Chapitre 3
Le vent soufflait dans mes cheveux, les faisant légèrement s’envoler. Les effluves des fleurs venaient me chatouiller les narines, en particulier les roses, parfum habituel de Véra. Le soleil chauffait ma peau pourtant habituée.
— Quel âge as-tu ? fini par me demander Marcus, me sortant de ma rêverie.
— Seize ans, Monsieur.
— Appelle-moi Marcus et tu peux me tutoyer, j’ai à peine dix-huit ans. Que penses-tu de la vie au palais ? Personnellement, je ne m’y suis jamais trouvé à l’aise. Toutes ses rumeurs, ses protocoles qu’il faut respecter à la lettre. Ce ne sont que des contraintes. Je préfère marcher en pleine forêt ou dans des jardins comme celui-ci, sentir l’air balayer mon visage, sentir la douce odeur des pins. Mais je n’ai pas le choix, je suis l’unique héritier du Reinaume de Carandis.
— Comment avez-vous pus venir aussi vite si vous habiter si loin ?
— J’étais déjà sur place à vrai dire.
Il parlait beaucoup, faisant la conversation pour deux et cela me rassurait. Je n’étais jamais à l’aise pour parler avec des inconnus et il avait dû le comprendre tout de suite.
— Il est vrai que je préfère moi aussi la campagne, y ayant vécu toute ma vie, mais je dois dire que la vie au palais me plaît plutôt bien. Ici, je découvre de nouvelles odeurs, de nouveaux plats. Tout est nouveau en quelque sorte.
— Ta famille te manque-t-elle ?
— Oui, mais je ne tiens pas à en parler.
— Comme il te conviendra. Véra est certes ma cousines, mais nous ne sommes pas très proches. Nous avons grandi trop loin l’un de l’autre.En tout cas, je suis ravi qu’elle m’ait choisie pour être ton partenaire lors de ce bal. Habituellement, je n’ai jamais de cavalière quand j’y vais. Ce n’est pas ma tasse de thé, c’est vrai, mais on ne désobéit pas à l’Impératrice. Comme on parle d’elle, qu’en penses-tu ?
— Elle est plutôt gentille et… je lui dois la vie, en quelque sorte. Elle me demande quelque chose, je l’exécute.
— Es-tu heureuse ici, même si ta famille te manque ?
Je cueillis une fleur bleue et mis plusieurs minutes à répondre. J’étais bien ici, ça me permettait d’oublier les mois difficiles qui avaient suivi la disparition de ma sœur. Et pourtant, j’avais l’impression de trahir sa mémoire, en ne pensant pas tout le temps à elle.
— Plutôt oui. De toute façon, où que je sois, elle me manquerait. Avant d’arriver ici, j’ai vécu une expérience plutôt traumatisante et… ce n’est rien, oubliez.
— Tu m’en vois navré. Et tutoie-moi, je n’aime pas tous ces protocoles du vouvoiement en fonction de la classe sociale. Dis-moi si je fais erreur, mais si j’ai bien compris, tu sais danser ?
— En effet, j’ai eu un excellent professeur.
— J’admets que ce jardin n’est pas l’endroit idéal, mais accepterais-tu une danse avec moi, pour me montrer tes capacités ?
— Pourquoi n’irions-nous pas dans la salle de bal ? Ce sera plus agréable, à l’abri des regards et je pourrais même te faire une démonstration de danse, disons non conventionnel.
— Tu n’étais pas une prostituée avant, j’espère, enchaîna-t-il inquiet.
— Non, souris-je à sa remarque. Ma… celle qui m’a appris à danser voulait en faire son métier. Elle était capable de danser sur n’importe quel type de musique. Que ce soit de la musique classique, contemporaine, jazz, enfin presque tout. Elle aimait beaucoup chanter aussi.
— Et bien, je serais ravie de te voir à l’œuvre, si cela te convient bien sûr.
— Avec plaisir. Par contre, je ne connais pas le chemin pour rejoindre la salle de bal.
— Heureusement que je sais comment y aller. Je vais nous y conduire dans ce cas.
Pendant plus d’une dizaine de minutes, on continua de discuter en rejoignant la salle de bal. Plus je discutais avec lui, plus je me sentais rassurer. Finalement, je l’appréciais bien ce Marcus. Il pourrait être un bon ami et un allié sincères dans cette arène qu’est la Cour.
En arrivant dans la salle de bal, je fus subjugué par l’immensité de la pièce. Le parquet ciré avec minutie. À gauche, le mur donnait sur plusieurs petits balcons dont les portes étaient finement décorées d’or. Sur une grande partie du mur droite, des miroirs qui semblaient amovibles. Le plafond, un véritable chef-d’œuvre de verre. Le dôme laissait passer le soleil pour illuminer la pièce. Le verre finement détaillé et décoré tel un dôme de cristal digne d’un grand maître.
