Chapitre 30
Cuisiner avec ma mère me permit de me vider la tête pendant une bonne heure. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas cuisiné ensemble et encore moins de la pâtisserie. Certains ingrédients, comme le chocolat coûtait cher et nous ne pouvions que rarement en manger. Mais maintenant que Véra assurait mes arrières, nous pouvions en profiter. Un bon repas, riche en calories, et une bonne dose de rire, de sourire et de bonheur. Après l’avoir aidé à débarrasser, faire la vaisselle et un peu de ménage, elle m’autorisa à rejoindre Jordan à l’orphelinat.
Pourtant en y arrivant, je ne vis qu’un vieux tas de cendre, un immense bâtiment en ruine, noircie par le temps et par le feu. Je ne pouvais avoir aucun doute là-dessus. Un incendie avait eu lieu, entraînant la destruction du seul bâtiment qui avait aidé près de mille enfants en près de vingt ans. Mais pourquoi Jordan m’avait demandé de l’aide alors qu’il n’y avait plus d’orphelinat ? Décidée à en avoir le cœur net, je sortis mon téléphone de ma poche pour l’appeler.
— Élia, que puis-je faire pour toi ?
— Pourquoi tu me demandes de l’aide à l’orphelinat alors qu’il est en ruine ? Qu’est-ce qui s’est passé, Jordan ?
— Oh ! Tu es là-bas ? L’orphelinat a été déplacé ailleurs après l’incendie. Ne bouge pas, je viens te chercher. Je suis à dix minutes en voiture.
— Parce que tu as une voiture maintenant ?
— Je viens te chercher et je t’expliquerais tout. Il y a eu beaucoup de changement depuis ton départ.
— Alors je t’attends, je ne bouge pas.
— A tout de suite.
En attendant son arrivée, je fis le tour des ruines de l’orphelinat pour essayer de comprendre ce qu’il avait bien pu se passer. J’avais beau chercher un indice, je ne parvenais pas à trouver quoi que ce soit. L’arrivée de Jordan me permit de sortir de mes pensées et d’avoir enfin une réponse.
— Un incendie volontaire.
— Qui ?
— Le fils du Duc. Une vengeance de ton départ et de tous tes refus.
— L’enfoiré ! Si je le trouve…
— Tu ne vas rien faire Élia. Tu ne peux rien faire.
— Si, je peux faire quelque chose. Il suffit d’un message pour que lui et son père partent enfin en prison.
— Élia, soupira-t-il.
— Tu crois vraiment que je vais rester là sans rien faire alors qu’il a mis en danger la vie de plus d’une cinquantaine d’enfants ?
— J’ai bien compris que tu étais proche de l’Impératrice, mais…
— Je sais ce que j’ai à faire, Jordan. Où sont les enfants maintenant ?
— Tu te souviens du manoir abandonné ? Je l’ai fait rénover et ils sont là-bas.
— Bien sûr que je m’en souviens.
— Alors, monte dans la voiture, je vais tout t’expliquer.
À une dizaine de mètres derrière nous, une belle voiture bleu brillant attendait, toujours allumée. Jordan s’installa côté conducteur et je fis de même côté passager. Un mois après mon départ, il avait hérité de la fortune de sa mère alors qu’on l’avait tous toujours cru morte. Par son héritage, il avait obtenu la propriété du manoir abandonné de notre enfance. Celui où Iléna et lui aimaient me faire peur où on passait la nuit à se raconter des histoires d’horreur. Avec la fortune de sa mère, il s’était payé le permis, acheté une belle voiture, et rénové le manoir. Aujourd’hui, tous les orphelins y avaient été relogés, dans de meilleures conditions que l’ancien bâtiment. Mais il maquait toujours des bénévoles pour s’occuper des enfants.
— Ils ont dit quoi les jeunes après mon départ ?
— Beaucoup t’en veulent. Ils n’ont pas compris pourquoi du jour au lendemain tu n’étais plus là. Quand j’ai appris où tu étais par ta mère, j’ai essayé de leur expliquer, mais ils n’ont rien voulu savoir.
— Ils m’en veulent encore ?
— Ceux qui sont là depuis tu y travaille, oui et surtout les plus âgés.
— Je vais essayer de m’excuser auprès d’eux dès que je les vois. Mais dis-moi, comment tu as pu hériter de ta mère maintenant alors qu’elle…
— M’as toujours fait croire qu’elle était morte quand j’étais jeune ? Je ne sais pas. Je faisais ma vie tranquille et du jour au lendemain, j’ai reçu une lettre m’informant de l’héritage que je venais de recevoir. J’ai aussi hérité de son titre.
— Son titre ?
— Oui. Je suis devenu un grand-duc.
