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Jamais la vue du château ne lui avait procuré un tel réconfort. L’imposante bâtisse aux pierres chargées d’histoire lui était apparue au détour du sentier, entre les arbres baignés de lumière. Malgré les lettres qu’il avait reçues, il avait ressenti le besoin de se retrouver devant la demeure où il avait passé son enfance pour prendre enfin conscience qu’elle se tenait encore là, intacte et solide, que tout allait bien et que tout était terminé. Dans quelques instants, il allait retrouver les siens et cette perspective le remplissait de joie. Il fit accélérer un peu son Ipsa et franchit le pont-levis toujours ouvert. Alors qu’il entrait dans la cour un membre de la maisonnée sortit de l’aile droite avec empressement pour le rejoindre. Le cavalier arrêta sa monture et mit pied à terre, avant de se tourner vers le chef des majordomes qui le salua :

« Jeune maître, vous voilà enfin ! Avez-vous fait bon voyage ?

- Bonjour, Séréjen ! La route fut agréable, mais je suis heureux d’être arrivé. Suis-je parti depuis si longtemps que tu n’oses plus m’appeler par mon prénom ?

- Pardonnez-moi, Gavriil, mais il est vrai que vous avez bien changé.

- Pour le meilleur, je l’espère !

- Bien sûr ! Votre famille se trouve dans le salon bleu, voulez-vous que je vous y conduise dès maintenant ?

- Oui, il me tarde de les rejoindre !

- Auparavant permettez-moi de prendre votre manteau, et d’appeler des écuyers pour votre Ipsa et vos bagages. »

Le soldat lui donna sa cape de voyage et le majordome fit un signe à deux garçons qui discutaient près de l’écurie. Ceux-ci accoururent, saluèrent le nouvel arrivant qui leur donna la clef de l’automate, puis commencèrent à s’occuper de ses affaires.

Précédé par Séréjen, Gavriil se rendit à l’aile droite du château. Ils montèrent au premier étage et parvinrent devant une porte de bois clair. De l’autre côté se devinaient des conversations amusées et des rires.

« Inutile de m’annoncer. » déclara le soldat avant d’entrer.

Le silence se fit lorsque les autres le remarquèrent, puis des exclamations fusèrent :

« Gavriil ! Tu es revenu !

- Mon frère, te voilà enfin !

- Tu es là ! »

Son neveu et ses deux nièces se précipitèrent vers lui et commencèrent à parler tous en même temps. L’aînée avait déjà quatorze ans et la plus jeune seulement huit, mais tous trois possédaient le même enthousiasme débordant. Submergé par leur flot de paroles, il tenta de les calmer en riant :

« Doucement, je ne peux pas écouter trois histoires à la fois !

- Dis donc, intervint son grand frère, laissez respirer votre oncle, vous allez l’épuiser. »

Gavriil se tourna vers sa fratrie et ses parents qui s’étaient levés pour le rejoindre.

« Merci de m’avoir sauvé, Aleksandr. Quel enfant dois-je rendre à qui ? plaisanta-t-il.

- Je vais récupérer Sitora, s’amusa sa sœur, et tu devrais au moins te rappeler que Tashi et Amalya sont les héritiers de ton aîné. »

Pour toute réponse, il sourit avant de s’adresser à ses parents :

« Je ne pensais pas trouver notre famille au complet à mon arrivée.

- Tout le monde voulait être là pour t’accueillir. déclara son père. Et comme Solveig et Aleksandr ne sont pas loin d’ici ils ont fait le chemin hier soir et nous les avons hébergés.

- Ça m’a fait bizarre de les voir revenir avec leur moitié et leurs mini-doubles, ajouta le cadet de la fratrie, le château a été envahi !

