt que de repartir sur ce sujet, soufflé-je. Je vais vous acheter un stock de boules Quies, bande de petites natures.
Une chose est sûre, je n’ai pas à craindre que mes amis ne s’entendent pas avec mon mec… Pareil pour mes parents, si j’en crois le nombre de fois où ma mère m’a parlé de lui quand je l’ai eue au téléphone. Non, la seule chose que je peux craindre, c’est moi et mon manque d’expérience. Mais malgré mes appréhensions, je dois avouer que je le sens plutôt bien. Espérons que mon instinct ne me fasse pas défaut, il est plutôt fiable quand il s’agit du boulot, alors pas de raison qu’il en soit autrement pour Eliaz et moi, hein ?
Annotations