Chapître neuvième
Les trois sorciers couraient dans les galeries obscures des souterrains gobelins, risquant parfois de se cogner le crâne contre la roche dans les passages les plus exigus. Seule la lumière au bout des baguettes de Godric et Rowena leur permettait d’y voir un peu. Derrière eux, les goules les poursuivaient sans relâche en grognant et en poussant des cris lugubres.
— Je croyais que si tu gagnais, les autres devaient se plier à la règle ? pesta Godric.
— Ils ne le font jamais ! rétorqua Halvard en ricanant, essoufflé. Surtout les vampires, ce sont de mauvais perdants. Mais au moins, leur ancien est mort, leur confrérie va se déchirer autour de la succession.
Rowena envoya un sort en arrière qui fit éclater la roche. Le tunnel s’effondra sur les goules de sang les plus proches.
— Doucement ! protesta Godric. Nous devons être capables de revenir d’ici quelques jours pour finir le travail.
— Parce que tu crois qu’ils vont laisser ces accès ouverts ? Il va falloir en trouver un autre.
Halvard avait terrassé le vampire en moins d’une minute, usant d’une magie primaire et violente. Godric n’aurait pas cru possible de soumettre un être semi-humain à sa volonté sans l’aide d’un outil aussi puissant qu’une baguette. Les non-morts, lui avait rapidement expliqué Halvard durant leur fuite, gagnaient de nombreux pouvoirs grâce à la malédiction de magie noire qu’ils s’infligeaient. Ils gagnaient aussi des points faibles qu’il avait appris à exploiter auprès de son mentor. Dès la mort de leur ancien, les autres vampires s’étaient jetés sur les sorciers en espérant pouvoir s’en saisir et s’en repaître, mais ceux-ci prirent la tangente aussitôt et fuyaient à présent l’armée des serviteurs des nosfératus. Dans leur fuite, une bonne trentaine de goules avaient péri. Ils ne parvinrent pas à retourner complètement sur leurs pas et furent obligés d’improviser. Ce fut une nouvelle fois Halvard qui les tira du pétrin. Filant l’air de ses doigts, il indiqua l’emplacement d’une porte secrète qu’il ouvrit grâce à sa magie particulière. Dès que le passage fut ouvert, Rowena se précipita à l’extérieur, trop heureuse de retrouver un air un peu plus frais.
— Eh bien ! Quelle aventure ! s’exclama Godric, tout fier.
— Tu parles d’une aventure ! Chaque fois que je te suis dans une de tes bêtises, nous sommes à deux doigts d’y rester !
Halvard prit soin de condamner le passage derrière eux.
— Le côté positif, c’est que nous avons trouvé un autre point d’entrée. Je ne pense pas que les goules ou les vampires le connaissent.
— Où sommes-nous ? se demanda Rowena à voix haute.
Les trois compagnons examinèrent les alentours, le temps de récupérer leur souffle. Les lieux sombres et bas de plafond évoquaient une cave, une crypte peut-être. L’humidité suintait sur les murs d’en face, faisant luire la pierre à la lumière des baguettes.
— Nous ne devons pas être loin du fleuve, fit remarquer Halvard en étudiant le phénomène.
— Il y a une échelle, ici, indiqua Rowena.
Après avoir grimpé à l’étage supérieur en passant par une lourde trappe en bois bardée de fer forgé, ils aboutirent dans une arrière-cour de taverne, sous un appenti qui servait à entreposer des fûts et du bois. Ils furent surpris par le tenancier qui invectiva les intrus, le temps que ces derniers lui jettent un petit sort d’oubli et s’éclipsent discrètement. Ils regagnèrent le Chaudron Baveur où ils firent le bilan de la situation.
— Nous sommes entrés dans les tunnels à l’extérieur des remparts, au nord, commença Rowena. Et nous sommes ressortis complètement à l’opposé, près du fleuve. Et pourtant nous avons fait des détours.
— Oui, ces tunnels sont plus étendus que je ne le pensais, admit Godric. Et nous n’en avons vu qu’une petite partie, à mon avis. Ils doivent s’enfoncer très profondément. Et, Halvard, merci encore. Sans ta participation, nous aurions eu beaucoup de mal à nous en sortir.
— Je ne toucherais pas ma part si nous ne réussissons pas, répondit Halvard en regardant l’hydromel dans son gobelet. Tout ce qui m’intéresse là-dedans, c’est de gagner de quoi m’offrir une de ces baguettes.
— Combien de temps avant qu’on puisse redescendre, à ton avis ?
— Aucune idée. Mais les vampires sont sans doute déjà en train de s’entre-déchirer pour savoir qui va succéder à l’ancien. Ils pourraient même s’entre-tuer en ce moment même.
— Laissons s’écouler trois jours, proposa Godric. Je peux compter sur vous ?
