Soulages.
Soulages c'est un peintre. Célèbre. Se fait pas chier : il peint que en noir. C'est économique. Coûtent chères les couleurs. Surtout quand tu peins grand comme lui. J'suis pas fan de l'art abstrait. Ni contemporain. Souvent foutage de gueule commercial, je considère. Milo Moiré peut aller se faire cuire un œuf, entre autres. Mais mon avis compte pas : j'y connais rien. J'aime le génie à la Dali et les délires joyeux à la Niki St Phalle, par exemple, mais Soulages c'est que noir. Ça me paraît facile. "Viens, on va voir l'expo !" Me dit mon Amoureuse. Je vais voir des photos en ligne. Noires, évidemment. Et noir c'est noir ça me laisse peu d'espoir. J'aime pas d'avance. Mais par ouverture d'esprit et par amour je dis : "Ok." Et puis m'en fous, on a des entrées gratuites. On va. Ambiance feutrée silencieuse. "Brou de noix sur papier" je lis en bas du petit tableau. Gros traits croisés presques noirs sur papier presque blanc. Bon équilibre, d'accord, mais sans vouloir noircir le tableau, j'adhère pas. Bon, m'en fous, c'est gratuit. J'ramène ma science large mais peu profonde : "Brou de noix je connais, teinte naturelle pour les meubles." J'étais ébéniste au siècle passé. J'veux impressionner ma belle admirative. Pas de moi, de Soulages. Mon impressionnisme marche moyen. Poursuite de visite. Goudron sur verre. Gros traits de goudron noir sur gros morceau de verre brisé. Peux pas dire que c'est moche, parce que c'est pas moche. Original, disons. Goudron je connais. Y'en a plein sur les routes. Là c'est sur du verre. Je tais ma science à mon amoureuse... Au suivant... Très grand tableau avec très gros traits noirs sur très grande toile blanche qui apparaît par-ci, par-là sous le noir. Monotonie monochrome. Mon Amoureuse adore. Tant mieux, pas venus pour rien. Elle : "Comment tu trouves ?" Failli répondre "noir.." Mais je dis "Intéressant...". Je reste abstrait. Suis pour la paix des méninges. Vais pas me tirer une balle dans l'pied. Bon, suivant. Je parie que ça sera noir... Héééé Oui… Mais attend... Non ! Y se passe un truc là. Je tombe... comment dire ?... En émerveillation ! Je n’trouve pas mieux. C'est noir, certes, et totalement cette fois, mais la très épaisse couche de peinture est structurée, brillante et réfléchissante. Le tableau s'accapare la lumière, la "travaille", la reflète sur ses reliefs, la renvoie. Nous l'offre sublimée en cadeau. La lumière fait le tableau qui fait la lumière qui fait le tableau... Infini. Je ne suis plus dans la traduction par mon cerveau de ce qu'observe mon œil. Je suis dans une nouvelle vision par l'âme, le cœur et l'esprit d'une œuvre transcendante. Du jamais vu. J'ai passé une frontière. Je comprends. Au-delà du noir il y a une nouvelle dimension : l'Outrenoir. Ce n'est plus un tableau, c'est une émotion parfaite. Tout est juste. De la magie noir blanche. Le tableau suivant est du même acabit. Une grande surface mat et plate côtoie en équilibre une partie épaisse avec des structures régulières lisses est brillantes. C'est le même noir partout mais d'un côté la lumière est absorbée, entrante et semble aspirée dans l'œuvre pour être ensuite comme projetée plus forte de l'autre côté par les surfaces des reliefs structurés. L'esprit suit le même chemin, aspiré par un côté, projeté par l'autre dans une boucle infinie qui dure le temps de la contemplation. Un truc de fou ! Non !... De génie ! Merci l'artiste, vous m'avez entraîné dans votre monde obscure pour me faire voir la lumière.
J'avoue : je suis "Soulagé".
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