Chapitre 38 : La fin du voyage (3/3)

7 minutes de lecture

Ces paysages sont si… uniques.

Fendre le territoire à haute vélocité ne leur empêcha nullement d’appréhender leur environnement. Ils longèrent d’abord le littoral, où se déployèrent des falaises qui parfois surplombait toute possible perspective. Vers l’est, au-delà des bois de mélèzes, des lacs bleutés miroitaient en contrebas de collines dont les déclives chatoyaient grâce aux jonquilles et violettes. Des immenses prairies aux chutes majestueuses, c’était une île de fort relief qui exigeait une avancée prudente. Ce pourquoi les chevaux trottaient par moments, de crainte de buter sur une roche traîtresse, dissimulée dans la broussaille. Même les sentiers n’étaient point épargnés par les aspérités, et quelques bonds s’avéraient nécessaires lorsque leurs sabots s’empêtraient dans la fange ou des feuilles mortes.

Peu de véritables obstacles jalonnèrent leur route. Ils admiraient tout. Des embrasures dans lesquelles s’infiltraient des rayons solaires, dévoilant des enfoncements d’eau où baignaient des pierres de multiples couleurs. Des plaines enneigées, étouffant des masses d’herbes et de roche, comme le sol semblait se craqueler sous l’impact de cette froidure. Des îlots au milieu des cours d’eau, que parfois couronnaient des pléthores d’arbres. Des vallées sollicitées par le vent naissant, pourtant lieux de campement idéal, tout comme des points d’observation des aurores illuminant la voûte nocturne.

Jours après jours, ils côtoyèrent chalets isolés et hameaux, ils ne s’attardèrent guère sur ces habitations et panoramas boisés. Je ne doute pas qu’il y ait eu une surpopulation sur ces îles, mais cela ne se ressent pas de la densité. Jizo s’avéra d’autant plus stupéfait au moment où la pierre supplanta toute autre matière première pour les constructions. À plus de vingt kilomètres d’Idramir se jouxtaient des villages voisins, à travers lesquels se compactaient des demeures de part et d’autre de vétustes pavés. Outre leur hauteur plus importante que leurs équivalentes rurales, elles s’alternaient entre nombreuses boutiques, auberges, artisanats et temples. Dans les faubourgs, ces édifices étaient d’extension réduite. Mais plus le groupe réduisit sa distance avec la capitale et plus ils se targuèrent de prestige. Ils observèrent même deux de ces bâtisses s’élever sur une vingtaine de mètres avec un sommet en couple et une paire de tours à leur extrémité. Sur leurs murs d’ivoirin et d’azur s’inscrivaient des symboles de glace. Ceci ressemble à un culte. Mais lequel ? Je pourrais juste demander, mais ce n’est pas la priorité.

Seule des douves surmontées de remparts séparèrent Idramir de ses agglomérations. Fort de la priorité dont jouissait Cynka, ils y pénétrèrent sans souci, et s’intégrèrent parmi ce nouveau dédale de forte densité. Ici les maisons s’emboîtaient sur plusieurs étages et se paraient de façades fleuries, de larges balcons et de fenêtres mansardées. De la pierre composait la plupart de leurs murs, toutefois certaines étaient bâties en briques rouges, achevée en un toit en ardoise triangulaire.

Si Idramir paraissait étouffant, tant il était ardu de s’y déplacer, au moins le groupe se fondait aisément à la masse. Ils cheminèrent jusqu’à l’ouest de la ville, là où ils rencontreraient la souveraine de l’île. Point de grand château ou de somptueux palais ne les accueillait : à l’intérieur d’une série de haies et boqueteaux, un pavillon aussi long que bas se présenta. Isolée du reste de sujet ? À quoi devons-nous nous attendre ? Des lambris zébraient ses murs beiges, en-deçà de sa fontaine opaline et de ses arbustes.

— On est en milieu de journée, fit Cynka. Lefrid devrait être là. Pas besoin de frapper, elle saura que c’est moi !

Elle salua la paire de gardes attelée devant la porte, coulissa pour l’ouvrir, et enfin ils rejoignirent leur objectif final. Par-dessus le plancher lisse et entre le portrait des précédents dirigeants se diffusait un agréable parfum qui les enjoignit à avancer sous de bonnes conditions.

— Un havre de paix isolé d’une grande ville ? se réjouit Vouma. Je me sens ravivée de la nostalgie de ma propre demeure !

Non, Vouma, cette comparaison n’est pas valable.

Bientôt le groupe perçut des gémissements contre lesquels Cynka grogna. Elle ouvrit avec fracas la porte à sa droite.

Dans cette salle siégeait la reine. Femme d’âge, de taille et de carrure moyenne, dont les boucles auburn cascadaient jusqu’en bas de son dos, elle avait le teint livide. Ses yeux émeraudes surmontaient son nez camus ainsi que ses fines lèvres. Un pourpoint gris la seyait comme une fiole translucide décorait sa ceinture en bronze. Davantage que son apparence, ce fut le geste qui estomaqua le groupe : elle caressait le haut du dos de deux hommes. À ses aises, je constate.

D’une silhouette grêle, le premier s’était vêtu d’un chemisier mauve et s’était chaussé de bottines à fourrures. Son absence de barbe mettait en exergue l’azur de ses iris tout comme la brillance de ses cheveux blonds noués en chignon. D’un fort gabarit, le second portait une ample tunique olivâtre. Une épaisse barbe noire mangeait ses joues pour compenser sa calvitie.

