Chapitre dixième
Godric et Rowena marchaient sur les berges du fleuve, dans Londres encore endormie. L’aube ne se lèverait que dans une bonne heure encore. Ulrich, un sorcier âgé se prétendant chasseur de harpie, les accompagnait dans leur expédition, moyennant une part de la récompense. Il les suivait quelques pas derrière, à peine visible dans la brume.
— Halvard sera là ? Nous ne l’avons pas revu depuis l’autre jour.
— Je pense, oui, Rowena. Je ne sais pas si nous pourrons entrer s’il ne vient pas, donc inutile de s’inquiéter.
Ils furent bientôt en vue de l’estaminet à l’arrière duquel se trouvait le passage vers les tunnels gobelins.
— Deux moldus ont disparu dans le coin, commenta Ulrich. Pour ça que je suis là, je pensais que c’était un coup possible pour une harpie. Ce serait des vampires, d’après-vous ?
— Et des goules, par dizaines, répondit Godric à un Ulrich presque invisible dans l’obscurité. Si nous ne faisons rien, ils pourraient même prétendre prendre possession de la ville.
— Avec tous ces fanatiques à tonsure qui ratissent la ville ? Non, certainement pas, répliqua Ulrich. Ces andouilles de moldus ne sont pas capables de faire la différence entre un pessonier et un sorcier. Rien qu’hier ils ont cramé cinq moldus après les avoir accusés de sorcellerie. Si les vampires sortaient de leur trou, ils se retrouveraient bien vite avec une armée au trousse, c’est moi qui vous le dit.
Malheureusement, ni Rowena ni Godric ne pouvaient le contredire. Ils pouvaient eux-aussi témoigner de cette vague de persécution complètement folle qui sévissait dans le pays et le cœur du phénomène, c’était Londres. La veille, Godric était allé voir la famille du petit Arthur pour s’assurer que leur accord tenait toujours. Une troupe de gens se tenait massée devant leur masure, essayant d’entrer dans ce lieu manifestement envahi par le diable et déterminée à mettre fin aux jours de tous ses occupants. Des cris, des insultes et des pleurs parvenaient aux oreilles du sorcier depuis l’intérieur de la maison. La foule n’allait pas tarder à mettre le feu à la bicoque, sans tenir compte du risque d’incendie généralisé. Godric s’apprêtait à intervenir quand une vibration et un grondement se firent sentir. Puis la porte et le chambranle volèrent en éclats, repoussant pour un temps l’attroupement sauvage qui en fut tout chamboulé. Puis les planches craquèrent, la toiture s’affaissa dangereusement et le jeune sorcier n’eut plus d’autre choix que de lancer. Il brandit son épée, éleva la voix et se fraya un chemin parmi les assaillants abasourdis.
— Place ! avait-il crié, l’arme au clair. Il est temps d’en finir !
Tous s’effacèrent devant ce géant barbu et armé. Godric put ainsi entrer et se retrouva devant une scène terrible. Dans sa peur, Arthur avait libéré ses pouvoirs et c’est lui qui causait tous ces dégâts. Sa mère le tenait toujours dans ses bras et tentait de le calmer. Les frères et sœurs du petit se tenaient recroquevillés dans un coin, apeurés autant par la foule que par la magie brute qui broyait leur maison. Le père gisait à terre, sans connaissance, une vilaine plaie à la tête. Godric s’assura qu’il respirait encore et le gifla doucement pour le réveiller.
— Vous ! s’exclama la mère, reconnaissant le sorcier qui voulait, de son point de vue, lui voler son enfant.
— Oui, moi. Et je suis désormais votre seul espoir de quitter la ville en vie. Alors faites ce que je dis.
Godric releva le mari qui se tenait la tête en grognant et, d’un coup de baguette, fit cesser le saignement.
— Êtes-vous prêts à partir ? s’enquit le sorcier.
— Nos affaires sont réglées, oui, répondit l’homme, encore vaseux. Et nous n’avons pas tant de biens que ça à trimballer.
