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La veillée avait commencé depuis peu. Tous les villageois réunis autour du feu écoutaient une passionnante légende contée par l’un des anciens. Au premier rang les enfants assis à même le sol étaient happés par le récit, leurs grands yeux émerveillés reflétant les étoiles. Le reste de l’assemblée, installé sur des bancs en rondins, suivait avec une égale attention cette histoire entendue de nombreuses fois par le passé.
Les péripéties s’enchaînaient, surmontées une à une par le héros. Il s’agissait d’un élu des dieux de l’époque ancienne, envoyé pour sauver le pays des montagnes et devenu en récompense la plus brillante des constellations du ciel. Quand le conteur eût terminé son auditoire l’applaudit tandis que les enfants réclamaient une autre histoire, mais l’ancien retourna à sa place pour le moment et tous commencèrent à discuter.
« Ça me rappelle quand nous étions devant, remarqua Sergey, ça remonte à quelques années. »
Assise à côté de lui, Shynar acquiesça avant de le taquiner :
« Maintenant, c’est toi qui es devenu un héros. »
Comme elle s’y attendait, il fut pris au dépourvu et tenta de répondre :
« Je suis loin d’être au niveau d’un personnage d’histoire.
- Quand même, tu sers l’Empire, et à côté de ça tu as permis à Rimsky et Livio de se retrouver et de rentrer chez eux. Cette bonne action mérite d’être soulignée. »
Elle posa la tête sur son épaule et ajouta :
« Je suis fière de toi. »
Touché, il ne sut que répondre et sourit simplement. Non loin d’eux Pavel lui lança un regard amusé et observa :
« Alors, Sergey, tu rougis encore ?
- Le connaissant, intervint leur grand frère, il ne va pas te répondre. Mais je peux m’en charger aussi bien que lui.
- Vraiment ? plaisanta son cadet. Je suis curieux de savoir ce que tu pourras me dire.
- Que dirais-tu de parler de mariage ?
- Les garçons… » fit mine de les gronder leur mère.
Pavel et Anton prirent un air innocent qui ne la trompa pas. Elle répondit par un coup d’œil sévère, mais dans son regard se lisait toute sa tendresse pour ses enfants.
« Bien tenté de la part d’un célibataire. » glissa tout de même le plus jeune.
L’aîné rit avant de lui donner un coup de coude. À ce moment quelques enfants arrivèrent et se regroupèrent devant le plus âgé des jumeaux.
« Pavel ! commença l’un d’eux. On peut voir ta main-automate ?
- Eh bien, hésita-t-il, si vous voulez, mais faites attention. »
Il leur présenta sa main gauche en étendant les doigts et ils s’approchèrent pour mieux regarder. Dans l’ombre de la nuit le métal paraissait presque mat, mais les flammes toutes proches y lançaient des éclats roux et cuivrés. Les enfants murmurèrent entre eux avec curiosité tandis que Pavel se demandait quelle attitude adopter.
« C’est vrai que c’est pas ta vraie main ? questionna un garçon.
- Oui, celle-ci a été fabriquée.
- Par qui ? voulut savoir un autre.
- Quelqu’un que je connais, c’est lui qui invente les automates de l’Empire.
- Tu as de la chance d’être son ami ! »
Le jeune homme eut un sourire incertain. Il remarqua une fillette qui semblait vouloir parler sans oser le faire. Il l’encouragea du regard et elle demanda timidement :
« Est-ce que je peux te tenir la main ? »
Surpris, il accepta tout de même et la laissa refermer ses petits doigts sur les siens.
« C’est froid ! » dit-elle.
Elle prit son autre main puis ajouta :
« Alors que celle-ci est chaude. »
Sergey décida alors de se rattraper pour la précédente remarque de son frère :
« Alors, Pavel, tu as gagné une certaine popularité avec cet accessoire, tu pourrais même lancer une mode !
- Je préfèrerais éviter. Tu as déjà été assez irrécupérable quand nous sommes rentrés, alors autant ne pas donner à d’autres l’occasion de raconter des bêtises.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Ben voyons. Quand nous avons retrouvé notre mère et qu’elle a vu ma nouvelle main tu as dit, je cite : ‘‘Regarde, Maman, il est tout réparé !’’. »
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