Chapitre 39
À mon réveil, Véra dormait encore et son bras était autour de ma taille. Je me tournais vers elle et la regardais dormir. Elle semblait apaisée. À son réveil, elle me sourit et m’embrassa. Après nous êtes habillé, on descendit dans le salon pour prendre le petit déjeuner. Sur la table, ma mère avait déjà tout préparé. Comme chaque matin, après avoir mangé, je retournais à l’orphelinat. La présence de Véra n’y changerait rien. Pendant mon cours de danse, Véra s’occupait de Lianna, jouant avec elle dans le jardin. On se retrouva toutes les trois à midi.
— Pourquoi on n’irait pas visiter ton village cet après-midi ? proposa Véra.
— C’est une bonne idée. On pourrait emmener Lianna jouer au skatepark. Par contre il y a plein de morceaux de verre au sol.
— Je m’en occupe.
— T’es soldat ?
— Ça te dérange ?
— Non pas du tout. Mais tu pourrais leur dire qu’ils ne délogent pas les danseurs quand ils iront nettoyer ?
— Bien sûr, ils feront attention.
— Merci.
En début d’après-midi, pendant la sieste de Lianna, on s’installa dans la salle de cinéma de l’orphelinat devant l’un de mes fils préférés, avant d’être rejoints par d’autres jeunes. Quand le film commença, Véra entoura ma taille et je posais ma tête contre son épaule. Prendre ces deux heures, rien que pour nous, ça faisait du bien. Ce temps que nous n’avions jamais pu prendre, Véra étant toujours surveillée au palais et ne pouvais que rarement être seule avec moi.
— On devrait se faire des journées comme ça plus souvent, chuchota-t-elle.
— Et comment ? Il te faudrait plus de personnel pour ça. Au moins un assistant et une demoiselle de chambre.
— Ma grand-mère m’a fait la même remarque et j’ai déjà envoyé l’offre d’emploi. Je pensais engager une assistante et deux demoiselles de chambre et regarder les candidatures avec toi.
— Encore une fois, tu penses à tout.
— C’est mon rôle, mon ange.
À la fin du film, je retrouvais Lianna dans sa chambre pour la réveiller pendant que Véra devait passer un coup de fil. Lianna toujours endormie dans mes bras, je la rejoignis à l’entrée de l’orphelinat.
— Un problème ? la questionnais-je.
— Oui, mais le Conseil s’en occupe.
— Prends le temps de régler le problème si tu as besoin.
— Je sus en vacances, mon ange. Et le Conseil est là pour ça.
— D’accord. Mais je comprendrais si tu avais besoin de quelques heures pour travailler.
— Arrêtons de parler de ça et allons nous promener.
Elle s’approcha et Lianna hésita avant d’aller dans ses bras et de poser sa tête sur sa poitrine. Elle n’était pas encore très à l’aise avec Véra, mais l’acceptait tout de même. On marcha pendant une dizaine de minutes, Lianna dans les bras de Véra jusqu’à arriver au centre du village. La petite, enfin totalement réveillée, descendit de son refuge pour commencer à courir autour de nous. Ce n’était pas un jour de marché, mais il y avait quand même beaucoup de monde sur la place principale. En approchant, on remarqua une animation. Il y avait une pièce de théâtre. Quand je compris que celle-ci critiquait le pouvoir en place et surtout une loi aujourd’hui abolis, je me tournais vers Véra, mais celle-ci ne semblait pas réagir. Elle écouta la pièce, jusqu’à la fin en silence. Quand celle-ci se termina, elle continua son chemin et je dus la rattraper. Pour l’arrêter, je glissais ma main dans la sienne et parvint à la faire réagir.
— Ne fais pas attention à ce qu’ils disent, chérie. Ils ne savent pas tout et ils ne font pas partie du village. Je ne les reconnais pas.
