Chapitre onzième
Une première goule les assaillit au détour d’un couloir, plus d’une heure après le début de leur descente. Ulrich révéla alors des réflexes vifs. D’un moulinet rapide de sa baguette, il repoussa la créature qui alla s’écraser contre le mur avec un bruit mat. Puis il utilisa un sortilège complexe dont Rowena ignorait l’existence pour chasser la magie du corps de la goule, ce qui mettait fin à ses jours.
— Étrange façon d’en finir avec une goule, remarqua Halvard.
— C’est une méthode indolore, plus humaine. J’ai l’habitude de traiter avec des harpies. Quand il faut en arriver là, cette méthode permet de les neutraliser sans brutalité inutile.
Godric n’aurait pas cru qu’Ulrich serait si tendre, ni si compétent. Le vieux sorcier lui avait d’abord paru comme simple et brutal, un peu sauvage. Il réalisa qu’il manquait encore d’expérience, tant en magie que dans ses relations avec d’autres sorciers.
— Mais ne vous y trompez pas, continua Ulrich, c’est une magie très sombre. Utilisée contre un sorcier, elle pourrait diminuer ses pouvoirs de manière permanente, ou même les faire disparaître.
— Jamais je n’ai entendu parler d’un tel sort ! s’extasia Rowena. Vous l’avez inventé ?
— Non, c’est mon maître qui me l’a transmis. Il le tenait lui aussi de son maître et ainsi de suite jusqu'à l'époque de Merlin. Mais il aurait été inventé par Morgane.
— Interessant. Nous avons donc un héritier de Morgane, et un de Merlin.
— Vous ? questionna Ulrich, curieux.
— Non, moi, intervint Godric. Mais si nous pouvions réserver ça pour plus tard. Nous sommes en pleine chasse au vampire, je vous le rappelle.
Ils furent contraints de descendre encore un moment, empruntant des escaliers étroits, avant de rejoindre la zone où le clan de vampire se trouvait la dernière fois. Dans la salle du duel, ils ne rencontrèrent que quelques goules qui se chamaillaient les cadavres d’une dizaine de leurs congénères. Et parmi les corps des goules, celui d’un vampire gisait, démembré partiellement, méconnaissable. Halvard avait eu raison : les luttes de pouvoirs chez certains clans de non-morts pouvaient se révéler dangereuses pour les participants. En quelques sortilèges, les goules furent rassemblées au centre de la pièce et brûlées par un sortilège de feu que Rowena s’empressa de lancer, dégoûtée par la scène et fortement incommodée par l’odeur.
— Je ne saurais dire si ces choses empestent plus vivantes ou mortes ! pesta-t-elle, un mouchoir sur le nez.
— Continuons, suggéra Halvard. Les vampires se sont sans doute réfugiés plus profondément.
Les sorciers empruntèrent le passage au fond de la pièce, derrière le trône de pierre qui se trouvait là. Ils aboutirent dans un passage plus large que la moyenne et finalement dans une vaste caverne. Quand ils illuminèrent l’endroit à l’aide de leurs baguettes, ils découvrirent une multitude de portes, de ponts qui s’entremêlaient, de chemins de pierre.
— C’est la cité des gobelins, comprit Godric. Des centaines de familles devaient vivre là à une époque.
Ils formèrent deux groupes et commencèrent à explorer la zone. Godric et Rowena d’un côté, Ulrich et Halvard de l’autre. Des goules erraient ça et là, ne représentant aucune menace sérieuse. Dans les alcôves, anciens domiciles de familles gobelines, ils dénichèrent toutes sortes d’objets. Des habits aux ustensiles de cuisines et même parfois des objets précieux, magiques ou non, les habitants avaient abandonné derrière eux une bonne partie de leur ancienne vie, sans doute poussés par la folie grandissante du dernier suzerain des lieux. Pour qui savait quoi chercher, il restait ici des monceaux de richesses.