— Cette pièce est incroyable. Je crois que j’y passerais toutes mes journées si je n’avais pas d’autres obligations.
— Je suis bien d’accord avec toi. Après les jardins, c’est l’une de mes pièces préférées.
— C’est une chaîne hi-fi ? m’étonnais-je en désignant les magnifiques haut-parleurs.
La dernière fois que j’avais vu quelque chose du genre, c’était quand le fiancé d’Iléna avait sorti sa petite enceinte pour la brancher à son MP3. Heureusement que je gardais toujours avec moi le fameux MP3 que j’avais récupéré. Il contenait toutes les musiques de ma sœur, y compris celle qu’elle avait elle-même composée. J’étais aux anges.
— C’est en effet, une chaîne hi-fi. La seule de cette envergure et avec un tel son.
— Si ça ne te dérange pas, j’aimerais aller me changer pour mettre une tenue plus adéquate pour danser. Je n’en aurais pas pour longtemps.
— Fait, je t’attendrais.
Le sourire jusqu’aux oreilles, je courus jusqu’à la chambre, vide à cette heure et trouva dans ma petite valise, faites par Margot une tenue de sport, un short et un débardeur. J’avais bien fait de convaincre Margot d’ajouter ça à ma garde-robe. Je retournai dans la salle de bal à la même vitesse, bousculant parfois quelques personnes.
— J’ai fait aussi vite que possible.
— Cette tenue est… indécente pour une jeune fille de ton âge. Tu es à peine couverte.
— Pas chez moi, ni pour une danseuse. Vous allez voir, ma robe n’aurait fait que me gêner. Je peux ? désignais-je la chaîne hi-fi.
— Nous sommes là pour ça, après tout.
Sortant le MP3 que j’avais mis dans la poche de mon short, je le branchai à la chaîne hi-fi et lançai la première musique. Son fiancé avait bien fait les choses, la première musique était la préférée de ma sœur et par la même occasion, la mienne aussi.
Je me plaçais au milieu de la salle, sous l’immense dôme et commençai à danser, à me libérer de toute la frustration, la colère et la peine que j’avais accumulées depuis la disparition de ma sœur. En cet instant, je n’étais plus Élia, demoiselle de chambre de l’Impératrice, mais Élia Aubelin, une fille, une sœur, une amie, une danseuse. Je ne bougeais pas, je dansais. Je ne dansais pas, je volais. Depuis deux mois que ma vie n’était qu’un champ de ruine, je revivais enfin, je respirais à nouveau librement, comme avant. Je renaissais. Quand la musique s’arrêta, Marcus m’applaudit, un grand sourire sur le visage.
— Je confirme, tu es très doué. Tu es la meilleure cavalière que n’importe quel homme puisse rêver.
— Merci, répondis-je en rougissant.
— J’ai bien fait de passer par là, nous coupa Véra en entrant. Ce que j’ai vu était époustouflant. Tu as un vrai don pour la danse Élia, quel que soit le style.
— Merci, Ma dame.
— J’ai une heure de libre avant de reprendre un rythme effréné. Accepterais-tu de nous faire une nouvelle démonstration ?
— J’en serais ravie, Ma dame.
La deuxième musique était une composition de ma sœur. La première qu’elle avait écrite, jouer. La première sur laquelle elle avait dansé. La première sur laquelle elle m’avait appris à danser. Aujourd’hui, je connaissais la chorégraphie sur le bout des doigts. Et même si j’étais capable d’improviser, je n’aurais jamais osé sur cette musique. En dansant sur elle, devant l’Impératrice, je voulais faire honneur à ma sœur. Si elle n’avait pas été enlevée, elle aurait pu devenir une grande chanteuse, danseuse et musicienne. Elle aurait pu venir faire des concerts, des spectacles de danse dans cette magnifique salle. Aujourd’hui, c’était à moi de la représenter, pour que personne n’oublie la star qui aurait pu naître et surtout pas moi. Encore une fois, je fus applaudi par Marcus, mais aussi par Véra et par Margot.
— J’ai bien fait de vous mettre ensemble tous les deux. Vous ferriez des ravages au bal de la semaine prochaine. En tout cas, c’était magnifique Élia, je suis très fière de toi.
— Merci, Ma dame.
— Profitez du reste de la journée pour vous entraîner tous les deux. Soit de retour à dix-neuf, Élia.
— Oui, Ma dame.
Elle s’éloigna, me laissant seule avec Marcus, souriant. Pendant plusieurs minutes, je cherchai une musique conventionnelle, une qui serait probablement de mise au bal et invitai Marcus à se joindre avec moi. La valse, il connaissait et maîtrisait parfaitement bien. En plus d’avoir un cavalier charmant, à qui il était agréable de faire la discussion, il était aussi bon danseur. Comme convenu, avec l’Impératrice, on s’entraîna jusqu’à dix-huit heures trente avant de devoir retourner à mes obligations de demoiselle de chambre.
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