Chapitre 4
5h30. Réveil du tonnerre. Une fois de plus j’ai la tête dans le cul. Je songe à mon premier cours de la journée : EPS. Je sors un pied de mon lit, ouvre légèrement les volets, puis je guette le temps à l’extérieur. J’aperçois un ciel gris et non avenant qui m’attend dehors. Je referme les stores sans sourciller, ma décision aura été rapide. Je préfère retourner me coucher. Je pense pouvoir me passer de deux heures de rugby sous la pluie. Mon père étant en voyage d’affaire, je n’aurai qu’à mentir et dire à ma belle-mère que je commence à 10h, une fois de plus.
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J’ouvre lentement mes paupières. Mes yeux mettent du temps à s’habituer à la lumière. Je tourne ma tête en direction de ma table de chevet. Sur l’écran du réveil je peux lire 8h17. Je me sens beaucoup mieux. Le temps de prendre une douche et c’est parti pour une journée aussi ennuyante que les autres. Vivement la fin de l’année.
Je suis arrivé dix minutes en avance à l’arrêt de bus. Conséquence directe : je ne peux m’empêcher d’acheter une gourmandise pour faire passer le temps. C’est les pieds refroidis par la neige fondue que je me dirige vers la boulangerie du coin. Arrivé je commande un pain au chocolat. La vendeuse me regarde illico, perplexe :
- Vous voulez dire une chocolatine, jeune homme ?
Je m’apprête à lui répondre. Mais intérieurement, je me dis que plus vite je lui donnerais raison plus vite j’aurai mon pain au chocolat.
- Oui oui c’est ça, excusez-moi.
Elle hoche la tête en signe d’approbation puis m’encaisse rapidement, il faut dire qu’il y a une sacrée queue derrière moi :
- Tenez votre chocolatine, passez une bonne journée monsieur. Au revoir.
- Merci, pareillement.
En chemin vers l’arrêt de bus, je médite. Je ne comprendrai jamais pourquoi une multitude d’individus s’obstinent à dire chocolatine. Il n’y a que dans cette partie du pays qu’on nomme cette viennoiserie pareillement. De plus, quand on achète un paquet de chocolatines comme ils disent, c’est pain au chocolat qui est inscrit sur l’emballage. Cela devrait suffire à les convaincre, non ?
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15h15. Salle de classe. Début du cours. Nous entamons à peine nos deux heures hebdomadaires d’EMC (Education Morale & Civique), que toute la classe s’ennuie profondément. De temps à autre nous pouvons même apercevoir le prof bâiller. Il essaie tant bien que mal de nous enseigner les valeurs de la République, mais c’est peine perdue. Lui-même n’est tellement pas motivé que ça devient difficile pour nous de mettre du cœur à l’ouvrage… Cette matière est totalement inutile. Je vais en profiter pour conter la suite de mon histoire, j’ai plus d’une heure et demie devant moi. Voyons-voir… Où j’en étais déjà ?
« … Si vous choisissez de parler à un officier de police, vous avez le droit de mettre fin à l'interrogatoire à tout moment et d’exercer votre droit au silence. »
Je reste bouche bée.
- Mais enfin, c’est impossible, comment voulez-vous que je…
- Avancez.
Je fais ce qu’il me dit, mais je suis sous le choc. Tous mes sens sont bouleversés. Je n’entends presque plus rien, mis à part mes pas lourds sur le plancher. Je ne sais plus ce que je touche. Si je n’arrivais pas à décoller mes deux mains, je n’aurais même pas conscience que je suis menotté. Ma vision se brouille sous mes larmes abondantes, je vois flou. Je panique. Ma fréquence cardiaque s’élève. Je peine à respirer, j’ai l’impression de me noyer.. Nous passons par le salon avant de quitter la maison. On se croirait à un enterrement. Orian, le frère de Jade, est adossé contre un mur. Il ne bouge pas. Son visage n’exprime aucune émotion. Mais en apercevant les cernes sous ses yeux je devine qu’il souffre. La mère et la fille s'étreignent. D’où je suis, je ne vois que les cheveux de Jade, sa tête enfouie dans les bras de sa mère. Je n’entends pas grand-chose, mais je devine qu’elles pleurent toutes les deux.
- Jade…
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Je me redresse sur ma chaise, légèrement inconfortable. Je crois que je ne l’oublierai jamais. A cet instant précis, sa mère, les yeux imprégnés de larmes, me fixait avec un regard assassin. J’avais le sentiment terrible d’être passé du statut de gendre idéal à celui de meurtrier... Si ses yeux avaient pu tirer des balles à ce moment-là, je serais sûrement déjà mort.
J’observe la classe d’un œil distrait. Le prof est toujours en train de jaser. Au premier rang, les quatre cinq intellos de notre classe suivent le cours à la lettre, comme d’habitude. Devant moi, Camille et Corentin discutent de tout et de rien, comme si de rien n’était. Sur ma gauche, Evan et Guillaume, toujours ensemble, se racontent des blagues et pouffent de rire. Le prof n’a pas l’air de trop les déranger. Et à côté de moi, Théo semble écouter la leçon, mais son regard fixe sur le tableau derrière la prof me montre explicitement qu’il est dans la lune… Je respire un bon coup.
Le policier m’entraîne vers la sortie.
- Jade, s’il te plaît, il faut que tu me crois, je n’ai rien fait, je te le jure !
Il ouvre la porte et commence à m’entraîner dehors. Je résiste.
- Je sais pas comment te l’expliquer, mais je n’ai pas tué Ambre, il faut que t’aies confiance en moi !
Elle ne se retourne pas. Sa mère lui dit des messes basses à l’oreille. Son frère a toujours le regard vide. Je ne saurais dire ce qu’il pense. Plus personne ne fait attention à moi désormais. Le flic me pousse plus qu’il ne m’emmène à l’extérieur.
Dehors il pleut des cordes. Le chauve m’ouvre la portière de la voiture et m’invite à y entrer. Je ne bouge pas, je suis tétanisé. Il me pousse violemment à l’intérieur :
- Allez dépêche-toi p’tit con ! Il fallait y penser avant !
Je ne m’oppose pas. De toute façon, je n’en ai pas la force. Penser à quoi ? Ce qui m’arrive est plus qu’insensé. Il referme la portière et s’assoie à son tour. Le moteur démarre, la voiture accélère, le paysage commence à défiler. Mes larmes coulent toujours à flots, j’essaie de m’endormir pour me calmer. Je ralentis ma respiration. J’inspire. J’expire. J’inspire. J’expire. J’inspire…
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Tellement concentré dans mon histoire, je ne me suis même pas aperçu que mon téléphone sonnait et que toute la classe me regardait avant que Théo ne me tapote la jambe avec insistance. Je m’empresse de mettre mon portable en silencieux. Le prof me dévisage. Je soutiens son regard sans trop savoir ce qu’il va m’arriver. Il continue de me fixer sans rien dire. La sonnerie retentit. Dieu merci, je suis sauvé. Le prof soupire et retourne à son bureau.
- Vous pouvez y aller. A dans deux semaines. N’oubliez pas votre livre.
Je range mes affaires et sors de la salle. Je regarde mon téléphone. Un appel en absence de Fleur. Je la rappelle.
- Allô ?
- Oui. J’étais en cours, je pouvais pas répondre. Ça va ?
- Bien et toi ?
- Nickel, pourquoi tu m’as appelé ?
- C’était pour savoir si tu venais au FSA demain ?
Je souris intérieurement. Quelle question.
- Evidemment que je viens, je ne raterai ça pour rien au monde.
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