Epilogue 2/2 : Un article pour deux

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Adèle

L’appartement d’Eliaz embaume l’odeur des crêpes lorsque je passe la porte et je grimace en jetant un coup d'œil à mon sachet de viennoiseries. Soyons clairs, j’adore que mon petit Breton me prépare le petit déjeuner, mais je ne me suis pas levée et habillée si tôt pour aller faire un footing, en toute logique. Pas trop mon genre…

Bon, j’avoue qu’il est trop mignon, uniquement vêtu de son bas de pyjama, occupé à cuisiner en sifflotant la mélodie qui passe à la radio.

— Tu pensais vraiment que j’allais aller acheter les journaux sans passer par la boulangerie ? lui demandé-je, le faisant sursauter.

— Oh ! Tu as ramené des petites douceurs ? Eh bien, pas de problème, les crêpes, c’est aussi bon réchauffé ! On les mangera ce midi, c’est tout, me répond-il en en faisant sauter une avec adresse.

— Bien… faisons ça. J’ai ramené LifeX aussi au passage. Je sais que nous sommes en congés, mais j’étais curieuse de voir le résultat final. Et puis j’ai vu que l’autre imbécile, tu sais, celui qui était dans ma promo et bosse à la concurrence ? Bref, il a bizarrement choisi le même sujet que celui que j’ai traité y a quinze jours, ça me gonfle.

— Ah oui ? Il a aussi écrit sur les familles qui vivent à la rue et qui travaillent ? Tu crois qu’il va continuer à te copier longtemps ?

— Je vais aller le trouver et lui faire bouffer son papier, ça va le détendre, grommelé-je. Tu as bientôt fini ? Je crois que j’ai besoin d’un câlin !

— Pour un câlin, j’arrête tout le reste ! répond-il en écartant la poêle du feu et en ouvrant grand ses bras.

— Quel homme parfait, soufflé-je en me blottissant contre lui.

Et je ne suis pas loin de la vérité. Bon, il a ses défauts comme j’en ai également, mais après quasiment un an ensemble, je peux dire que ce mec est un amour et une vraie crème. Patient et attentionné, il a même réussi à m’initier et me faire apprécier les petites touches de romantisme qu’il amène dans mon quotidien. Je ne sais pas pourquoi il est toujours avec moi après tout ce temps, d’autant plus que je suis loin d’être la petite amie idéale. Moi, je suis l’enquiquineuse qui, parfois, a besoin d’être tranquille à la coloc, comme avant, sans lui. Moi, je suis la fille qui déteste qu’on lui parle tant qu’elle n’a pas bu son café, même si on se câline pendant une heure. Et moi, je suis la nana qui n’a toujours pas été capable de lui dire “je t’aime”. C’est stupide d’en arriver à plus de dix mois de relation exclusive, où l’on passe quasiment toutes nos nuits ensemble, sans passer ce cap. Je sais qu’il en souffre et s’interroge, j’en ai conscience, d’autant plus qu’il doit, de son côté, me le dire approximativement tous les jours.

Je dépose un léger baiser sur ses lèvres et m’échappe d’entre ses bras pour mettre la table et me servir mon deuxième café du jour, puis m’installe et ouvre LifeX. Il y a un an, à quelques jours près, Véronique nous demandait d’écrire un article sur les sites de rencontre. Depuis quelques semaines, je me triture le cerveau pour trouver une façon originale d’évoquer mes sentiments pour Eliaz. Oh, je suis sûre que lui dire comme ça lui suffirait, et je dois être un peu tordue de le faire patienter pour rien, mais je n’aime pas faire comme les autres, après tout, et ça vaut pour ça aussi.

Je souris en tombant sur la page de mon article. “Portrait d’une allergique à l’amour”. Si j’ai bien conscience que mon amitié fusionnelle avec mes colocs, et James en particulier, est une sorte d’amour, que j’aime mes parents, en ce qui concerne les relations amoureuses, avant Eliaz, je fuyais. Voilà bientôt un an que je tente de comprendre le pourquoi du comment, et pas trop besoin d’être devin pour ça : j’avais peur qu’on me fasse changer, consciemment ou non. Peur de me retrouver enfermée dans une relation qui m’incite à faire des concessions concernant mon caractère, ma façon d’être. Et ça ne marche absolument pas comme ça avec Eliaz. D’ailleurs, on passe notre temps à se chamailler tous les deux, parce que nous avons des caractères totalement opposés. Peut-être qu’on a mis un peu d’eau dans notre vin, mais il continue d’être imbuvable avec la journaliste dès qu’il n’est pas d’accord, et moi je prends un malin plaisir, comme avant, à en rajouter, à sortir des clous, à repousser ses limites. Et c’est à peu près pareil dans notre couple. Je le pousse à sortir, il m’incite à me poser, entre autres choses. En vrai, chacun est resté lui-même tout en s’intégrant dans la vie de l’autre.

