Petit tour dans le quartier
- Aujourd'hui, c'est Halloween,euh ! chantonnait à tue-tête la fille de Dolores Fabre, la mère au foyer du quartier qui, disait-on, était toujours celle à qui on confiait les morveux lorsque l'on peinait à trouver la nourrisse adéquate... Celle-ci était justement en train d'étendre son linge dans le jardin, sa petite jouant près d'elle.
- Masha, chérie, ne chante pas aussi fort ; on est Dimanche après-midi, tu pourrais embêter les voisins ! lui intima-t-elle en plaçant une pince à linge sur sa robe, que la fillette bruyante avait tachée la veille avec de la soupe de potiron.
- D'accord M'man. Puis elle repartit dans la maison, toujours aussi joyeuse et enthousiaste.
Mais ses enfants n'avaient pas fini leurs bêtises : Rovel, le frère jumeau de Masha, vint à son tour dehors, complètement emmêlé dans son costume de momie !
- Oh, Rovel ! Qu'est-ce que tu fabriques, au juste ? Je croyais t'avoir dit qu'on mettrai les déguisements avant de partir à la chasse aux bonbons, ce soir ! soupira-t-elle sèchement. Viens-là, que je te libère de ça, ajouta-t-elle, exaspérée.
Heuresement, le père de la famille, Henri Fabre, vint en aide à sa femme pour déligoter Rovel ; ils durent s'y mettre à deux et pendant cinq minutes avant de réussir !
- Bon, maintenant, vous deux, vous laissez votre mère tranquille ! Compris ? ordonna Henri à ses enfants, qui, malgré leur "oui" collectif, préféraient visiblement se chamailler plutôt que l'écouter.
- Il faut vraiment que j'y aille, sinon je vais être en retard au travail. Tu es sûre que ça ira, ce soir, avec les enfants, Dolly ? s'enquit-il, s'adressant cette fois à sa femme.
- Oui, de toute façon je n'ai pas vraiment le choix... Aller, je ne te retiens plus longtemps. Bonne journée, mon chéri !
Et à peine eut-elle le temps d'embrasser son mari, que celui-ci fut déjà hors de la maison.
"Pff, les enfants, songea la pauvre mère en riant intérieurement , c'est tout un travail que de s'en occuper !"
Dolores se remit ensuite au travail : elle piochait les vêtements dans la bassine, les secouait avec force, puis les étendait sur le fil prévu à cet effet.
***
Bientôt, l'après-midi laissa place à ce que Dolores appelait "l'heure des douches" situé avant le soir, de dix-sept à dix-neuf heures. Heureusement, c'était les vacances ; les gamins pourraient se coucher un peu plus tard, ce soir, et même se doucher le lendemain matin (soyons fou) ! Elle était contente : elle avait réussi à faire toutes les besognes du Dimanche, à finir de coudre le costume de Masha, et avait même trouver le temps de sculpter une citrouille !
A l'occasion d'Halloween, Dolores avait prévu d'emmener Masha et Rovel faire un tour dans le quartier, demander aux gens s'ils n'avaient pas quelques bonbons à leur donner, sous peine de recevoir un méchant sortilège !
Une fois tous les costumes enfilés, tous les visages barbouillés de maquillages sanglants, et toutes les chaussures aux pieds, Dolores confia un panier d'osier à chacun de ses petits, et ils quittèrent la maison vers six heures moins le quart.
Ils marchèrent alors dans les rues décorées de citrouilles sculptées, de guirlandes de chauve-souris et croisèrent d'autres enfants déguisés. Des petits vampires, démons, sorciers et sorcières... il y avait de tout !
- A l'école, mon copain Jordan m'a dit qu'on trouverai plus de bonbons dans la maison d'Albert Dupont..., déclara Rovel, après que lui et sa famille aient dévalisé de friandises leur quatrième maison de la soirée.
- Albert Dupont ? Qui est-ce ? demanda sa mère, dubitative et intriguée à la fois.
- J'en sais rien, moi... C'est sans doute un vieux monsieur gentil qui vit dans un manoir, avec pleins de chats !
- Et sais-tu au moins où il habite, ce monsieur ?
- Jordan m'a dit qu'il habite à côté du champs, répondit-il.
Sa mère accepta de le suivre, amusée. Après tout, elle ne voyait aucun danger à aller dans le "champ", comme disait son fils (ce n'était en réalité qu'une vaste prairie remplie de hautes herbes jaunâtres et coupantes). Dolores ne s'était jamais rendu dans cette partie de la ville, car il n'y avait rien, absolument rien d'intéressant, si ce n'était des vaches ou des moutons qui broutaient de l'herbe à plein temps. De plus, elle doutait fort qu'il y est quelque habitation que ce soit là bas.
Après un bon quart d'heure de marche (et quelques arrêts à des maisons situées sur leur passage), ils trouvèrent le "champ". C'était exactement comme Henri l'avait décrit à sa femme, un jour : un assez grand pré, entouré de trois côtés par une pinède, et derrière eux, la route qu'ils venaient de traverser. Cependant, Dolores remarqua avec étonnement que son fils n'avait pas tort : une grande maison de vieilles pierres grises style manoir se dressait à l'autre bout de la prairie, droit devant eux. Et ça, son mari ne lui en avait pas parlé !
- Tu vois, M'man, j'te l'avais dis ! s'exclama Rovel, satisfait de faire découvrir à sa mère quelque chose.
- Reste encore à savoir si c'est bien ton Albert Dupont, qui habite ici... lui répondit-elle, soudainement envahi par un sentiment de doute et de méfiance.
Mais elle suivit malgré tout la marmaille à travers les hautes herbes. Ils progressaient en file indienne : Rovel en tête, suivit de près par Masha, et la mère fermant la marche. Cette dernière eut un frisson en entendant au loin une chouette hululer. Les rapaces nocturnes devaient en effet se réveiller, mainteant que la nuit commençait peu à peu à envelopper la ville de sa couleur encre.
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