Qui court dos au cours d'eau court d'horribles dangers
Quelques sauts de branches plus tard, Arkoïe remit pied à terre et, la mine décidée, déclara :
– Je veux désormais rencontrer la Falaise, votre guide.
Le Plomb sursauta en jappant et se leva pour l’accompagner. Son regard s’attarda avec regret sur le jeu qui l’avait fait patienter : détourner les fourmis en plaçant pierres, branches ou crevasses au milieu de leur procession.
– Moi aussi, j’ai construit un œuf ! fit fièrement le Plomb en pointant les insectes paniqués, dont l’amas formait un cercle approximatif.
La marche vers le village fut silencieuse, Arkoïe suivant patiemment le Plomb, qui piétinait malgré ses immenses jambes, et à cause d’elles peinait à se glisser sous les branches basses. Le chemin était clairement tracé, et les marques des gros sabots du Plomb étaient entourées d’une multitude d’autres empreintes fraîches. Après cent pas, le Plomb s’arrêta brusquement à une bifurcation. Choisir entre les deux chemins qui se présentaient était un dilemme qui lui fit se gratter le front pendant une bonne dizaine de ses respirations haletantes.
– Sais-tu si ton village est en amont ou en aval ? interrogea Arkoïe d’une voix apaisante.
– C’est… les deux. Une partie du village est sur la colline. C’est là qu’habite la Falaise, tu verras. Mais la plupart des cases sont en bas.
– Est-ce prêt de la rivière ? Je l’entends couler du côté du levant.
– Oui ! Elle passe en plein milieu, entre la mine et les cases. Nous avons même un pont. C’est moi qui ai installé le premier rondin. La Falaise m’a fait cet honneur pour les nombreux services que je lui ai rendus. Mais on ne devrait pas encore entendre la rivière, il nous reste de la route. Prenons le chemin du midi.
Perplexe, Arkoïe commença à douter du sens de l’orientation du Plomb et de l’existence même du village. Mais au détour d’un rocher moussu, la végétation s’éclaircit soudain. Le soleil rasant illuminait un grand terrain nu et boueux. D’un côté, la jungle projetait ses ombres monstrueuses dans l’espoir de reconquérir cette zone déchue. De l’autre, la rivière se scindait, un bras paisible sinuant vers la lisière tandis qu’un torrent tumultueux s’enfuyait au loin.
Quand ses yeux furent accommodés, Arkoïe put observer la colline qui se dressait au centre. Une pyramide en argile s’y trouvait, trois fois plus haute que le Plomb et parsemée de petites fenêtres, à travers lesquelles on voyait s’agiter plusieurs silhouettes. Le Plomb fit signe à Arkoïe d’avancer vers l’édifice. A leur arrivée, une des silhouettes se précipita à leur rencontre.
– Pourquoi l’esclave n’est pas dans sa case ? Il fait presque nuit, le Plomb, réagis ! maugréa-t-elle en agitant son poing devant le visage rebondi du Plomb. Ne compte pas sur moi pour faire tout le tour de la rivière pour l’accompagner, surtout pas à l’heure des moustiques !
Ses cheveux, dressés sur sa tête en une crête pointue, remuaient à chaque mot, et sa voix grésillait à force d’hésiter entre cri et murmure. Le Plomb baissa les yeux d’un air contrit.
– Baisse d’un ton, je ne suis pas esclave, intervint Arkoïe perdant patience. Il faut que je parle à la Falaise.
– Quel aplomb ! Notre guide ne reçoit pas les sauvages de ton espèce, répliqua l’autre en empoignant sa dague. Retourne à ta case avant d’empirer ton cas !
Le Plomb s’interposa soudain, projetant la lame au sol. Elle rebondit avec fracas sur les dalles qui entouraient la pyramide. Toutes les autres silhouettes, restées à l’intérieur, s’approchèrent avec curiosité.
– Cette personne vient d’un autre village pour nous acheter des gemmes contre des coquillages, expliqua le Plomb. Détends-toi un peu, l’Aurore.
– Tu es diplomate, vraiment ? Toutes mes excuses, ce n’est pas dans mes habitudes d’effrayer nos hôtes, fit l’Aurore dont l’agressivité s’était soudain muée en une déférence mielleuse. Voici toute l’escouade des disciples. Nous faisons régner l’ordre sur le village, de jour comme de nuit. Suis-moi, je vais te présenter à notre guide.
L’Aurore se dirigea vers le flanc arrière de la pyramide, où un escalier grimpait jusqu’au sommet. Arkoïe suivit le mouvement tout en observant cette architecture singulière : la structure paraissait instable mais les murs étaient finement gravés et sertis de milliers de gemmes qui étincelaient dans le soleil couchant. En haut de l’escalier, une porte en paille bloquait une ouverture. L’Aurore se manifesta timidement ; un claquement de langue lui répondit, leur signifiant l’autorisation d’entrer.
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