Réminiscences et superstitions

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L’été commençait à devenir éprouvant, vers la mi-juin certaines après-midi devenaient une vraie torture pour Simon qui arpentait le causse de long en large. Il s’accordait, à l’heure où le soleil ne faisait plus de concession, une halte dans la relative fraicheur du « Bois touffu » et en profitait pour remplir sa gourde à cette source intrigante, espérant aussi y voir quelqu’un pour tenter d’expliquer ce mystérieux aménagement du lieu.

Il n’avait pas encore demandé à Maria la signification de ce demi-cercle de cailloux blancs qui délimitaient symboliquement cette petite citerne naturelle, ni celle de ces bouts de tissus accrochés aux branches voisines.

Une appréhension sourde l’en empêchait.

Il sentait confusément qu’il aborderait là une sorte d’intimité, partagée uniquement par les caussenards, que son statut d’étranger ne lui permettait pas. Il était, pour autant, conscient du ridicule de ce scrupule. Mais cette superstition, qu’il s’efforçait par tous les moyens de combattre, ressurgissait et faisait remonter à la surface les souvenirs de l’enfant mis à mal par les craintes irréalistes de sa mère. De ses avertissements sans fondements qu’elle lui prodiguait très souvent lorsqu’ils revenaient, ensembles, de l’église Saint Roch de Montpellier.

Sa mère, bien qu’au demeurant très sensée et pragmatique, pourvoyeuse de bon conseils et gestionnaire hors pair de l’entreprise familiale, semblait toujours démunie, vidée de cette force qu’il admirait tant quand il la suivait, à sa demande, pour prier dans ce lieu sacré.

Il s’était même demandé, vers l’âge de six ou sept ans, si ce n’était pas pour se sécuriser elle-même qu’elle lui demandait, sans pour autant lui laisser le choix, de la suivre. Cette attitude avait cependant laissé une trace substantielle dans la construction de sa personnalité. Une tendance à accorder foi aux légendes de son terroir, aux dictons des anciens et, par la force des choses, à se créer des rituels avant les moments importants.

Il avait toujours gardé la croix que sa mère lui avait remise bien avant ses premiers questionnements. Il la touchait encore compulsivement l’année passée avant sa soutenance, y cherchant des ressources qu’il savait illusoires. Cependant le contact de sa main avec l’objet lui avait apporté une confiance réconfortante.

Ce n’est pas sans réticence qu’il l’avait volontairement laissée à son logis avant de venir ici, sur ce causse.

N’était-il pas, lui aussi, le talisman de sa mère sur le chemin de l’église ?

Mais qu’avait-elle à craindre ? Que redoutait-elle ? Il se dit qu’il pourrait lui poser, un jour, la question. Mais la même réticence ressentie vis-à-vis de Maria s’imposait à lui. Une pudeur handicapante, absolument dénuée de sens et, cependant, terriblement vivace. Ses années d’études, bien que formatrices, n’avait aucunement modelé l’élan, la tournure de la volonté qui l’animait depuis sa prime enfance.

Il en était là de ses divagations intérieures quand il entendit le craquement d’une branchette.

Il leva prestement la tête, et discerna une forme en mouvement en contrebas du bois. Il se dressa, tout entier tendu dans cette direction avec cette crainte diffuse dans les yeux qui sous-tend un hypothétique danger.

Hypothétique, voilà le seul mot capable de traduire et de justifier, mais toujours avec une grande imprécision, l’excitation de son esprit.

La forme s’arrêta aussitôt, son immobilité la rendait invisible comme l’animal qui se sait chassé. Simon scruta plus intensément la frange entre l’ombre du bois et la lumière crue qui s’étendait jusqu’aux limites visibles du causse. En vain. « Une bête », se dit-il. Puis, déçu de sa conclusion, il se rassit, prit son carnet de note et commença à y rédiger les observations de la matinée.

Il n’avait pas fini la première phrase quand un son, bien différent du premier, se fit entendre.

Ce n’était plus le son inanimé du bois qui se brise mais une sorte de note, modulée par le langage. Et qui dit langage…

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