Chapitre 38
Avoir dansé toute l’après-midi me permit de faire redescendre ma colère. Pour éviter d’envenimer la situation, Véra avait décidé de s’occuper de Lianna, à son réveil, pour apprendre à la connaître, mais surtout pour me laisser tranquille. Quand vint l’heure de rentrer à la maison, je fis prévenir Véra que je l’attendais dans la cour.
— Tu m’as fait appeler ? me questionna-t-elle en arrivant.
— Oui. C’est l’heure de rentrer chez ma mère.
— D’accord, je te suis.
— Ce sera à pied, par contre.
— Pas de soucis.
— Je vais dire au revoir à Lianna, attends-moi ici.
Sans attendre sa réponse, je retrouvais Lianna qui attendait derrière nous. Quand je sus qu’elle ne pleurerait pas à mon départ, j’invitais Véra à me suivre jusqu’à la maison. Sur le chemin, Véra tenta de se justifier, mais je ne l’écoutais que d’une oreille. Elle avait raison, moi aussi, et nous avions chacune un point de vue différent et je ne pouvais rien y faire.
— Tu m’écoutes ?
— Non. Ça ne sert à rien d’en discuter plus, Véra. Je comprends ton point de vue et nous ne parviendrons jamais à un terrain d’entente. Tu as ta vision d’Impératrice, j’ai ma vision de fille lambda, c’est tout.
— Tu es toujours en colère.
— Non, je ne le suis plus. Je sais que je ne peux rien faire de plus. On est arrivée.
Je respirais un grand coup, glissait ma main dans la sienne et lui sourit. Pour prévenir ma mère de notre arrivée, je frappais à la porte et l’appelle en entrant. Mais personne ne me répondit.
— Attends-moi ici. Ce n’est pas normal.
— Je peux appeler un soldat si tu as besoin. Il y en a un pas loin.
— Non, ne t’inquiète pas.
La laissant à l’entrée, j’avançais dans la maison, sur mes gardes. Quand la porte de la grange s’ouvrit subitement, je sursautais, ma mère venant d’apparaître.
— Maman ! Ça va pas de me faire peur comme ça ?
— Excuse-moi chérie. Je ne t’ai pas entendu arriver. Ta journée s’est bien passée ?
— Plutôt bien oui. Et il faut que je te présente quelqu’un.
— Oh, bonjour mademoiselle, ajouta-t-elle en apercevant Véra
— Maman, je te présente Véra, ma…
— Oh, Votre Majesté. Veuillez m’excusez.
— Ce n’est rien Madame. Je ne suis pas là en tant qu’Impératrice. Vous pouvez m’appeler Véra et me tutoyer.
— Très bien. Bienvenue chez moi.
— Je suis ravie de faire votre connaissance, Madame Aubelin.
— Appelez-moi Nia, ce sera plus simple. Et vous pouvez me tutoyer.
— Fais-en de même, Nia.
— Tu veux boire quelque chose ? J’ai du jus d’orange tout frais.
— Avec plaisir, merci.
Pendant que ma mère nous préparait nos verres de jus d’orange, Véra faisait le tour du salon, observant les photos. Elle récupéra la photo de famille et vint s’asseoir sur le canapé, à côté de moi.
— Tu as les yeux de ton père, chérie, souffla-t-elle.
— On me là souvent dit.
— Tu n’as vraiment aucun souvenir de lui ?
— Aucun, pas même du son de sa voix. Mais il est vrai que je n’ai jamais posé de question sur lui. C’était trop dur.
— Ma tante est la seule à pouvoir te comprendre. Même si elle a quand même des souvenirs de sa mère.
— Elle aussi a été assassinée ? questionna ma mère.
— Je n’en ai aucune idée. On ne m’a jamais dit ce qu’il s’était passé. Est-ce que le coupable du meurtre de ton mari a été sanctionné ?
— Malheureusement non. Je n’ai jamais pu prouver son lien avec l’affaire.
— Je pourrais aider, si tu le souhaites.
— Ce n’est plus la peine. Quand il apprit qu’Élia était la Représentante impériale officielle, il a fui et c’est son fils qui a repris la gestion du village. C’est un idiot, mais j’ai du pouvoir sur lui.
— Son fils ? Mais pourquoi tu ne m’as rien dit maman ?
— Est-ce que tu la croiser ?
— Non.
— Alors je n’avais aucune raison de te le dire.
— T’as peur que je le gifle si je le croise ? ne pus-je m’empêcher de rigoler.
— Élia…
— Oh ça va, maman. Ce n’est pas ma faute s’il ne comprend pas quand je lui dis non.
Pendant que ma mère se décida à faire à manger, j’invitais Véra à monter ses valises dans m chambre, qu’elle posa au pied de mon lit. Elle fit rapidement le tour, avant de me prendre dans ses bras.