Eliaz s’installe à côté de moi et fouille déjà dans le sachet de viennoiseries en cherchant apparemment LifeX, puisqu’il finit par soulever le magazine pour en voir la couverture.

— Je te le donne dans deux minutes, un peu de patience ! Tu n’as qu’à lire l’article sur les familles à la rue et me dire objectivement lequel est le meilleur…

— Je n’ai pas de doute que ce soit le tien, tu sais.

Je me rends compte à cet instant que j’ai les mains moites. Clairement, lui faire lire mon article me stresse et j’ai peur qu’il vive plutôt mal le fait que j’ai un peu étalé notre vie à deux. Mais c’est pour la bonne cause, non ? Si d’ordinaire je fais deux pages de portrait, j’ai réduit à une pour que le verso soit seulement occupé par les mots suivants : “Il est important de dire ce que l’on pense aux autres” et “Je t’aime, Monsieur 88%”. Je me suis demandée si je n’allais pas devoir coucher avec Véronique pour qu’elle accepte cette folie, parce que j’ai dû la travailler au corps pour qu’elle valide, j’ai bien galéré. Je suis passée de génie à complètement folle pour elle… mais elle a fini par flancher en imaginant le buzz, touchée par mon côté romantique. Moi, romantique, sérieux ?

Ouais, ben la nouvelle romantique n’en mène pas large, là… J’essaie de souffler un coup avant de tendre à Eliaz le magazine ouvert sur la page de mon article. Il m’a tannée pour que je lui donne le sujet, et je me demande encore comment j’ai fait pour qu’il ne me grille pas…

— Laisse tomber l’article de l’autre raté, je préfère que tu lises ça.

— Oh, s’écrie-t-il en voyant le titre, ça promet, dis donc ! Tu es vraiment aussi allergique que ça à l’Amour ? J’ai hâte de voir ce que tu as à dire sur le sujet.

— Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat, ris-je. Promets-moi juste de ne pas te fâcher.

Je vois qu’il soupire avant de prendre visiblement sur lui et de me sourire. Comme à chaque fois qu’il pense que je ne vais pas répondre à ses attentes, il trouve en lui le moyen de ne pas me rejeter, aussi incroyable que cela puisse paraître.

— Promis, ma Belle. Tu sais bien que je vais juste me contenter de critiquer ton style, tes arguments et le choix de tes mots. Il faut bien garder les traditions, sourit-il avant de se lancer dans la lecture de l’article.

Je le vois froncer les sourcils en abordant la première partie de ce que j’ai écrit sur notre expérience commune de recherche d’affinités sur les sites de rencontre. Il se met à lire tout haut.

— “J’étais jalouse comme jamais je ne l’ai été parce que ce n’était pas moi qui étais assise en face de lui. Et qu’est-ce que j’ai souffert en le voyant intéressé par cette pimbêche sans intérêt avec qui il a continué à échanger. Moi, la femme indépendante et libérée, je n’ai toujours pas compris à ce jour comment j’ai pu ressentir autant de jalousie.” Vraiment ? me demande-t-il en relevant la tête du magazine. Et comment ça se fait que je n’ai rien vu ?

— Je suis très douée, quand je le veux, pour masquer mes émotions. Comme quoi, tu en découvres encore sur moi maintenant.

— Et puis, franchement, “pimbêche”, tu aurais pu trouver un terme plus approprié, quand même, me réprimande-t-il en retournant à sa lecture.

Il a raison. Et puis, je déteste insulter les femmes, je suis pour la sororité. Sauf que cette nouille est passée à côté d’un homme formidable en le ghostant bêtement. Je crois que “pimbêche”, c’était le minimum…

— Grosse connasse, ça aurait été mieux, tu crois ?

— Chut ! J’arrive au deuxième date, là où tu dis que finalement, tu étais contente que nos deux rencards nous délaissent, me répond-il en posant son doigt contre ma bouche avant de reprendre sa lecture à voix haute.

“Je crois que c’est là que j’ai commencé à remettre en cause les différents principes qui régissaient ma vie jusqu’à présent. Pour moi, les hommes, c’étaient de simples relations apportant un plaisir certain mais limité dans le temps, un moyen d’assouvir mes envies mais auquel il ne fallait pas s’attacher au risque de souffrir. J’étais, et je le suis encore, c’est certain, une femme moderne pour qui les relations traditionnelles sont dépassées, qui n’a aucun tabou vis-à-vis du plaisir et qui n’a pas envie de s’encombrer d’un partenaire pour pouvoir être heureuse. Une nuit, c’est tout ce qu’il lui a fallu pour faire exploser cette vision. Je reste convaincue que j’étais dans le vrai, mais pour lui, j’allais devoir faire une exception. Et ça, c’était non seulement inattendu mais surtout effrayant. Lui, le romantique au cœur tendre, si différent de moi, avais-je le droit de tenter quelque chose avec lui au risque de le faire souffrir ? Jamais, je ne m’étais posée avec un homme, jamais je n’avais ressenti le besoin de recommencer après une ou deux nuits. Jamais… avant lui.”

