33. Les deux font la mauvaise paire

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Eliaz

Je regarde le type qui est en face de moi et me demande ce qu’Adèle peut bien lui trouver. Il est vêtu d’un simple tee-shirt assez informe et d’un jean délavé et n’a même pas pris la peine de tailler sa barbe. Elle aime donc le genre ours mal léché ? En plus, il a un de ces accents et quand il me confie venir de Toulouse, je ne suis pas du tout surpris. Nos dames se font attendre, alors on patiente dans le froid devant l’entrée de ce bar chic qui se trouve dans le cinquième arrondissement. Dans ce que nous avons vu avec Adèle, beaucoup de gens aiment bien son atmosphère pour leurs premiers rendez-vous. A la fois intimiste, mais sans trop l’être non plus pour ne pas que ces dames se sentent en insécurité.

Ma petite blonde, Sandrine, arrive et nous fait la bise à tous les deux, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

— On attend encore ton amie, c’est ça ? me demande-t-elle en essayant d’allumer une cigarette.

Le barbu dont je ne connais que le surnom (“Harryfort”, un jeu de mots sur les bonbons qu’il apprécie, visiblement), sort un briquet de sa poche et aide Sandrine avec sa cigarette. Peut-être que nous avons fait un peu fort en choisissant ces deux personnes avec des habitudes si éloignées de ce qui pourrait nous plaire. Deux fumeurs… Nous voilà bien…

— Oui, elle va arriver, elle a souvent un peu de retard. Tu es aussi belle que sur tes photos en tout cas, ça fait plaisir.

— Ah oui, tu es bien mignonne ! J’ai toujours aimé les blondes, enchérit le gars avec la boîte de bonbons.

— C’est vrai ? glousse ma cavalière. J’espère que tu n’es pas de ceux qui nous pensent stupides à la couleur de nos cheveux !

— Ah non, du tout. J’ai vu une étude qui disait par contre que vous, les blondes, étiez les plus chaudes au lit ?

Je m’amuse de leurs échanges surtout qu’Adèle vient de se pointer et entend son barbu dire ça. Elle va adorer, c’est sûr.

— Oups, j’aurais dû me teindre en blonde alors ! Ou les types qui ont fait cette étude se sont retrouvés au lit avec les mauvaises brunes. Bonsoir, moi c’est Adèle, je suis peut-être brune, mais personne ne suce aussi bien que moi.

Ça, c’est une entrée fracassante et franchement, j’adore. Surtout quand je vois la tête des deux autres qui semblent choqués par son franc parler. Je sens que ce rencard à quatre va être intéressant. Une fois la surprise passée, tout le monde se présente et j’apprends que le barbu qui préfère les blondes s’appelle Jonathan. Cela me fait penser à une blague pourrie que je ne peux m’empêcher de sortir quand on s’assoit à table. Tant pis si c’est ridicule, c’est un des moyens que j’ai pour ne pas laisser transparaître ma timidité. Ou l’effet que me fait Adèle quand elle enlève son manteau, découvrant une magnifique robe jaune moutarde, bien sage dans son décolleté mais moulante à souhait et qui la met en valeur de la plus agréable des manières qui soit.

— Qu’est-ce qui est jaune et qui attend ? demandé-je en essayant de garder mon sérieux, alors que ma collègue prend place sur la banquette à côté de moi.

— Jonathan ! s’écrie la blondinette en s’applaudissant, ravie d’avoir résolu cette énigme enfantine alors que je me fais tout petit sur mon siège.

— Eh bien, désolée de t’avoir fait attendre, Jonathan, souffle Adèle en me jetant un coup d'œil dubitatif.

— Oh c’est pas grave, c’est ça l’avantage des rendez-vous avec deux couples, on a de quoi patienter ! Et puis, Sandrine est charmante.

— Oh merci, c’est gentil, lui répond-elle en posant sa main sur son bras.

Je croise le regard d’Adèle avant d’éclater de rire. Voici un rendez-vous qui part sur les chapeaux de roue.

— Bien, si je ne mérite pas le déplacement, au moins tu n’auras pas perdu ta soirée, Jonathan, sourit Adèle en croisant les bras sous sa poitrine sans les lâcher du regard. Vous voulez qu’on vous laisse, peut-être ?

— Oh non, non, répond le barbu en reportant son attention sur la poitrine de ma collègue.

On dirait un chien en chasse à qui on a donné deux os à ronger et qui ne sait pas choisir sur lequel se concentrer. Nous commandons tous nos boissons et nous nous présentons chacun à tour de rôle. C’est un peu étrange, comme si ce qui nous définissait, c’est notre métier, notre durée de célibat ou ce qu’on cherche dans notre prochaine relation. La réponse d’Adèle à ce sujet m’a surpris, d’ailleurs. Elle a dit qu’avant, elle n’y croyait pas trop mais que désormais, elle était bien décidée à trouver l’amour. C’est étrange de l’entendre dire ça alors qu’elle enchaîne les coups d’un soir.

— Oh, tu es déménageur ? demande Sandrine à Jonathan. C’est fou, ça. Je vais bientôt changer de quartier et je cherchais quelqu’un pour m’aider justement !

Elle est complètement tournée vers l’autre barbu de la soirée et je ne vois que son profil. Avec l’éclairage, j’ai un peu l’impression qu’elle n’est qu’une demie femme, et je me dis qu’heureusement je la vois pour un article. Si ça avait été un coup de coeur, j’aurais été déçu et jaloux, je pense.

— Ah oui, tu n’as pas vu mes muscles ? répond-il en retroussant ses manches. Je t’assure que je fais le boulot. Je déménage tout, si tu vois ce que je veux dire.

