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Dans la semi-pénombre qui l’entourait, il attendait. À défaut de repère temporel précis, les allées et venues de l’autre côté de la porte rythmaient l’activité entre ces murs de pierre. Ces derniers jours les températures s’étaient améliorées à mesure que la lumière gagnait à nouveau en force, suscitant en lui un espoir diffus. Il leva le regard vers l’exiguë fenêtre près du plafond. Un minuscule pétale rose pâle passa entre les barreaux et chuta jusqu’au banc de bois sur lequel il était assis. Il le considéra avec une tristesse mêlée de lassitude. Lorsqu’il était arrivé ici les feuilles tombaient, puis le vent les avait chassées et apporté les flocons ainsi qu’un froid mordant. Il avait peu à peu laissé ses espérances retomber à mesure que le givre d’établissait partout, épuisé par de longues journées de travail et des nuits sans sommeil. Mais maintenant, il se rappelait qu’il s’était promis de trouver une échappatoire et de rentrer chez lui, car on l’attendait.

Des pas s’approchèrent dans le couloir et après un jeu de verrous la porte s’ouvrit. Un garde se tenait dans l’encadrement lumineux et lui fit signe de sortir. Il hésita, puis se leva et le suivit. Ils marchèrent le long d’un couloir jusqu’à arriver devant une imposante porte en fer. Il la reconnut pour l’avoir franchie une fois, le jour de son arrivée, avec ses camarades d’infortune. Avant de continuer, le garde se tourna vers lui et sans un mot déverrouilla ses menottes. Surpris, le captif le regarda récupérer la chaîne sans oser demander une explication qu’il n’obtiendrait pas. L’autre ouvrit la porte et ils passèrent dans une vaste cour pavée. Là, ils rejoignirent un jeune homme qui paraissait les attendre. Celui-ci donna un document au garde, qui le prit avec un hochement de tête avant de s’en aller. Le détenu observa l’inconnu, un soldat aux cheveux bruns, sans parvenir à l’identifier ni déterminer la raison de sa présence ici. Il portait un uniforme différent de celui de l’armée impériale et arborait une épée lourde au côté dont les couleurs sombres contrastaient avec celles de sa tenue. Il lui rendait avec aplomb son regard légèrement inquisiteur, un éclat enjoué au fond de ses yeux pers.

« Bonjour, Livio ! commença-t-il. Je pars du principe que je peux t’appeler par ton prénom et te tutoyer, puisque tu ne dois pas être beaucoup plus âgé que moi. »

Il avait parlé dans la langue du royaume. L’entendre à nouveau après tous ces mois lui fit un bien extraordinaire. Depuis son arrivée ici, il avait eu très peu d’occasions de parler aux autres prisonniers, et même si les gardes connaissaient pour certains quelques mots de sa langue ils employaient naturellement celle de l’Empire. Il comprenait celle-ci plus qu’il ne la parlait, mais pouvait tout de même mieux communiquer que d’autres car il avait toujours vécu près de la frontière. Même si l’inconnu s’exprimait avec un accent et que l’on sentait par moments qu’il ne s’agissait pas de sa langue maternelle, il lui était reconnaissant de l’avoir utilisée. Un peu moins sur la défensive, il prit la parole :

« Qui es-tu ? Peux-tu m’expliquer ce qui se passe ?

- Bien sûr ! Je m’appelle Sergey Kessikbayev, et quant à ce que je fais ici… »

Il marqua une pause pour chercher ses mots. Pendant ce temps, Livio essayait de se rappeler où il avait entendu ce nom vaguement familier.

« Disons que je suis venu te libérer pour te ramener à ton frère. Félicitations, au passage.

- Attends, comment me connais-tu ? Et quel rapport avec mon frère ?