Halvard et Ulrich découvrirent le cadavre d’un autre vampire. Victime de l’un de ses frères, les goules n’y avaient curieusement pas touché. Il devait donc rester deux vampires. Où donc pouvaient-ils se trouver ? S’étaient-ils mis d’accord pour régner sur ces profondeurs ? La vaste caverne ne recelait la réponse à aucune de ces deux questions.
— Peut-être sont-ils partis ? supposa Rowena lorsque les deux groupes firent jonction. Après tout, ils savent que les gobelins veulent reprendre la place.
— Ce n’est pas impossible, répondit Halvard d’un ton monocorde.
— Je ne connais pas aussi bien les vampires que les harpies, intervint Ulrich, je ne saurais pas vous dire.
Ils continuèrent donc et aboutirent bientôt dans une autre caverne, plus petite mais d’aspect plus riche, plus travaillé. De nombreuses goules s’y trouvaient, et le quatuor n’eut d’autre choix que d’engager le combat. Les sortilèges fusèrent bientôt de toute part et ce fut pire lorsque, tentant de surprendre les sorciers, les deux vampires bondirent au cœur de la mêlée. Les goules hurlaient et feulaient dans l’obscurité brisée seulement par les éclairs et les flashes des sortilèges. Godric se servit de son épée à plusieurs reprises pour couvrir ses camarades. Mais au final, les goules prirent la fuite et les vampires furent désarmés.
Godric insista longuement pour les épargner : en tant que créatures humaines, du moins en partie, il estimait que le droit de les exécuter ne leur revenait pas. Halvard s’en moquait mais penchait pour une mise à mort immédiate. Les gobelins, selon lui, ne se seraient pas embarrassés de telles questions. Ulrich penchait du côté d’Halvard. Pour avoir côtoyé des créatures semi-humaines durant une bonne partie de sa vie, il savait qu’on ne pouvait pas faire confiance à des créatures corrompues par des magies extrêmement sombres pour se conduire convenablement. Quant à Rowena, elle en aurait bien gardé un pour l’étudier.
Finalement, il fut décidé de laisser les gobelins s’en charger. Cela revenait à les condamner, mais au moins ils n’auraient pas le sang de ces non-morts sur les mains.
— Que faisons-nous de leurs baguettes ? questionna Halvard, qui ne cachait pas sa convoitise.
— Ils les ont sûrement volées, supposa Ulrich. Et l’utilisation d’une baguette par une vampire à tendance à la corrompre. Nous devrions les détruire.
— Où les rendre aux propriétaires ou à leur famille, suggéra Godric. Une baguette vaut cher. Je pense que ceux qui les ont fabriquées pourraient retrouver à qui elles appartiennent.
— À qui elles appartenaient, corrigea Rowena. Les baguettes ne sont pas de simples objets. La magie qui les anime les rend vivantes.
— Tu en connais un rayon, on dirait.
— Je m'intéresse à de nombreux sujets, Halvard. Ce que je voulais dire, c’est que si un sorcier est vaincu par un autre, il arrive que sa baguette change d’allégeance.
À ces mots, Halvard eut un grand sourire et avança sa main vers les baguettes que Godric tenait dans sa paume ouverte. Les deux vampires portaient sur eux pas moins de sept baguettes.
— Si ce que tu dis est vrai, alors l’une de ces baguettes devrait m’appartenir.
Et alors même qu’il effleurait l’une des baguettes, il sentit quelque chose, comme un souffle sur sa peau, comme un fluide dans son sang. Il s’en saisit et la contempla, sous le regard des autres.
— Tu sens quelque chose ?
— C’est comme si elle me parlait… répondit Halvard dans un souffle, d’une voix à peine audible.
— Garde-la. C’est ce que tu voulais après-tout. Nous devrions partir d’ici, et informer Gratuc.
— Ce n’était pas Gortac, le nom de ce gobelin ?
— Ah oui, c’est ça, admit Godric. J’ai toujours eu du mal avec les noms des gobelins. C’est comme s’il leur manquait des lettres dans leur alphabet.
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