— Tu crois qu’on est encore là pour eux ? chuchote Adèle à mon oreille.

J’aime bien quand elle se penche sur moi et que sa poitrine se pose sur mon bras. J’ai tout de suite plus chaud et je lui réponds en chuchotant aussi.

— Je crois qu’en fait, ils n’ont pas compris qu’on était là depuis le début. Je me demande même s’ils remarqueraient si on partait. Tu crois qu’on tente la sortie discrète et qu’on les laisse payer ?

— Merde, je ne pensais pas que ma poitrine passerait après une petite blonde en col quasi roulé, rit-elle doucement.

— Je peux te dire qu’elle ne passe pas après pour moi, si ça peut te consoler. Mais désolé, je ne suis pas aussi musclé que le déménageur.

— Tu crois ? sourit-t-elle en tâtant mon biceps. Ça va, tu n’as rien à lui envier.

Je sais qu’elle est juste gentille en disant ça, mais ça me rend tout fier de me dire qu’elle me considère comme musclé. Un instinct primitif qui revient ? C’est bien la première fois que je suis fier de mon physique devant une femme.

— On revient, nous interrompt Sandrine en se levant. On va s’en fumer une dehors. A tout de suite.

Un peu incrédules, nous les regardons se lever tous les deux et s’éloigner. Jonathan y va carrément de sa main dans le dos de la blonde qui rit alors qu’ils sortent ensemble. Je me retourne vers Adèle qui, comme moi, a suivi leur sortie des yeux, et je ris à nouveau.

— Purée, on ne peut même pas raconter ça dans l’article, ce serait trop improbable, non ? pouffé-je, toujours aussi surpris du tour que prend ce rencard.

— Je crois qu’on est bons pour payer l’addition. Et puis, on pourra dire que nous sommes de bons entremetteurs !

— Tu crois vraiment qu’ils ne vont plus revenir ? Putain, ce type est con de préférer cette blonde fadasse et sans saveur à tes charmes, quand même.

— Hé ! Ne critique pas ton rencard, voyons !

— Oui, eh bien vu comment elle était excitée par ma blague pourrie, je crois qu’il y a de quoi critiquer. D’ailleurs, désolé, c’était vraiment nul. Je ne sais pas ce qui m’a pris de sortir ça.

— Ouais, franchement, je suis sûre que tu peux faire mieux. Il me semblait que tu avais et les biscotos, et le cerveau, Eliaz, enfin, rit-elle.

— Je crois que je me suis juste laissé entraîner par le niveau culturel de nos deux rendez-vous. Ils ne sont pas encore partis, mais ils ont l’air de bien se rapprocher. Tu n’espérais pas trop finir la soirée avec lui, j’espère, parce que là, ça a l’air mal parti.

Je guette en effet ce qu’ils font devant la porte et Jonathan a passé son bras autour des épaules de Sandrine, sûrement pour la réchauffer alors qu’ils fument leurs cigarettes.

— Je crois que je gagne au change. On se tire sans payer ? Pour le préjudice moral !

J’ai presque envie de lui dire oui, mais en parlant de morale, j’ai un reste de dignité en moi qui m’empêche de commettre ce petit délit.

— On peut y aller, si tu veux, mais on paie avant de partir, non ? Surtout que c’est le magazine qui régale…

— Faut vivre dangereusement, Eliaz ! En plus, ils sont encore là, eux. Enfin bon, comme tu veux, mon Lapin, mais on se casse, sinon je vais finir par me vexer qu’il ait préféré la blonde, même si honnêtement il ne m’intéresse pas. Question d’ego.

— Tu viens faire le débrief à la maison ? m’entends-je dire alors que je sors quelques billets pour payer nos consommations. Je peux te faire à manger pendant qu’on bosse. Au moins, tu n’auras pas perdu complètement ta soirée. Et je vais essayer de remonter ton ego en te choisissant toi et pas la blonde.

— Rassure-moi, tu ne me choisis par défaut ? Et qu’est-ce que tu proposes de me cuisiner ? Allons-y, je te suis.

— Ah non, je te l’ai dit, pour l’instant, je n’ai trouvé aucune femme qui puisse te faire de l’ombre, avoué-je en essayant de maîtriser le trémolo dans ma voix. Et vu l’heure déjà avancée, je ne vais pas faire de grandes folies. Une petite omelette bien baveuse avec du fromage et des légumes, ça t’irait ?

Elle s’est levée à son tour et elle passe son bras autour de ma taille pour m’entraîner vers la sortie. J’adore cette proximité et je me réjouis d’avance de pouvoir prolonger la soirée avec elle.

— Va pour l’omelette baveuse. J’espère que tu as du chocolat pour le dessert, sinon je risque de finir déçue par la soirée, par contre.

— Ne t’inquiète pas, je n’ai aucune envie de te décevoir et j’ai tout le chocolat qu’il faut pour te satisfaire !

— On vous laisse finir la soirée tous les deux ! Et invitez-nous au mariage, sans nous vous ne vous seriez peut-être jamais rencontrés, dit-elle à l’attention de nos rencards lorsque nous passons devant eux.

— Bonne soirée, l’addition est payée ! Et sortez couverts, leur lancé-je alors qu’ils ouvrent de grands yeux.

Franchement, je crois que c’était le pire rendez-vous du monde, un vrai plaidoyer contre les doubles dates, mais j’en garde un sentiment particulièrement positif. Il faut dire que ramener chez moi une femme belle et séduisante comme Adèle, une femme qui a une telle aura et un tel caractère, c’est un bon résultat. On va travailler et manger, certes, mais cela suffit déjà pour me rendre heureux. Tout est bien qui finit bien !

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