— Pourtant ils ont raison. J’ai bien interdit les couples comme les nôtres, jusqu’à instaurer une peine de prison. Il faut reconnaître, à mes débuts, que je n’étais pas l’Impératrice idéale. Je ne le suis toujours pas d’ailleurs.
— Et après tu dis que je n’ai pas confiance en moi ?
— C’est diffèrent, Élia. Quand je regarde tous ce que ma grand-mère à fait…
— Non, mais là aussi ! Si tu te compares à ta grand-mère, c’est normal. Je ne peux le nier, elle est incroyable. Ne e compare pas à elle, chérie. Trace ta propre voie.
— Elle est mon modèle, Élia. Elle a accompli tellement de choses.
— Certes, mais sois-tu ce qu’elle a vécu ? Pourquoi elle a accompli toutes ses choses ?
— Non.
— Tu n’as pas toutes les informations sur sa vie. Tu ne peux pas te comparer à elle.
Cette pièce de théâtre avait atteint Véra, même si elle essayait de l’ignorer. Apercevant la devanture d’un bijoutier, elle m’ignora et s’en approcha. J’attrapais la main de Lianna et la suivie. Après avoir regardé les bijoux de la devanture, elle entra à l’intérieur de la boutique, nous entraînant avec elle. Cette boutique, c’était la première fois que j’y entrais.
— Bonjour, puis-je vous aider ? nous accueillit le bijoutier.
— Qu’avez-vous pour une petite de deux ans ?
— Je dois avoir…oh, Aubelin, je n’ai rien pour vous.
— Ça tombe bien, c’est moi votre cliente et non Élia.
— Excusez-moi madame. Je vais vous chercher mon coffret enfant.
— Merci.
Quand le bijoutier se retira dans l’arrière-boutique, Véra se tourna vers moi. Mais je l’empêchais de commenter la réaction du commerçant en allant regarder les diverses vitrines. Je ne lui avais pas dit la place de bouc émissaire que j’avais au sein de ce village. Je ne lui avais pas dit que ma famille était la plus pauvre du village et que beaucoup de commerçants refusaient aujourd’hui qu’on entre dans leur boutique.
— Regarde si quelque chose te plaît, Élia. Un collier ou même une bague.
— Une bague ? Pour quoi faire ?
— Pour quand je te demanderais en mariage.
— Celle de ma sœur me convient très bien.
— Regarde quand même s’il te plaît.
Quand le bijoutier revient avec plusieurs boites, Véra fit approcher Lianna. Je les rejoignis et regardais avec elle ce qu’avait apporté le commerçant. Parmi tous les bijoux proposés, celui qui retient mon attention était simple, en argent. Le collier représentait un cœur avec une pointe bleue, ajouté par une pierre brillante de cette couleur.
— Celui-là est magnifique. Est-ce que tu veux l’essayer p’tit chat ?
— Oui, beau.
Véra récupéra délicatement le collier et l’attacha autour du cou de la petite. Celui-ci lui allait à merveille. Véra se tourna vers le bijoutier pour l’informer qu’elle le prenait et pour lui demander de nous conseiller plusieurs bagues en vue de fiançailles. Elle tenait absolument à ce que je la choisisse.
— Quelles sont vos attentes sur ce bijou ?
— Quelque chose de discret, mais avec un diamant dessus si vous avez. Et qui puis convenir à cette jeune femme.
— Vous êtes exigeante, madame. Je vais devoir sortir ma collection secrète.
— Je n’en attends pas moins, Monsieur.
Quand il retourna dans l’arrière-boutique, j’approchais de Véra. Je voulus intervenir sur son choix du diamant, mais son sourire et l’amour dans ses yeux m’en empêchèrent. Si elle voulait m’offrir ce bijou, je ne pouvais l’en empêcher. Quand le bijoutier posa une boite verrouillée sur son comptoir, je compris que j’allais en prendre plein les yeux. À l’ouverture, je restais bouche bée.