— Mais c’est génial !
— Oui enfin ça engendre plein de problèmes quand même. Mais assez parlé de ça, les enfants d’abord.
Quand on arriva aux abords du manoir, je ne le reconnus pas au premier regard. Ce n’était plus un vieux bâtiment, soi-disant hanté, mais une magnifique bâtisse, entourée de beaucoup de verdures où quelques ados jouaient ensemble à l’extérieur. Au loin, depuis la voiture, je reconnaissais quelques visages et surtout ceux des filles dont je m’étais beaucoup occupé avant mon départ. Quand elles s’aperçurent de ma présence, elles accoururent vers nous.
— Élia ! Tu es revenue !
— Bonjour les filles. Je suis de retour pour quelque temps, oui.
— Parce que tu comptes repartir ? m’interrogea Stacy, la plus jeune.
— Je suis là en vacances. J’ai un travail ailleurs qui compte beaucoup pour moi.
— Et c’est où ?
— Au palais royal.
— Pour de vrai ? Tu connais l’Impératrice ?
— Si je la connais ? Mieux que vous ne pouvez l’imaginer, mais je vous en parlerais plus tard. Tu me fais visiter Jordan.
— Avec plaisir, p’tit moineau.
De l’intérieur, le manoir semblait plus grand. Le hall était la pièce la plus imposante de la structure. Selon Jordan, elle pouvait accueil plus de cinq cents personnes en même temps. Il y avait actuellement cinquante enfants logés au manoir, âgé entre un et dix-sept ans et ils avaient toute une chambre individuelle. Pour ceux ayant plus de cinq ans du moins. Je reconnus une bonne dizaine d’enfants, tous les autres étaient des nouveaux. Une petite fille attira mon attention. Ses cheveux étaient noircis de poussière et de crasse, comme son visage et elles restaient seuls dans un coin.
— C’est qui elle ? Pourquoi elle reste seule ?
— Lianna est arrivée hier en fin d’après-midi. Ses deux parents sont morts dans un incendie. Je n’arrive à rien avec elle. Elle ne mange pas, ne parle pas et impossible de lui faire prendre un bain.
— Je vais m’en occuper. Tu as d’autres informations sur elle ?
— Lianna a deux ans, aucun frère ou sœur. Elle garde sa peluche en permanence. Je ne sais pas grand-chose sur elle. Ses voisins ne l’ont jamais vu sortir de sa maison. Ses parents semblaient très protecteurs.
— Je vais faire avec, merci.
Sur la table du salon, je récupérais un cookie avant d’aller m’asseoir à côté de Lianna, sur l’une des banquettes. Elle détourna le regard vers moi un instant avant de m’ignorer.
— Ce manoir est vraiment beau. Je travaillais avec Jordan avant, mais dans un autre bâtiment beaucoup moins beau. Je connais beaucoup d’enfants ici, sauf toi. Tu veux bien me dire ton nom ?
Pour ne pas me répondre, elle raffermit sa prise sur sa peluche, sans me regarder.
— Je m’appelle Élia et Jordan est mon meilleur ami. Tu veux partager se cookie avec moi ? Je ne vais pas tout manger.
Je coupais le cookie en deux et le lui tendis. Elle ne me répondit pas, mais le récupéra et croqua dedans. J’avais réussi à capter son attention et elle commençait à manger.
— Mon papa est mort quand j’étais enfant. Je n’ai aucun souvenir de lui, mais je sais qu’il m’aimait. Ton papa et ta maman t’aimaient aussi, j’en suis sûr. Comme mon papa, ils n’ont pas eu le choix de partir, mais ils seraient restés auprès de toi s’ils avaient pu. Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ?
Elle secoua la tête négativement avant de croquer à nouveau dans son demi-cookie.
— Tu ne veux toujours pas me dire comment tu t’appelles ?
— Lianna, répondit-elle et tournant la tête vers moi avec un sourire.
Elle avait de beaux yeux verts, comme Véra et sous la couche de poussière de ses cheveux, je pouvais apercevoir des reflets blonds.
— Tu préfères les bains ou les douches ?
— Bain.
— On y va ?
— Oui.
Elle descendit du fauteuil et se tourna vers moi en tendant les bras. Je l’attrapais pour la porter et dus demander à Jordan où se trouver la salle de bain la plus proche. Une fois dans l’eau, Lianna avait en effet de beaux yeux verts et un joli visage. Je jouais avec elle et son beau sourire revenait petit à petit.
— Lia ?
— Oui p’tit chat ?
— Âteau ?
— Tu veux encore des gâteaux ? Gourmande. Aller vient, on s’habille et on je vais t’en donner.
— Erci.
— Mais de rien.
