Chapitre 3. Claire / Visite à l’Ehpad
Je regarde le calendrier et tapote mes lèvres avec un crayon.
Je suis en train de noter sur un papier la liste des articles à se procurer.
Le Conseil Municipal en prévision de la fête a fait une grosse commande. Il espère attirer tous les habitants du village ainsi que ceux des alentours.
Je fronce les sourcils, concentrée sur les chiffres qui s'inscrivent en ligne bien serrée et régulière. "Il faudra que je pense au stockage".
Une sonnette retentit, c'est le bip qui m'avertit de l'heure.
Je ferme la porte et m'insère derrière le volant de la petite Clio. 20 km est la distance qui me sépare de la seule personne qui reste de ma famille.
Je m'introduis dans le hall, salue la dame de l'accueil et me dirige au premier étage. Les murs blancs reflètent le calme, et quelques bruits de chaise et de grincements de lit se répercutent et me parviennent. Je ne fais plus attention aux mouvements ni aux silhouettes assises par-ci par-là. Mes pas sont guidés automatiquement vers la chambre.
Je reste un court moment au seuil puis je frappe un coup et j'entre.
Mon père est assis, toujours à la même place, devant la fenêtre où il semble contempler l'immense champ verdoyant qui s'étale à perte de vue. Le voit-il ou est-il plongé dans ses souvenirs ? Mon coeur se serre, car je le vois dépérir de mois en mois. Le médecin rassurant sur son état de santé a essayé de calmer mes craintes mais quand je l'observe à ce moment précis, j'ai l'impression de le perdre tout doucement.
— Bonjour papa, lancé-je sur un ton gai. Comment était ta journée aujourd'hui ?
Un sourire fin, dénué d'enthousiasme étire ses lèvres. C'est à peine s'il a tourné la tête.
Je tire une chaise près de lui et prends sa main que je serre doucement. Il paraît si fragile dans ses vêtements. Quel contraste avec le grand homme fort et robuste qu'il était avant... Avant...
Je ferme mon esprit aux souvenirs, refoulant les images qui ne manqueraient pas de surgir.
Je me tourne moi aussi vers la fenêtre, et en silence nous communions en observant le paysage.
— Bonsoir !
Le personnel du soir est déjà là, apportant le plateau repas. Je me lève et leur cède la place. Avant de partir, je dépose un baiser sur ses joues puis je quitte la chambre, le coeur triste.
— Eh Claire, attends-moi !
Je vois Sébastien, l'animateur du centre, courir dans ma direction :
— Ouf ! Han... Laisse-moi reprendre mon souffle !
— Dis-donc, pour un sportif, tu manques d'entraînement.
— Ne te moque pas, je te défie à la course quand tu veux.
— Non merci, pas envie de perdre mon temps, je sais que tu vas me battre !
— Sinon, comment tu vas, toi ?
Je hausse les épaules et réponds : "Comme d'habitude".
— Et ton père ?
— Toujours pareil, mais j'ai l'impression que cela empire.
— Il ne parle toujours pas ?
— Non...
— Passons à des choses plus gaies, tu vas participer au concours ?
— Un concours ? Quel concours ?
— Le concours de poésie pardi, comme je sais que tu écris en douce, j'espère que tu vas te lancer...
— Comment se fait-il que je ne l'ai pas vu ce concours ? Ce n'est pas marqué sur l'affiche !
— La commune d'à-côté a demandé au maire de le rajouter, car il y a un groupe qui s'est monté dans la région. Tu devrais d'ailleurs y aller.
— Tu sais bien que je n'ai pas le temps entre la boulangerie et mon père. Et puis... Je n'ai rien d'une professionnelle. Je n'écris qu'occasionnellement.
— Tsss ! Pour le peu que j'ai pu lire, tu te débrouilles. Allons, va donc t'inscrire, la date limite est dans une semaine.
— Ok ok, je vais y réfléchir... Et toi, qu'est-ce que tu racontes ? Toujours ton envie de partir ?
— Oh oui, plus que jamais ! J'épluche les sites d'emploi et dès que j'ai une opportunité, je me barre d'ici. Il n'y a que quelques petites choses que je vais regretter.
— Ah oui ? Lesquelles ?
— Les soirées du jeudi soir au café, les quelques potes, et toi bien sûr !
— Je note que je suis en fin de liste dans tes préférences, cela fait chaud au cœur, lui réponds-je en souriant.
Deux ans auparavant, je me suis liée d'amitié avec Sébastien, un soir, au café du village. Nous nous sommes tout de suite entendus et ne manquons pas une occasion pour faire des soirées. Il faut dire que toute occasion est bonne à prendre pour sortir du quotidien morne et ennuyeux.
Je pouffe de rire en me remémorant nos jeux de pétanque transformés en bataille de lancer de poids. Les vases de la voisine s'en souviennent encore. Elle n'a jamais su qui avait rempoté ses hortensias !
— Allez Claire, je file, on se retrouve jeudi, d'accord ?
— D'accord Seb, à bientôt.
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