« Quelle perte de temps… soupira Pavel.

- Peut-être, mais elle est nécessaire. » répondit son frère.

Une délégation du royaume avait été accueillie à la cour impériale, et pour ce faire des festivités avaient été organisées. Une réception à enjeux politiques, une démonstration de puissance, en somme. Pour l’heure, ils assisaient à un bal, et l’ambiance était le contraire de ce à quoi elle ressemblait d’ordinaire en temps de guerre. Les gens étaient détendus, souriants, et allaient jusqu’à échanger des plaisanteries.

« Comme si l’on pouvait organiser quoi que ce soit en l’honneur de personnes voulant notre mort.

- C’est le mot ‘‘honneur’’ qui te dérange ? sourit Sergey.

- Oui. C’est absurde.

- N’est-tu as censé être le plus raisonnable de nous deux ?

- Je peux inverser les rôles de temps à autre. »

À ce moment, quelqu’un les rejoignit et engagea la conversation.

« On croirait presque qu’ils sont venus trouver un terrain d’entente, n’est-ce pas ?

- Nikita ? s’étonnèrent les jumeaux.

- C’était donc pour ça que tu nous avais demandé d’être là au plus vite. constata Pavel.

- J’avais des informations à transmettre à certaines personnes… Et je comptais en profiter pour faire le point. Où est Desya ?

- En train de danser avec Sakura. indiqua Sergey avec un sourire. Elle lui a réservé presque toutes ses danses.

- Presque ?

- Tōru. » expliqua Pavel laconiquement.

Le Lieutenant contacta son cadet par la pensée.

Rejoins-nous à la fin de la danse.

Tu es revenu ?

Apparemment. Nous devons parler.

Lorsque les dernières mesures eurent résonné dans la salle de bal, Desya rejoignit les trois autres Chasseurs accompagné de Sakura. En les voyant arriver, les jumeaux échangèrent le même regard. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient vu leur frère d’armes pleinement heureux. Ce bal n’avait pas que des mauvais côtés. Sakura les salua avant de plaisanter :

« J’imagine que je ferais mieux de m’éclipser avant de surprendre un secret d’État.

- Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, répondit le Lieutenant sur le même ton, mais ne vous en faites pas, je ne serai pas long.

- En ce cas, je vous laisse discuter de choses sérieuses. »

Elle sourit et partit dans la foule, bientôt rejointe par son frère. Pendant que la musique reprenait les Chasseurs se rendirent dans un salon à l’écart.

« Vous ne l’ignorez pas, commença le Lieutenant, j’ai été envoyé par les membres du complot pour transmettre des informations. Je vais rester ici un certain temps, que nous allons mettre à profit pour démasquer ceux qui sont à la tête de cette organisation. Cependant il va nous falloir être prudents. On m’a aussi chargé d’une autre mission : ils ont découvert qu’il y avait un traître parmi eux, et le croient à la cour impériale. Mon objectif est de le trouver.

- Quel suspense. s’amusa Sergey.

- Là n’est pas le problème. Le fait est que je ne suis pas seul. Ils ont envoyé quelqu’un pour me seconder. Pas parce qu’ils ont des doutes à mon sujet, mais parce qu’ils ont pensé qu’il valait mieux associer une royale et un impérial pour cette mission. »

Une royale ? interrogea Desya.

« Vous la rencontrerez sûrement bientôt, mais elle risque de ne pas nous faciliter la tâche. Elle s’appelle Lucie Rivière. Il faudra d’ailleurs faire attention à m’appeler par le nom que je me suis donné, en sa présence.

- En l’occurrence ? s’enquit Pavel.

- Mikio Nishimura.

- J’aime assez. apprécia Sergey.

- Il faudra être un minimum prudents, tout en ne traînant pas. » conclut Nikita.

Après cet échange, ils retournèrent dans la salle de bal. Alors qu’ils y entraient, ils croisèrent l’une de leurs connaissances.

« Bonsoir, Lieutenant. le salua-t-elle.

- Eriko ? s’étonna-t-il. Que faites-vous ici ?

- À votre avis ?

- Vous continuez à jouer à l’espionne et avez matière à discuter.

- En effet. Je risque de vous sembler bien cavalière, mais m’inviteriez-vous à danser ?

- Aller au cœur de la foule pour s’isoler. Vous faites des paris risqués.