— Ta chambre est si petite, commenta-t-elle.
— C’est vrai, comparé à la tienne. Mais comme tu peux le voir avec les deux bureaux, je partageais la chambre avec ma sœur.
— Ce n’était pas compliqué de la partager ?
— Non, je me sentais en sécurité avec elle à côté. Comme avec toi maintenant.
— Donc tu te sens en sécurité avec moi, c’est rassurant.
— Comment ne pas l’être avec tes gardes, rigolais-je. Tu es venu avec eux d’ailleurs ?
— Oui, mais ils sauront se faire discrets durant cette semaine de vacances, ne t’inquiète pas.
— Et au palais, c’était comment sans moi ?
— Compliqué.
Elle s’assit sur le lit, coinçant ses mains entre ses cuisses. Comprenant qu’il s’était passé quelque chose, je m’assis à côté d’elle, entourais sa taille de mon bras et pris ses mains dans l’une des miennes.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Comme tu es partie subitement, c’est le conseil qui a trouvé ta remplaçante, moins de deux heures après ton départ.
— Donc ça veut dire qu’ils ont une liste en réserve, soupirais-je.
— Je n’ai pas eu mon mot à dire sur cette fille. Dès qu’elle est arrivée, j’ai tout de suite su que ça n’irait pas entre nous. Elle était sèche dans ses paroles, dès que je lui demandais quelque chose, elle soupirait et le faisait à regret, voir demandait à quelqu’un d’autre de le faire à sa place. Elle laissait les bougies allumées la nuit, elle était médisante dans mon dos auprès des autres employés. Elle n’était pas honnête avec moi. Je ne me sentais pas du tout en sécurité avec elle.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
— Je ne voulais pas t’embêter avec ça. Tu avais d’autres choses à régler.
— Tu n’as pas trouvé le moyen de la remplacer ? Par Sandra par exemple ? Elle t’a beaucoup aidé quand je n’en étais pas capable.
— Le Conseil voulait une professionnelle. Ils ne m’ont pas laissé le choix.
— Je suis désolée.
— Elle était tout le temps avec moi, c’en était étouffant. Heureusement, elle n’est jamais entrée dans la salle de bain, je lui en aie interdit. C’était le seul endroit où je pouvais souffler.
— Elle ne t’a jamais vue…
— Nue ? Non. C’est un privilège qui t’est exclusif.
— J’aurais aimé me relever plus tôt. J’aurais aimé n’être jamais partie pour prendre soin de toi, pour qu’elle n’entre jamais au palais.
— Tu avais besoin de partir, Élia. J’ai mis fin à son contrat dès que je suis partie. Comme je sais que tu vas rentrer avec moi. Je suis soulagé de te retrouver, vraiment.
— Je suis navrée que tu aies dû à vivre ça à cause de moi.
— C’est fini maintenant.
— À table !
En souriant, j’invitais Véra à descendre pour passer à table. Ma mère n’était pas une cuisinière exceptionnelle, mais ce qu’elle faisait, c’était toujours délicieux. J’aidais ma mère à mettre la table et proposais à Véra la place d’Iléna. Ma mère fit les yeux ronds en comprenant.
— Tu es malade, Élia ?
— Elle ne va pas se mettre loin juste parce que c’est la place d’Iléna.
— Tu es chanceuse, Véra. Ce n’est pas tout le monde qui peut s’asseoir à la place d’Iléna. Habituellement, Élia refuse qu’on s’y assoie.
— Je suis honoré de pouvoir m’y installer.
— Mais vous avez fini vos bêtises oui ? Mangez et arrêtez de dire n’importe quoi.
Véra et ma mère rigolèrent en même temps. Durant le repas, j’observais en silence Véra et ma mère discuter. Ma mère essayait d’en apprendre plus sur ma compagne tout en mettant de côté son titre d’Impératrice. Elle voulait connaître celle de qui j’étais tombée amoureuse, Véra Stinley et non Véra De Stinley. Cette particule qui donnait sens au combat que j’allais devoir mener, aux deux personnalités qui cohabitaient chez celle qui faisait battre mon cœur. Alors que je regardais Véra discuter, souriante, ma mère s’arrêta subitement de parler pour me regarder.
— C’est donc ça d’être amoureuse ? Cette lueur dans les yeux, ce sourire en coin ineffaçable. Tu resplendis, ma fille.
— Maman ! Enfin.
— J’ai été à ta place un jour, ma grande. Tu mérites de trouver le bonheur. Et je suis ravie et rassurée que ce soit cette charmante jeune femme qui t’ait conquise. Je vous souhaite tous les vœux de bonheur dans vos projets.
— Merci maman, souris-je.