— Eh bien, dit-il doucement, je vois que je ne suis pas le seul à me souvenir de cette folle nuit. Et c’est quoi, cette exception, alors ? Tu es restée dans le même état d’esprit, non ?

— Pas vraiment… Je t’ai dit que je n’avais plus couché avec personne après notre nuit ? Non pas que je l’ai vraiment décidé… Je crois qu’inconsciemment, j’avais besoin de me prouver que je pouvais rester fidèle, même si je te repoussais. Je réfléchissais beaucoup à notre relation, ou non-relation, je… enfin, tu vois, quoi. J’étais déjà dans la réflexion quant à la suite.

— Tu ne me l’as pas dit, mais j’avais cru comprendre que tu avais arrêté de voir plein de mecs. J’ai eu quelques doutes, hein ? Mais au fond de moi, j’espérais que tu sois dans cet état d’esprit.

Sa voix s’arrête car il découvre ce que j’ai écrit sur lui et je crois que ça le perturbe de lire tout ce que je pense sur la façon dont il est formidable, presque parfait avec des imperfections qui le rendent encore plus craquant.

— Tu aimes vraiment quand je t’offre des fleurs ? m’interroge-t-il, visiblement surpris par ce petit détail que j’ai glissé dans mon article. Mais, tu ne m’as même jamais remercié… Je croyais que tu trouvais ça trop gnangnan et j’ai failli arrêter. J’ai juste continué parce que ça mettait une touche de couleur supplémentaire à ton appartement déjà si haut en couleurs.

— Je suis une petite amie indigne, hein ? J’avoue qu’au début, je trouvais ça bizarre et inutile… Et puis, j’ai été déçue quand tu ne m’en as pas apporté. Je me suis rendue compte que les fleurs étaient une attention comme le café que je t’apporte à chaque fois qu’on se voit pour bosser ensemble sur un article, au final…

— Oui, une petite amie indigne, sourit-il, mais la seule qui compte pour moi. La seule que j’aime et surtout, ne change rien, parce que c’est aussi pour ça que je t’aime. Tu es unique en ton genre et ça n’a pas de prix. Cet article est… surprenant, si tu veux mon avis. Je n’arrive même plus à critiquer le style, tu vois ?

— Normal, il n’y a aucune critique à faire, Eliaz ! Allez, boucle la lecture, arrête de traîner, Chéri, le pressé-je alors que le stress me gagne à nouveau.

Il doit sentir que je suis un peu tendue car il se penche pour déposer un doux baiser sur mes lèvres avant de reprendre sa lecture. Lorsqu’il arrive en bas de la page, il fronce les sourcils avant de la tourner enfin. Ses yeux s’écarquillent et je le vois parcourir les quelques mots écrits plusieurs fois avant de reporter son attention vers moi, les yeux brillants d’une émotion qu’il peine à contenir.

— Est-ce que j’ai enfin trouvé comment te clouer le bec ? plaisanté-je avec la gorge nouée.

— Adèle, c’est la plus belle déclaration que tu pouvais me faire, me répond-il, un léger trémolo dans la voix. Je… je ne m’attendais pas à ça, j’espère que ce ne sont pas que des mots posés dans le magazine pour booster les ventes, parce que je te jure que tu n’aurais rien pu faire de plus romantique. Moi aussi, je t’aime, aujourd’hui et pour toujours. Je t’aime, Adèle et je suis le plus heureux des hommes aujourd’hui.

Je glisse mes mains derrière sa nuque et l’embrasse avec fougue. Eliaz semble aussi empressé que moi et sa langue vient jouer avec la mienne tandis qu’il m’attire à califourchon sur ses genoux. Ce baiser est passionné, empreint d’amour et de dévotion pour l’un comme pour l’autre, et nous peinons à nous séparer.

Je pose finalement mon front contre le sien et caresse sa joue tendrement en me lançant à mon tour.

— Non, ce n’étaient pas que des mots. Je te remercie pour ta patience, pour ta compréhension. Pour cet amour sans limite que tu m’offres depuis des mois sans rien attendre en retour. Je sais que je ne te mérite pas, mais je te promets de tout faire pour m’améliorer encore, parce que tu le mérites, tout simplement. Je t’aime, Eliaz, infiniment et bien plus que je ne pensais en être capable.

Comme quoi, ce n’était pas si compliqué, Adèle !

FIN !

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