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Sur le sentier qui me faisait quitter ma demeure, je me sentais dans la peau d’un aventurier parti à la recherche de sa dulcinée.
J’étais au fond de moi très excité mais aussi pris de panique à l‘idée de devoir agir pour la première fois de ma vie en autodidacte. La chose était nouvelle pour moi qui pendant plus de seize ans passés dans les jupons de ma mère je me laissais à chaque fois guider par les envies de celle-ci. Alors, j’avançais prudemment contenant mon allégresse.
Au vrai, je ne connaissais pas Richevalet, la ville qui m'a vu naître. Mes seuls souvenirs de cette commune se trouvaient être associé à son école maternelle dont je portais encore les traumatismes d’un contrariant mercredi de février.
Mais je me fis du passé.
Désormais l’amour me tendait les bras et je n’allais en rien mettre sur mon chemin le risque de perdre ma belle dès que je l’aurais retrouvée.
Aux abords de la ville, alors que ma marche ressemblait plus à du tâtonnement, je croisai avec effroi ce que je redoutais le plus : des êtres semblables à ma personne.
Assis sur le trottoir d’une ruelle étroite, deux jeunes adolescents, s’offrant sans retenue à un curieux spectacle, s’embrassaient goulûment sur la bouche tout en s’enlaçant l’un contre l’autre. Ce n’était pas un couple ordinaire, du moins pas comme ceux que j’ai pu rencontrer dans les romans que j’avais à ma disposition au DEUS EX MACHINA. Ceux-là étaient du même sexe. Il s’agissait de deux jeunes garçons d’à peu près mon âge.
Alors que je passai devant eux et que je les observai avec beaucoup de curiosité, un léger trouble m’accapara sans que je comprenne pourquoi. Ce n’était pas le fait que leur homosexualité se dévoilait à ma pudeur défendant qui me déstabilisa. Non, si un désarroi s’agitait au fond de moi, la cause en revenait à ce que ces deux êtres dégageaient de plus nauséabond, de plus néfaste envers ma fragile personne.
Une soudaine empathie dont je ne me soupçonnais guère l’existence en la demeure de mon cœur meurtri, m’expatria vers les tréfonds de ma cervelle et me renvoya du coup aux séquelles de mon enfance. Séquelles dont je ne sus réellement cicatriser tout au long de ma jeune existence.
Pourtant, à voir ces deux jeunes hommes se donner autant d’amour lors de leur baiser échangé en toute quiétude dans les rues de Richevalet devrait me mettre en joie. « L’amour est joie », pensais-je, en ralentissant ma marche pour mieux capturer cet instant. J’aurai du être empli d’un ravissement de tendresse à la vue de ce témoignage d’affection. Ce ne fut en aucun cas la conjoncture espérée.
Tout au contraire, une sorte de dégoût me happa à m’en faire gerber sur le muret qui se dressait sur ma droite.
Qu’avaient-ils en eux d’aussi horrifiants pour me heurter au point de rejeter ce que j’avais pu manger ce matin ? Ils n’étaient pourtant pas si laids au point d’en être dégouté ? Alors, pourquoi ? Oui pourquoi m'offusquais-je ainsi ?
Alors, ne sachant mettre de mots sur ce qui m'apparraissait réellement outrageant, j’en conclus que la mauvaise graine s’était plantée en chacun d'eux.
Bien que mignons, ces deux garçons abritaient sous leur enveloppe corporelle d’enfant de 16 ans toute la violence humaine que je soupçonnai très peu éloigné de nos ancêtres primitifs. Et comme eux, je leur ressemblais.
Dès lors, sans aucune condescendance, je me pris pour un monstre.
À ce constat, je pris la fuite.
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