Tous deux partageaient la tâche de glisser leur langue le long de la palme des pieds de la reine. Toutefois s’interrompirent-ils à l’inopinée entrée du groupe. Comme Cynka les foudroya du regard, Lefrid riposta identiquement.

Les deux femmes se parlèrent. Haussèrent le ton. Sans que Jizo y comprît quoi que ce fût. Puis soudain Lefrid se rasséréna, se rapprocha d’eux et accueillit Larno dans ses bras. Bien des larmes coulèrent, mais elle garda d’autres sanglots quand elle avisa l’état d’Irzine. Saisissant son poignet, elle lui coula un regard empathique, incapable de se contenir. Comme elle s’échangèrent quelques propos, Cynka se tourna vers le reste du groupe :

— Ne vous inquiétez pas, nous allons poursuivre la conversation en myrrhéen. Nous ne voudrions surtout pas vous exclure.

— Qu’ont-ils dit, jusqu’à présent ? demanda Nwelli.

— Des banalités. Il fallait bien que je réprimande Lefrid sur son comportement honteux. Grand bien lui fasse de réaliser ses fantasmes bizarres avec ses maris, mais dans sa chambre bon sang, pas dans la salle du trône ! Ce détail écarté, je lui ai évoqué Larno et Irzine. Elle a eu du mal à reconnaître le cadet parce qu’il a bien grandi depuis son dernier passage ici. Quant à l’aînée… Inutile d’expliquer pourquoi.

Une fois épanchée auprès d’Irzine, Lefrid s’intéressa aux autres visiteurs, qu’elle dévisagea avec grand intérêt. Je suis en face d’une reine, pourtant elle paraît si ordinaire. Même si ses nerfs se tendaient, même si sa gorge s’asséchait, Jizo parvenait à soutenir le regard.

— Les amis d’Irzine et Larno sont aussi les miens ! s’écria la reine. Pardonnez-mon accent myrrhéen horrible. Alors, pouvez-vous me dire qui vous êtes ?

— Je m’appelle Jizo, répondit l’ancien esclave. Et voici Nwelli et Taori, deux précieuses amies.

— Je suis ravie de vous connaître ! Si je puis me permettre, j’aimerais savoir comment vous avez rencontré Larno et Irzine.

— C’est une longue histoire. Et je crois qu’il vaut mieux n’omettre aucun détail.

Jizo, Nwelli et Taori s’alternèrent pour cette tâche.

Ils respectèrent le principe énoncé sans exception.

Un passé d’esclaves ou de prisonniers. Une errance dans le désert. Une cité promettant paix en stabilité. Des flammes dévastatrices et du sang omniprésent. Des montagnes de décombres et de dépouilles. Quand l’espoir s’éteignait restait la perspective de longer les côtes. Suivaient de redondants rejets. Surprenait la rencontre avec les pirates. Déchirait la dissension comme elle annonçait la division. Et les terres furent abandonnées, non sans une tantième lutte pour la survie.

Toute l’histoire durant, les traits de Lefrid s’étaient affaissés, et des pleurs avaient creusé des sillons sur ses joues. Elle cajola chacun des trois compagnons l’un après l’autre, non sans un renâclement de la part de Cynka.

— Mes pauvres…, murmura-t-elle. Je vais tout mettre en œuvre pour que votre calvaire soit terminé.

— C’est vrai ? s’étonna Taori. Nous avions peur d’être mal accueillis ici…

— Parce que nous sommes des îles éloignées et isolées de toute autre civilisation ? D’apparence peut-être, mais il fut une époque où les torraniens ont beaucoup émigré. Depuis que les températures sont devenues plus agréables, et que la population s’est stabilisée, nous sommes devenus à notre tour une terre d’accueil. Aussi depuis l’ascension au pouvoir de Bennenike…

Lefrid s’éclaircit la gorge avant de reculer.

— Je disais donc ! reprit-elle. La distance entre Neledeth et Idramir est importante, mais je compte agir aussi vite que possible. Chaque réfugié aura droit à une nouvelle vie, de préférence meilleure que l’ancienne !

Quelle générosité… J’ai envie de la croire. Qu’une personne de pouvoir n’agit pas forcément pour son intérêt personnel avant tout. Tous se conformèrent à la gestuelle grandiloquente de la souveraine, qui bientôt désigna ses époux avec insistance.

— Chanceuse ! jalousa Vouma. Deux hommes rien que pour elle ! Enfin, c’était mon cas aussi, mais le contexte était différent.

— Dans celui-ci, répliqua Jizo, ils sont consentants.

L’on dévisagea l’ancien esclave avec perplexité, puis Lefrid présenta successivement son mari de silhouette grêle et de fort gabarit :

— Voici Febras Bert et Dolhain Sano. Ils sont mes chers et tendre, mais bien plus encore ! Ils vont vous conduire à votre chambre : nous avons de quoi vous offrir de la place ! Restez autant de temps qu’il le faudra : vous avez mérité de vous reposer, nous nous occupons du reste.

Sourires et soupirs de soulagement emplirent la pièce. Après avoir suivi les gardes tout ce temps, le groupe se conforma désormais aux figures royales, qui les cornaquèrent dans le couloir circonvoisin.

Nous sommes tranquilles, oui. Le cœur de Jizo baigna dans du baume quand il observa Larno et Irzine se réfugier dans leurs bras. Surtout eux. Je suis si heureux…

Avec un peu de chance, nous n’aurons plus jamais à nous battre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0