Le voyage au Canada
Antonin, qui venait de finir sa tasse, se tourna vers Basile et lança sur un ton détaché.
- Et si l’on demandait au principal intéressé ce qu’il en pense ?
En un instant tous les regards se braquèrent sur Basile, qui s’enfonçait de plus en plus dans son fauteuil. Il était comme un jeune acteur dont tous les projecteurs étaient braqués sur lui.
- Il est vrai, avança Armand, je ne suis plus tout jeune et ils n’ont pas tout à fait tort, s’il m’arrivait quoique ce soit, il me faut un bon gérant pour faire tourner le domaine, qu’en penses-tu Basile ?
- Heuuu ! Fit Basile, je n’y avais jamais pensé, croyez-vous que j’en serais capable et puis c’est beaucoup de responsabilités, les ouvriers, le matériel…
- Taratata ! Dit Armand, la plupart du temps, tu te débrouilles très bien sans moi, si j’étais malade, je suis sûr que le domaine continuerait à tourner et personne ne verrait la différence.
- Peut-être, mais vous n’êtes pas malade…
- Basile, tu te sous-estimes, je t’ai déjà vu diriger les ouvriers et ils te respectent, précisa Émile.
- Oui ! Mais c’est pas pareil, ils savent que le patron c’est Armand, moi je ne suis que son aide, je ne suis pas sûr qu’ils me respecteraient autant si c’était moi leur patron, on se connaît trop bien, j’ai travaillé avec plusieurs d’entre eux avant de venir ici, bredouilla Basile comme pour se justifier.
- Oh ! Basile, qu’est-ce qui t’arrive, tu te dégonfles comme une baudruche, lança Antonin.
- Pas du tout ! S’indigna Basile, je dis simplement que le patron... c’est pas moi…
- Mais cela pourrait être toi, avança Henri, qu’en penses-tu père ?
Basile, les yeux écarquillés et le souffle court, se tourna vers son patron, attendant sa réponse.
- Huum ! Pourquoi pas, c’est vrai ce que dit Émile, ils te respectent parce que tu es le plus ancien et le plus qualifié, penses-y bien…
Henri suspendu aux lèvres de son père n’ose reprendre la parole, pendant que Basile, immobile comme une statue, ne sait quoi répondre.
Joséphine, ayant écouté la conversation, arrive sur ces entrefaites et lance sur un ton enjoué ;
- J’irais bien faire un petit tour au Canada, moi, il y a belle lurette que nous n’avons pas pris quelques jours de repos… de vrai repos j’entends, qu’en penses-tu Armand ? Je suis sûr qu’Henri nous ferait bien une petite place chez lui pour quelques jours, dit-elle en souriant.
Armand pensif, ne bronchait pas, Basile le regardait du coin de l’œil, Henri attendait la réaction de son père.
- Ça tombe bien, dit Antonin, j’ai besoin de me mettre à jour, le matériel change vite ces derniers temps et j’irais bien visiter les usines Massey Fergusson.
- Je ne veux pas te décevoir, dit Émile, mais ce n’est pas tout à fait au même endroit. Tu confonds, le Canada c’est bien en Amérique du Nord mais ce n’est pas aux États Unis d’Amérique.
- Bah ! C’est presque pareil, c’est juste à côté.
- Oh bonne mère ! On voit que tu ne connais pas ta géographie toi, tu faisais quoi pendant les cours de notre instituteur, tu bayais aux corneilles, je suppose ?
- Émile ! Je ne te permets pas de prétendre quoi que ce soit, si tes parents ne t’avaient pas botté le cul, j’suis pas sûr que t’aurais monté ta boulange.
- Mes parents n’ont rien à voir là-dedans et tu les sais très bien et au lieu de faire les vierges effarouchées, admets que tu ne sais pas où est le Canada.
- Soit ! Et alors ? Moi au moins, je ne confonds pas une clé à molette avec une clé à pipe.
- Parce que toi tu sais faire la différence entre une baguette et une ficelle ? Rétorqua Émile, je suis sûr que t’es pas foutu de reconnaître un pain d’épeautre, d’ailleurs je te vois jamais au comptoir de la boulangerie, c’est toujours Manon qui vient.
- Courtes bottes tu me chauffes les oreilles avec tes insinuations, si j’étais pas là pour réparer tes bêtises, il y bien a longtemps que tu serais à pied, figurez-vous que cet énergumène ne savait pas qu’il fallait changer l’huile du moteur de sa camionnette.
- Et toi tu sais peut-être faire cuire une fougasse ? S’emporta Émile….
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