Rowena et Halvard firent oui de la tête.
— J’irais voir Gortak demain, il n’avait pas mentionné de confrérie de vampires, il faut que la récompense soit à la hauteur du risque. Rowena, si tu connais qui que ce soit susceptible de nous aider, n'hésite pas.
— Je ne connais personne à Londres, dénégua l'intéressé. Et je ne pense pas que les sorciers du coin risqueraient leur peau pour aider des gobelins et des nés moldus. Ils sont trop coincés, trop prétentieux.
— Des vampires à Londres ! On devrait pouvoir trouver quelqu’un que ça inquiète !
— La plupart des sorciers ne vivent pas en ville, ils se moquent bien de savoir si quelques moldus crasseux disparaissent, rétorqua Rowena, cynique.
— Et ils évitent de s’attaquer à nous, ajouta Halvard. Surtout ici, avec toutes ces baguettes en circulation. Les non-morts s’occupent de leurs affaires, et nous des nôtres. Tout le monde est content.
Godric estimait qu’au contraire personne ne devait être content, surtout pas les familles des moldus disparus. De toute façon, il ne pouvait rien y faire pour le moment. Il ne connaissait personnellement aucune des familles de sorciers vivant à Londres. Et il devait se préoccuper du petit Arthur et de Gwendoline.
— Quoi qu’il en soit, nous y retournons dans trois jours. J’ai de nombreuses choses à faire d’ici là.
— Je compte rester au Chaudron, de toute façon, annonça Rowenna. Tu es tout le temps parti en vadrouille, il faut bien que quelqu’un s’occupe de Gwendoline.
— Ne lui apprend rien d’inapproprié pour son âge ! la taquina Godric en retour, en la pointant d’un doigt réprobateur.
— Je vous retrouverais devant le passage de la taverne à l’aube, lança Halvard en s’éloignant déjà.
Les deux amis le regardèrent un moment s’éloigner en silence. Ils ne savaient trop que penser de lui. Oui, il les avait aidés et s’était montré plus compétent et redoutable qu’ils ne s’y étaient attendus. D’autre part, Halvard restait pour eux un homme distant, froid et, ils l’avaient vu lors de son combat contre le vampire, cruel. Sa façon de vaincre le nosfératu resterait gravée dans leur mémoire à tout jamais, la violence crue de la scène les fit frémir à présent que la tension retombait. Ils prirent le chemin du Chaudron en se remémorant le bon vieux temps, lorsqu’ils passaient une enfance insouciante dans la campagne, loin des villes et des tracas de l’âge adulte. Bientôt, ils devraient de nouveau prendre le risque d’être blessés ou même de perdre la vie pour assurer l’avenir de gobelins qui les détestaient et d’enfants nés-moldus dont nombre de parents les tueraient s’ils le pouvaient. Le monde devenait fou, il changeait et les sorciers risquaient de ne pas pouvoir conserver leur place dans la société.
C’est sur ce constat qu’ils atteignirent le Chaudron. Ereintés, ils eurent recours à une potion dont Rowena avait le secret pour se remettre de leurs émotions et chasser la fatigue.
— Tu comptes aller voir Gortak pour des explications ?
— Oh non ! Certainement pas. Si nous allions lui raconter que nous avons terrassé une trentaine de goules et le plus puissant des vampires, il risquerait de monter une expédition lui-même pour finir le travail et refuser de nous payer.
— Tu sais qu’il a des yeux partout, le prévint Rowena. Il doit déjà savoir que nous sommes descendus.
— Je lui dirais que nous n’avons fait qu’un travail de reconnaissance et que nous interviendrons dans quelques jours. Ce qui n’est pas complètement faux. Il faut aussi que nous trouvions quelqu’un d’autre pour nous épauler.
— Je demanderai aux sorciers de passage ici, renchérit Rowena. Tu devrais t’occuper de ton élève, aujourd’hui. Elle doit apprendre à se servir de sa baguette et elle ne pourra pas se défendre avec des papillons lumineux.
Godric et elle se comprenaient bien et s’appréciaient mutuellement. Ils échangèrent un regard complice et Godric sentit son cœur battre soudain un peu plus fort. Qu’était-ce donc que ce sentiment ? Rowena se leva et l’embrassa tendrement sur la joue, comme lorsqu’ils étaient enfants.
— Je vais me reposer un peu dans ma chambre, à plus tard.
Godric acquiesça sans un mot, un peu troublé. Pour la première fois, il considérait Rowena non plus comme une amie d’enfance, une sorte de petite cousine ou une petite sœur, mais comme une femme. Une femme belle, intelligente, désirable. Le voyait-elle autrement aussi ? Son baiser signifiait-il quelque chose ou n’était-ce qu’une réminiscence du temps passé ensemble, des années auparavant ?
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