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La nuit était tombée doucement avec la neige. De l’autre côté de la fenêtre se devinait une étendue blanche où dansaient les flocons. Dans le salon régnait une ambiance chaleureuse, un feu illuminait la pièce depuis la cheminée de pierre, imité par quelques bougies disposées çà-et-là sur les meubles. Ils s’étaient installés tous deux dans des fauteuils de chaque côté du foyer et gardaient la plupart du temps le silence, n’échangeant que quelques mots de temps à autre.

Elle occupait ses mains avec un ouvrage au crochet tandis qu’il observait les flammes, perdu dans ses pensées.

« Je suis heureuse que tu sois revenu. » déclara-t-elle.

Il tourna vers elle son regard clair et la laissa continuer.

« Je me suis fait du souci pour toi. »

Indécis, il ne trouva que répondre. Tous deux avaient énormément de choses à se dire, ils considéraient l’autre comme membre de sa famille à part entière malgré le temps passé séparé, cependant elle le connaissait assez bien pour savoir qu’il ne se confierait pas dès son arrivée, et lui-même était conscient de ne pas être toujours habile avec les mots.

« J’ai entendu de nombreuses rumeurs à ton sujet, certaines faites de toutes pièces. Mais je savais lesquelles étaient trop absurdes pour te correspondre.

- Je ne sais pas comment je dois le prendre. » tenta-t-il de plaisanter.

Ils sourirent puis le silence s’installa de nouveau. Il la regarda ajouter des mailles à son ouvrage avec une régularité apaisante puis s’absorba de nouveau dans ses pensées. Malgré la fin de la guerre, il n’arrivait pas à se dire que tout était terminé. En un sens, il resterait toujours du travail pour maintenir la stabilité du pays, son souverain lui-même avait dit que l’Empire avait besoin des Chasseurs. Mais après plus d’un an à mener un combat sur deux fronts à la fois, le calme apporté par l’armistice lui paraissait très étrange.

Avant leur départ, Gavriil lui avait fait part de la même réflexion avant d’ajouter qu’il comptait bien profiter de cette accalmie. Sergey et Desya pour leur part n’avaient pas semblé être dérangés outre mesure par cette situation inhabituelle. Le premier clamait haut et fort depuis des mois sa lassitude, et ses frères d’armes devinaient aisément qu’elle était en partie due à l’absence d’une certaine personne. Le second avait surtout joué un rôle conséquent eu égard à ses talents d’espion, au point que même Sakura s’était permise d’adresser quelques remarques à son supérieur. Enfin, Pavel s’était simplement réjoui de la fin du conflit, sans exprimer davantage son ressenti. Ce n’était pas étonnant de sa part, mais cette fois-ci même lui s’était demandé tout ce que son camarade n’exprimait pas.

« À quoi penses-tu depuis tout à l’heure, Nikita ?

- Je me disais que j’avais du mal à m’habituer à la paix. Cela fait tant de mois que nous fournissons des efforts pour défendre l’Empire qu’à présent que notre objectif est atteint je me sens étrangement inutile.

- Tu es fait pour le combat, sourit la femme, et depuis ton entrée à l’Armée jamais tu n’avais dû en mener un si grand. Mais maintenant que ton travail est terminé, laisse-le de côté. Tu mérites de te reposer un peu, et tel que je te connais cette pensée ne t’a même pas effleuré l’esprit.

- Tu as raison, Sylvia, reconnut-il, comme toujours.

- C’est parce que je sais qui tu es. Même lorsque tu étais petit tu voulais tout le temps faire de ton mieux, tu étais si appliqué. Je pense que tu tiens cela de ton père.

- C’est possible, il s’est efforcé de me transmettre ses valeurs. J’ai beau ne pas avoir suivi la même voie que lui, c’est grâce à lui que je suis devenu soldat.

- Je ne parlais pas de mon frère, Nikita. »

Surpris, il regarda son expression pleine de douceur. Il avait compris à l’instant où elle prononçait ces derniers mots, mais ne s’attendait pas à ce qu’elle évoque ce sujet. À contre-cœur, il répondit :

« C’est vrai… Père s’attendait toujours naturellement à ce que je donne le meilleur de moi-même. Il voulait partager ses espoirs avec moi, cependant il a commis une faute trop grande pour que je lui pardonne. Il est un étranger pour moi.