— Très bien, en route. Et jouez le jeu.
Godric sortit sa baguette de sa poche et fit un moulinet dans les airs. Des cordes s’enroulèrent autour du mari et de sa femme, d’Arthur et des autres enfants. Puis Godric cria :
— Allez ! Dehors bande de démons ! Vous brûlerez avant ce soir !
Godric rangea sa baguette et sortit le premier, repoussant la foule en jouant sur la peur des évènements, de sa carrure et de son épée. La famille le suivait, sans avoir besoin de feindre la peur ni les larmes. Les enfants étaient tout simplement terrorisés. Ils n’échapèrent pas aux insultes, aux quolibets et au crachats, voire à des jets d’objets divers : vieux souliers ou fruits et légumes pourris. Mais globalement, Godric fut satisfait de son extraction. Il joua d’une magie subtile au fur et à mesure qu’il avançait, lançant discrètement des sortilèges de confusion et d’oubli sur ceux qui les suivaient. Finalement, dans une ruelle, il parvint à se retrouver seul avec la famille. Il fit s’évaporer les cordes d’un coup de baguettes et accompagna tout ce petit monde jusqu’aux abords de la ville où il leur acheta une vieille charrette et une mule.
— Arthur reste avec moi, assena-t-il sans laisser le loisir aux parents de répondre. Prenez la route vers l’ouest, je saurais vous retrouver.
Il allait partir en tenant le gamin fermement par l’épaule quand la mère du garçon se jeta sur lui, non pour l’en empêcher mais pour le remercier. Elle embrassa son fils avant de regagner le chariot.
Arthur depuis lors se trouvait avec eux au Chaudron. Gwendoline et lui s’entendaient plutôt bien, car pour la première fois, Arthur côtoyait un enfant doté des mêmes capacités que lui, à qui il ne faisait pas peur. Godric, perdu dans ses pensées, n’entendit pas tout de suite la voix d’Halvard s’élever dans la brume.
— Il était temps ! La ville se réveille et le patron de la taverne est déjà debout.
— Cesse-donc de ronchonner, rétorqua Rowena. Nous avions dit : à l’aube. Nous avons au moins une heure d’avance.
Halvard n'apprécia pas qu’une femme se permette de lui parler de la sorte. Il n’en avait pas l’habitude. Ces anglois décidément ne lui plaisaient guère.
Les quatres sorciers n’eurent aucun mal à se glisser discrètement dans la cour. Un sortilège suffit à déverrouiller la lourde porte barrée de métal qui fermait l’établissement et le tavernier s’occupait en cuisine avec son épouse. Une lourde chaîne et un cadenas condamnaient la trappe et donc l’accès à la cave. Rowena l’ouvrit d’un simple coup de baguette et Godric ouvrit la trappe, laissant Halvard descendre le premier, suivi d’Ulrich.
Halvard ne mit pas longtemps à retrouver le passage secret des gobelins et l’ouvrit sans tarder. Une fois que les quatres compagnons furent entrés, il condamna de nouveau l’accès. Rowena fit de la lumière et eut un hoquet de surprise et d’horreur : au sol gisait le cadavre d’au moins quatre goules, difficilement reconnaissable vu leur état.
— Les vampires n’ont pas apprécié notre fuite, je pense, commenta froidement Halvard.
— Pourquoi ça ne sent presque rien ? Ces choses sont toutes sèches.
— C’est l’œuvre de vos vampires, ma bonne demoiselle, expliqua Ulrich. Avant de massacrer ces créatures, ils les ont vidés de leur sang. Pas de gâchis. Les corps refroidissent rapidement et se dessèchent au lieu de pourrir.
— Charmant, commenta Godric. Si nous avancions ?
Godric en tête, baguette et épée à la main, ils s’avancèrent à nouveau dans les couloirs sombres de l’antre gobelin. Ils savaient qu’il leur faudrait une longue marche et descendre profondément avant de trouver les vampires. Mais il leur fallait rester prudents : les goules, elles, pouvaient surgir de la première ombre venue.
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