— Tu dois savoir, Nia, qu’Élia a déjà dit non à ma première demande en mariage.
— Pardon ? Élia enfin !
— Mais… la situation ne s’y prêtait pas du tout !
— Et si aujourd’hui je te le demandais à nouveau ?
— Je te dirais oui, idiote. Je n’aurais pas accepté d’adopter Lianna avec toi sinon.
— C’est moi que tu traites d’idiote ?
— Laisse-moi réfléchir… oui, rigolais-je.
— Très bien, je retiens. Et toi, Nia, est-ce que tu accepterais si je te demandais la main d’Élia ?
— Je pense oui. Tu es une femme formidable, Véra. Et pour avoir rencontré ta tante et ta grand-mère, je sais que ma fille sera bien entourée par ta famille.
Durant tout le repas, Véra et ma mère discutèrent, oubliant totalement ma présence. Ça ne me déplaisait pas. À côté de moi, je retrouvais la femme de vingt-trois ans sont j’étais tombée amoureuse. Même si ma mère savait qu’elle était l’Impératrice, elle restait naturelle avec elle, ce que j’appréciais beaucoup. En fin de repas, je filais sous la douche, les laissant discuter entre elles avant de retourner dans ma chambre. Pendant que Véra prenait ma place, je revêtis mon pyjama et me coiffais, séchant mes cheveux. Quand je posais ma brosse, j’entendis Véra s’approcher. Elle entoura ma poitrine de ses bras et déposa un baisé dans mon cou.
— Ma mère semble t’apprécier, répondis-je à son baisé.
— Il semblerait que j’ai fait bonne impression, en effet.
— En même temps, comme ne pas t’aimer.
— Il y en a beaucoup qui ne m’aime pas, mon ange.
— Ceux qui ne te connaissent qu’en tant qu’Impératrice. Mais quand on te connaît réellement, celle que j’aime, c’est impossible de ne pas t’aimer.
— Ta mère à une semaine pour apprendre à me connaître, ça devrait aller.
Je me retournais dans ses bras, posant mes mains dans son dos.
— Excuse-moi pour cet après-midi. J’ai compris que je n’aimais pas quand tu étais l’Impératrice, mais je n’ai pas le choix de l’accepter. C’est ton rôle, ton travail, comme le mien est d’être ta dame de chambre.
— Je comprends. Je suis Impératrice depuis que j’ai dix-huit ans. Il m’est aujourd’hui parfois compliqué de dissocier mon titre de ma personnalité. Il n’y a qu’avec toi que je peux être totalement moi-même. Et ça ne fait que quelques mois que je peux me permettre d’être aussi proche et familière avec toi. Je dois aussi faire des efforts, j’en ai conscience.
— Tu es telle que tu es, Véra. Je n’ai aucun droit de te demander de changer pour moi. Ce serait égoïste sinon.
— C’est pour ça que je t’aime, mon ange. Tu n’aimes quand je fais l’Impératrice, mais tu l’acceptes quand même.
Elle m’embrassa, m’obligeant à me mettre sur la pointe des pieds. En allant se coucher, elle voulut fermer la porte, mais je l’en empêchais. Iléna ne l’avait jamais fermée, voulant toujours entendre quand quelqu’un allait dans les escaliers, celui-ci grinçant. Mais aussi pour s’assurer que je ne me cogne pas à la porte, dans le noir. Iléna avait toujours été la plus prévenante avec moi. Véra hésita à laisser la porte ouverte, étant habituée à ce qu’elle soit fermée à clef. Mais après avoir compris pourquoi, elle accepta et vint se coucher avec moi.
— Ta mère va nous entendre si on laisse la porte ouverte, tenta-t-elle tout de même.
— Elle a le sommeil lourd. Mais je t’assure que j’ai besoin que la porte soit ouverte. De pouvoir entendre ma mère ronfler ou quiconque qui passe par l’escalier.
— La porte fermée ne te dérange pas au palais pourtant.
— Elle est fermée à clef et il y a des soldats. Ici, n’importe qui pouvait entrer et s’en prendre à l’une d’entre nous.
— Les soldats veillent la maison, Élia. Tu peux dormir tranquillement.
— Je sais, mais…
— Je comprends. On ne se défait pas si facilement de ses habitudes.
— Merci.
La porte définitivement entre ouverte, je me blottis dans les bras de Véra, posant ma tête sur sa poitrine, ses bras autour de la mienne. Même si nous nous étions disputés durant la journée, retrouver la chaleur de ses bras était réconfortant. Ce pour quoi je m’étais battu. Ce pour quoi j’avais lutté contre les démons. Aux côtés de Véra, je retrouvais ma paix intérieure. Au son des battements de son cœur, je finis par m’endormir, heureuse.
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