Je fouillais dans ses affaires pour lui trouver une jolie petite tenue et la coiffais de deux couettes de chaque côté de sa tête. Quand je redescendis dans le hall, Jordan m’attendait, une grosse pochette sous me bras. Lianna posa ses mains sur mes épaules et sa tête contre ma poitrine. Elle s’endormait, mais résistait.
— Mais c’est qu’elle est jolie Lianna quand elle est propre.
— Bon.
— Oui, p’tit chat ? Tu sens bon maintenant.
— Comme tu as réussi à l’amadouer, voici son dossier.
— Je croyais que tu ne savais pas grand-chose sur elle.
— Sur sa famille oui. Ça, c’est son dossier médical. L’assistance sociale qui a amené Lianna me l’a donné au passage.
— Je vois. J’ai pas mal de lecture à faire.
— Il y a un parc avec une belle étendue d’herbes à deux minutes d’ici, à droite en sortant. Vous y seriez tranquille.
— Merci.
— Tu es sage avec Élia, d’accord ? prévient-il Lianna.
— Accord.
Écoutant la recommandation de Jordan, je pris d’autres cookies, une couverture et le dossier médical de Lianna. Je mis quelques minutes à trouver le jardin dont parlait Jordan. Mas il avait raison, c’était un magnifique parc fleurit et très agréable. Je repérais un coin sympathique et m’y installais. Je posais la couverture puis Lianna dessus et celle-ci se mit à jouer avec les fleurs. Je la laissais profiter du beau temps et des bonnes odeurs pendant que j’étudiais son dossier médical.
Lianna avait été une enfant surprotégée par ses parents en raison d’une naissance prématurée et d’une malformation cardiaque. C’était pourquoi elle n’était que rarement sortie de chez elle. Ses parents l’avaient couvé et je comprenais pourquoi elle s’était enterrée dans un mutisme après la mort de ses parents. Toute sa vie reposait sur eux. Lianna était aussi allergique aux piqûres d’abeilles. En étant dans ce parc, j’allais devoir y faire très attention. Heureusement, ce n’était pas la saison idéale pour les sorties des abeilles. J’envoyais tous de même un message à Jordan pour l’en informer.
— Lia ? m’interpella la petite.
— Qu’est-ce qu’il y a p’tit chat ?
— Bobo ça ? m’interrogea-t-elle en désignant des orties.
— Oui, ça pique. Ce sont des orties. Ça pique et après ça gratte.
— Pas toucher.
— C’est ça, il ne faut pas y toucher.
Avec Lianna, les heures passèrent à une vitesse folle. Ce fut seulement quand ma mère nous rejoignit que je me rendis compte du temps passé. Il était déjà presque dix-sept heures.
— C’est Jordan qui m’a dit que tu étais là.
— C’est tellement reposant d’être ici.
— Je crois qu’on vient de trouver ta thérapie.
— Non, mais ça, je le savais déjà. Être avec des enfants, ça m’apaise vraiment. Surtout dans ce parc.
— Tu as pu voir avec l’Impératrice pour le psy ?
— Oui, il devrait arriver dans deux jours.
— C’est parfait. Est-ce que tu veux qu’on en discute ?
Sans que je ne sache comment, Lianna sut qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Elle abandonna ses fleurs pour venir s’asseoir entre mes genoux.
— Cette femme, Margot, au début tout allait bien. Elle m’a beaucoup aidé à m’intégrer au palais, à m’apprendre le métier. Je l’aidais dans ses tâches quotidiennes et ça lui permettait de se concentrer sur son rôle de dame de chambre. Mais je suis devenue de plus en plus proche de l’Impératrice, jusqu’à m’occuper de son bain alors que ce n’était pas mon rôle. Et ça ne lui plaisait pas.
— Comment as-tu fait pour te rapprocher d’elle ?
— En fait, c’est plutôt l’inverse. Elle voyait que je n’allais pas bien et voulais m’aider. J’ai même fini par lui parler d’Iléna et du coup, des recherches sont en cours pour la retrouver.
— Tu as réussi à lui parler de ta sœur ? De ce que tu ne m’as jamais dit ?
— Elle sait dans les moindres détails ce qu’il s’est passé, oui.
— Tu devrais vraiment lui faire confiance.
— C’est tellement facile de lui parler, elle comprend tout. Et puis, elle n’a que vingt-trois ans alors que Margot est plus vieille que toi. Plus les mois passaient, plus j’étais proche de l’Impératrice. Entre-temps, je suis tombée amoureuse d’une femme, Véra, et là encore, elle m’a beaucoup aidée. Quand Margot nous a surprises, elle et moi en train de s’embrasser, elle en a profité pour m’éloigner. Elle m’a fait enfermer pour haute trahison, elle m’a… torturée avant de vouloir me pendre. C’est là que l’Impératrice m’a sauvé, au dernier moment. Mon bourreau allait activer la barre quand elle l’a arrêté. Il avait la main sur cette barre, terminais-je en larme.