- Tu n’avais pas l’air de t’en plaindre, répondit leur mère, d’ordinaire tu regrettes plutôt d’être le dernier à rester au domaine. Enfin, je suggère de s’assoir avant de poursuivre la discussion, nous serons mieux installés et Gavriil pourra se reposer un peu. »

Les autres approuvèrent et les adultes prirent place sur les différents sièges du salon tandis que les enfants restaient à une table du fond où se trouvaient des livres. La maîtresse de maison fit un signe au majordome qui sortit pour préparer du thé.

« As-tu fait bon voyage ? s’enquit-elle après cela.

- Excellent, pour une fois je n’avais pas d’objectif mortel au bout et tout s’est passé tranquillement.

- Oncle Gavriil, l’appela Sitora, est-ce que tu aurais des anecdotes des tes missions les plus dangereuses ?

- Tu peux m’appeler seulement par mon prénom, tu sais. Je prends vingt ans à chaque fois qu’on ajoute ‘‘oncle’’ devant. Mais quant à mes souvenirs du champ de bataille… Eh bien premièrement j’ai participé directement aux combats pendant les premiers mois de la guerre, ce qui n’est pas le cas de mes confrères.

- Te connaissant, remarqua son cadet, tu as dû frôler la mort une bonne dizaine de fois en toute sérénité.

- Seulement neuf ! Et j’en ai profité pour parler philosophie avec elle, c’est une interlocutrice très intéressante. Cependant j’ai aussi passé du temps avec les généraux à discuter de la stratégie.

- Je t’imagine plus dans ce contexte-là, commenta son père, tu en as sûrement profité pour t’instruire davantage. Qu’en as-tu pensé ?

- Je dirais que jouer aux échecs m’a bien servi. »

Les autres parurent intrigués tandis qu’il échangeait un regard entendu avec Aleksandr. Tashi quitta la table des enfants pour le rejoindre et prit la parole d’un air perplexe :

« Oncle Gavriil ?

- Aïe, quarante ans… murmura celui-ci comme pour lui-même. Qu’y a-t-il ?

- Est-ce que tu as tué des gens ? »

Le soldat considéra le garçon de dix ans avant de répondre avec douceur :

« Oui, mais seulement les méchants. Sinon ils n’auraient pas arrêté de faire la guerre et d’attrister les autres.

- Dans ce cas je ne comprends pas.

- Quoi donc ?

- Pourquoi les adultes disent que les militaires ont du sang sur les mains ? Je n’en vois pas. »

À nouveau, Gavriil mit un temps à répondre, surpris et amusé par la candeur de son neveu. Il le prit sur ses genoux avant d’expliquer :

« C’est parce que c’est une expression. Quand tu te blesses, par exemple, tu saignes un peu, n’est-ce pas ?

- Oui, parfois.

- Eh bien quand tu combats, ça peut arriver aussi. D’où cette image.

- Ah, je comprends mieux, merci ! C’est comme dans les histoires de chevaliers.

- Tout à fait ! Si tu veux, je peux te raconter quelques moments de mes missions, tu verras que c’est parfois plus intéressant qu’un livre d’aventures.

- Rien d’inapproprié pour les petites oreilles. intervint sa sœur.

- Ne t’en fais pas, Solveig, je ferai gentiment disparaître certains passages.

- Tu as intérêt. » ajouta leur belle-sœur d’un air faussement sévère.

Il acquiesça de bonne grâce avant de s’adresser de nouveau à l’enfant.

« Commençons par l’épisode le plus marquant : le combat contre l’Assassin royal. Cet adversaire était très puissant, et vivait dans un manoir rempli d’illusions. »

Tashi semblait déjà captivé par cette introduction. Un coup d’œil à ses nièces lui confirma qu’il avait aussi toute leur attention. Il esquissa un sourire avant de continuer son récit :

« Mes compagnons et moi étions parvenus à sa demeure au terme d’un long et périlleux voyage à travers le royaume. Mais nous savions que la véritable épreuve commencerait une fois les portes franchies. Cette perspective n’affaiblissait en rien notre détermination ; il était temps de se mesurer à notre ennemi… »

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