- Question de point de vue.

- Certes. »

Une expression ennuyée passa sur son visage, puis il demanda avec un mélange de sérieux et d’ironie :

« M’accorderiez-vous cette danse ?

- Avec plaisir. »

Ils rejoignirent la piste de danse sous le regard amusé des trois autres Chasseurs. Les cordes commencèrent à jouer. Une valse. Elle laissa passer quelques mesures avant de commencer :

« Raconterez-vous un jour à vos proches votre histoire ?

- Qu’entendez-vous par là ?

- Leur direz-vous qui vous étiez réellement ?

- De quoi parlez-vous ? demanda-t-il à nouveau, sur la défensive.

- De votre réelle identité. Enfin, votre première.

- Mais comment savez-vous cela ? »

Elle ne put réprimer un sourire devant sa surprise.

« Grâce à ma capacité spéciale, expliqua-t-elle, je suis une ainë.

- Ceux qui peuvent voir le passé… comprit-il. Et à quel moment vous êtes-vous permis cette intrusion ?

- Plusieurs fois, lorsque nous voyagions dans le royaume, malgré moi.

- Malgré vous ? releva-t-il d’un air dubitatif.

- Je ne maîtrise pas encore bien mon pouvoir, se justifia-t-elle, je ne l’ai reçu que récemment.

- Que me racontez-vous là ? Les incantations s’acquièrent à la naissance.

- Pas dans mon cas. Je suis née sans pouvoir, et il y a deux ans environ, je l’ai obtenu.

- Et comment auriez-vous fait ?

- Si je vous le disais, vous ne me croiriez pas.

- Au point où nous en sommes… »

Il ne dissimulait pas son agacement grandissant. Elle se sentait presque coupable d’en être la cause.

« Je vous raconterai tout ceci une autre fois, car j’ai peu de temps. Je suis d’abord venue vous prévenir que celui que vous recherchez, l’homme à la tête du complot, n’est pas ici.

- Où se trouve-t-il, dans ce cas ?

- Dans le royaume. Cependant, je ne puis vous en dire plus sans risques. »

La musique s’arrêta. Ils saluèrent et quittèrent la piste de danse. Avant de retourner auprès des autres, elle s’arrêta et se tourna vers lui. Elle retira son gant droit et lui donna l’anneau qu’elle portait à l’auriculaire.

« La pierre fonctionne comme un cube à souvenirs, si vous l’activez elle vous montrera la liste des principaux membres du complot dans l’Empire. Je suis encore en train d’enquêter sur ceux à la cour.

- Je vous remercie, mais pourquoi m’aider ?

- Les services secrets sont un peu débordés, on m’a demandé de vous mettre à contribution.

- C’est très aimable à eux. ironisa le Lieutenant.

- De toute façon, sourit Eriko, vous êtes déjà en train de rechercher les traîtres, donc cela vous facilite la tâche. À présent, je dois m’en aller. Vous pourrez me rendre ma bague la prochaine fois que nous nous verrons.

- Vous nous avez déjà prévu un autre rendez-vous ? plaisanta-t-il avec une pointe de sarcasme.

- Dans un mois, normalement, répondit-elle sans s’offusquer, j’aurai des informations de valeur. »

Elle parut hésiter puis ajouta :

« Au fait, ne vous en faites pas à propos de votre passé, je n’ai saisi que quelques bribes. Et je ne compte pas révéler quoi que ce soit à quiconque.

- À quoi jouez-vous, Eriko ?

- À rien. Je profite de la vie.

- En perturbant celle des autres.

- Parfois. » reconnut-elle avec un joli sourire.

Il ne put réprimer un soupir.

« Vous m’avez toujours parue assez aléatoire.

- Mais l’inattendu ajoute du charme à la vie.

- Pas toujours.

- Je vous le concède. »

Elle lui fit une révérence, se détourna et disparut dans la foule. Il regarda pensivement l’anneau qu’elle lui avait donné. Il était fait d’or blanc et surmonté d’une petite améthyste. Les jumeaux le rejoignirent.

« Alors, Nikita, tu reçois des gages d’amour ?

- Sergey ! soupira Pavel.

- Je vous expliquerai plus tard. » dit le Lieutenant.

Il rangea l’anneau dans sa poche et ajouta :

« Elle m’agace et m’intrigue… »