— Oh ma chérie, soupira ma mère en me prenant dans ses bras.
— J’ai eu tellement peur, maman. Mais en même temps, à ce moment-là, j’étais persuadée que c’était la seule solution. Que j’étais un monstre et que je devais mourir.
— Tu n’es pas un monstre, ma chérie. Je t’interdis de penser ça, tu m’entends ?
— Quand elle a su ce que Margot m’avait fait, l’Impératrice la virée. Elle m’a aidé à me relever, elle a attendu que j’aille un peu mieux. Que je ne sois plus en état de choc. Elle m’a alors donné la place de Margot, le poste de Dame de chambre.
— Même si tout ce que tu as vécu était compliqué, je suis contente que l’Impératrice ait été là pour toi. Qu’elle ne t’ait pas laisser tomber comme j’ai pu le faire après la disparition de ta sœur.
— Elle ne m’abandonnera jamais. La relation que nous avons aujourd’hui… nous sommes trop soudées, indispensables l’une pour l’autre. Comme de meilleures amies.
— Mais aujourd’hui c’est compliqué, c’est ça ? C’est pour ça que tu es partie ?
— En quelque sorte oui. Je ne parvenais plus à trouver ma place là-bas ? Je ne savais plus qui j’étais. J’avais besoin de vacances, de me retrouver. Au début, elle ne voulait pas que je parte, mais quand elle a compris que je n’allais vraiment pas bien, que j’avais besoin de partir, elle a fini par accepter. Avant la goutte d’eau finale, sa tante, Lizéa, m’a parlé des grand-mères de l’Impératrice. C’est cette discussion qui a mis le feu aux poudres.
— Même si vous êtes meilleure amie, votre relation n’en reste pas moins compliquer, n’est-ce pas ?
— Oui, à cause de la femme que j’aime. Mais là, c’est trop tôt pour t’en parler.
— Ne t’inquiète pas. Tu m’en parleras quand tu pourras.
— Merci de comprendre, maman.
— Mais c’est normal, ma grande.
Alors que le soleil commençait à se coucher, ma mère me serra dans ses bras et Lianna en fit de même. Avoir réussi à lui parler de ce qu’il s’était passé avec Margot, ça m’avait en quelque sorte libérée. Je commençais à peine ma thérapie, mais être auprès de ma mère, chez moi, ça faisait du bien.
— Mama ? m’interrogea Lianna en désignant ma mère
— Oui, p’tit chat. C’est ma maman.
— Bob Lia ?
Elle m’interrogea calmement en posant sa main contre ma poitrine. Elle n’avait sûrement pas compris ce que j’avais dit à ma mère, toute l’étendue de la colère, de la tristesse et de la culpabilité qui me rongeait, mais elle sembla comprendre que je n’allais pas bien. Ses yeux brillaient, comme si elle pleurait.
— Oui Lianna, mais ça va aller.
— T’aime Lia.
Elle posa alors ses mains sur mes épaules puis sa tête contra ma poitrine. Elle était adorable.
— Je crois que cette petite est hypersensible, commenta ma mère.
— C’est-à-dire ?
— Les hypersensibles sont capables de ressentir les émotions de ceux qui les entourent. Parfois c’est un handicap pour eux, mais ça peut aussi être une force.
— Tu crois qu’elle ressent ce qu’il se passe au plus profond de moi ?
— En quelque sort oui. Ce serait bien de la faire diagnostiquer officiellement, mais je pense qu’elle l’est.
— Comment tu sais ça ?
— Iléna est hypersensible. Si vous aviez une si grande connexion à travers la danse, si elle arrivait toujours à te comprendre quand je n’y parvenais pas, c’était pour ça.
— Ça explique pourquoi je ne pouvais rien lui cacher.
— Oui. Il lui suffisait de te regarder pour savoir s’il « était passé quelque chose.
— J’aimerais tellement qu’elle soit là aujourd’hui. Elle pourrait m’aider et…
— Aider Lia, moi ? ajouta Lianna, de sa petite voix toute triste.
— Si tu veux, oui.
Comme il commençait à faire nuit, je pris Lianna dans mes bras. Ma mère ramassa les affaires et on rentra à l’orphelinat. Je n’étais ici que depuis peu de temps, mais je savais déjà que j’avais fait le bon choix. Celui de revenir quelque temps auprès de ma mère, là où j’avais toujours vécu.
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