- Tu sais, je suis quand même contente quelque part que ce soit arrivé. Sinon, nous ne nous serions jamais rencontrés. »

Il considéra ses propos avant d’acquiescer. Dans le silence qui suivit on toqua à la porte. Il se leva et passa dans l’entrée pour ouvrir à ceux qu’ils attendaient. Son cousin, sa femme et leur fils de quatorze ans entrèrent et après s’être salués et avoir laissé leurs affaires ils se rendirent dans le salon. Sylvia les salua d’un sourire avant de prendre la parole :

« Vous voilà enfin ! Nikita m’a dit qu’il vous avait déjà croisés tout à l’heure.

- Oui, confirma celui-ci, près du cimetière. J’étais allé rendre visite à Alisa et notre mère.

- L’occasion pour lui de voir qu’il y a plus de tombes qu’avant. précisa son cousin avec une pointe de cynisme.

- Liam ! s’exclama sa femme.

- Excuse-moi, Aela, je n’aurais pas dû.

- Pense surtout à ton fils. » ajouta-t-elle plus calmement.

Celui-ci haussa les épaules avant de remarquer :

« C’est bon, nous venons de traverser une guerre.

- Vous avez une drôle de façon de fêter vos retrouvailles. intervint Sylvia.

- C’est parce que nous sommes en famille, Maman, répondit Liam, nous pouvons communiquer directement. Mais je reconnais y être allé un peu fort. Faisons comme si rien ne s’était passé et asseyons-nous. »

Chacun prit place dans le salon et Nikita demanda d’un air soucieux :

« Comment était la situation ici ?

- Difficile pendant l’occupation, l’informa son aîné, mais ça aurait pu être pire. Comme ce n’est pas un village très important, il n’y a eu que quelques troupes stationnées de temps en temps. Certains soldats se comportaient bien, d’autres pas, mais nous avons réussi à éviter les drames. »

Il fit une pause, pendant laquelle son cousin regarda plus attentivement ses proches. Ils paraissaient fatigués, leurs traits étaient tirés, mais malgré cela il pouvait toujours deviner en eux la fierté et la force de vivre de leur peuple. À nouveau, il souhaita avoir pu être à leurs côtés et traverser cette épreuve avec eux.

« Le principal problème, c’est qu’ils réquisitionnaient tout ce qu’ils pouvaient : nourriture, matériel, même les animaux. Il fallait se contenter de moins, et c’est l’une des raisons de l’agrandissement du cimetière. L’autre, c’est la révolte. Quelques-uns ont choisi de résister à tout prix, même ici une partie des jeunes et des adultes est allée au combat, comme ils disaient. »

Un nouveau silence s’abattit sur eux. L’ambiance était brusquement devenue morose alors qu’ils se remémoraient les blessures de la guerre. Nikita se souvenait particulièrement du jour où il avait appris l’invasion du Nord, de sa profonde inquiétude, puis dans les jours qui avaient suivi de sa frustration de ne rien pouvoir faire pour les siens. Le regard que lui avait lancé le fils de Liam ne trompait pas : sans l’accuser tout à fait, il lui demandait pourquoi il n’avait rien entrepris, alors qu’il était l’un des plus puissants hommes de l’Empire, qui plus est un membre de leur famille. Il avait détourné les yeux, ne détenant lui-même pas de réponse.

Après s’être composé une expression moins grave le garçon déclara :

« Eh bien, moi qui croyais qu’on en avait fini avec la tristesse ! Nikita, et si tu nous racontais ce que tu as fait pendant la guerre ?

- Si tu veux, Arendt, mais ce n’est pas forcément plus joyeux.

- Au moins il y aura de l’action et de l’aventure. Par exemple, quelle a été ta première mission ?

- Je suis allé en infiltration dans le royaume.

- Vraiment ?! C’était comment ? »

Les adultes sourirent devant sa curiosité. En un instant, l’atmosphère s’était allégée. Le soldat chercha comment commencer puis se mit à raconter :

« Lorsque je suis arrivé à la capitale ennemie, le complot avait déjà bien progressé. Une fois accepté dans les rangs de nos adversaires, j’ai commencé à détourner une partie de leurs informations. Ce n’était pas une tâche simple car je devais cacher mon double-jeu tout en gérant les nouvelles que m’envoyaient mes hommes depuis l’Empire… »

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