- J’aurai plus de temps pour tout te raconter en chemin, mais en résumé il est parti à ta recherche et est arrivé à mon village, où quelqu’un que je connais assez bien a pris soin de lui. Quand j’ai rencontré Rimsky il m’a parlé de toi et je lui ai proposé de l’aider à te retrouver. »

L’autre soldat mit un temps à répondre, à la fois étonné par ce récit qui soulevait davantage de questions et profondément touché qu’un inconnu ait pris le temps de le secourir. Il gardait surtout à l’esprit que tous deux appartenaient à des camps ennemis, et même si la guerre était finie rien ne l’obligeait à tenir sa promesse. Un détail lui revint en mémoire et il reprit :

« Je te suis infiniment redevable. Mais si je peux me permettre, tu es un Chasseur, n’est-ce pas ?

- En effet, pourquoi ?

- Je me disais qu’étant donné ton rôle, c’est surprenant que tu te sois soucié d’un soldat ennemi, peu gradé qui plus est.

- Ça c’est parce que rumeur et véritable identité ne sont pas la même chose. Et puis il y a des circonstances autour. D’ailleurs, tu as de la chance de pouvoir partir maintenant, car tu aurais pu rester facilement deux ans dans l’Empire à aider à la reconstruction.

- Deux ans !

- Oui. Enfin bref, nous avons un peu traîné, allons-y. »

Il commença à se diriger vers la porte de la prison, suivi par Livio. Quand ce dernier vit les deux hauts battants s’ouvrir son cœur se serra.

Enfin… pensa-t-il.

Il franchit ce dernier passage avant la liberté comme dans un rêve. Une fois à l’extérieur il regarda tout autour de lui avec un sentiment d’accomplissement et de joie. De vastes plaines émeraude s’étendaient à perte de vue sous un ciel d’azur. Le soleil approchait du zénith et au loin deux oiseaux de proie décrivaient de larges cercles. Il ne pouvait encore croire qu’il était libre, mais il percevait tout différemment ; les couleurs étaient plus vives, la lumière plus claire, et l’air même paraissait vibrer.

« Livio ! » l’appela Sergey.

Il s’aperçut que celui-ci s’était éloigné pour rejoindre un autre Chasseur qui les attendait avec des Ipsa. Il se rendit auprès d’eux et eut un instant de confusion en voyant le deuxième soldat. Il était exactement pareil que son camarade, comme si celui-ci s’était dédoublé. Constatant sa stupeur Sergey déclara avec amusement :

« Je te présente mon frère, Pavel. Comme tu l’as possiblement remarqué, nous nous ressemblons un peu. Pavel voici Livio Shalev.

- Enchanté. » déclara le Chasseur.

Le soldat se reprit et répondit :

« Moi de même. Excusez ma surprise, je ne savais pas que vous étiez jumeaux.

- Ne t’en fais pas, tu n’es pas le premier.

- J’aurais dû te prévenir, sourit le plus jeune, mais même si Pavel n’a pas l’air particulièrement enthousiasmé ne te fais pas de souci, c’est son expression normale. »

Son frère réprima un soupir avant de reprendre :

« Et si nous nous mettions en route ? Nous avons encore une certaine distance à parcourir avant ce soir. »

Les deux autres acquiescèrent et activèrent leurs chevaux-automates. Alors qu’ils partaient Livio considéra ses deux compagnons de voyage, toujours un peu perplexe, se faisant la réflexion que les événements prenaient un tour inattendu. Depuis qu’il avait appris la fin de la guerre il s’était demandé ce qui lui arriverait, et voilà qu’il était libre et en chemin pour retrouver son frère, accompagné par deux soldats d’élite du pays qu’il avait combattu.

À la réflexion, ceux-ci n’étaient d’ailleurs pas aussi identiques qu’ils lui avaient paru au premier abord. Pavel avait des yeux gris et des traits plus fins, tandis que Sergey possédait un visage légèrement plus rond et un air aussi avenant que celui de son jumeau était indéchiffrable. Il gageait que leurs différences ne s’arrêtaient pas là, puisqu’il pouvait déjà deviner que leurs personnalités étaient assez opposées.

Je me demande à quoi va ressembler mon voyage avec eux.

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