— C’est trop Véra ! Je ne peux pas accepter.
— Ne fais pas ta tête de mule et choisis celle que tu veux.
Pendant une dizaine de minutes, je les observais toutes avant d’en choisir une blanche et bleu. Il y avait un diamant pas très gros et discret ainsi que la même pierre que celle de Lianna. Je l’essayais et demandais l’avis de Véra.
— Elle te va à merveille, mon ange. Elle est très jolie et discrète.
— Tu es certaine que…
— Je ne compte pas te demander en mariage sans bague, Élia. Et je ne me vois pas t’en offrir une de pacotilles.
— Bon très bien. Je choisis celle-là.
— Madame, étant donné la valeur de ce bijou, il me faut une preuve de votre capacité de paiement.
— Un chèque impérial vous conviendrait ?
— Véra ! Ne me dit pas que…
— Mais non, idiote. J’ai un compte différencié de celui de l’Empire. Comme celui que j’ai ouvert pour toi avant ton départ.
Pendant que Véra payait les bijoux, je l’attendais dehors, avec Lianna. Quand elle nous rejoignit, elle entoura ma taille de ses bras et posa son menton sur mon épaule. Quand Lianna nous aperçut, sa jalousie prit le dessus et je dus la porter dans mes bras. Véra rigola face à la réaction de la petite et vint la chatouiller. Notre famille commençait à peine à se construire, mais elle prenait déjà la voie de ce que j’avais toujours voulu avoir. Véra comme Lianna s’était rapidement adoptée l’une et l’autre, pour mon plus grand bonheur. Après cet instant de douceur, on reprit notre promenade au village. Véra acheta une rose qu’elle fit tailler pour pouvoir la glisser dans mes cheveux.
Ce début d’après-midi n’avait été que pur bonheur. Je découvrais enfin une Véra apaisée et libre. La femme de qui j’étais tombée amoureuse. Cette partie de sa personnalité qu’elle gardait cachée au fond d’elle-même quand elle était au palais. La voir ainsi sourire et en paix ravivait la flamme que j’avais au fond de mon cœur.
Quand l’un des soldats de Véra l’informa que le skateparc était nettoyé, celui-ci devint notre prochaine destination. Comme je m’y attendais, le groupe de danse était là et ils avaient le courir. Quand Leslie m’aperçut, elle s’approcha.
— Élia ! C’est grâce à toi que tout est propre ?
— A Véra surtout. Nous ne voulions pas que Lianna se blesse avec les bris de verre.
— Merci Madame. Lianna, tu veux venir jouer avec nous ?
N’ayant que rarement vu Leslie, Lianna hésita avant de la rejoindre. J’entraînais ensuite Véra s’asseoir dans l’herbe qui juxtaposait le parc. Elle m’installa entre ses jambes et entoura ma taille de ses bras. Son souffle dans mes cheveux, je fermais les yeux, souriait et m’appuyait contre elle.
— J’aime bien cette journée en famille, avec toi, avoua Véra.
— Et moi donc. Je suis vraiment heureuse que tu sois venue. D’avoir pu te présenter ma mère, Lianna, mais aussi ma vie ici, tout ce qui fait qui je suis.
— C’est vrai que je ne te connais qu’au palais, où tu es différente.
— Je n’avais pas trop le choix.
— Je sais et je ne t’en tiens pas rigueur. Mais cette semaine, j’ai bien vu que tu étais mieux ici. Tu y es plus libre.
— C’est le cas, mais je n’y suis pas à ma place. Comme tu as pu le comprendre chez le bijoutier, ma famille n’est pas la bienvenue. Les commerçants refusent aujourd’hui de nous vendre leurs produits si nous ne payons pas à l’instant. Je vais être honnête avec toi, mais ne pas avoir de problème d’argent, ne plus être regardé avec dégoût c’est…tu ne peux pas comprendre, toi. Tu n’as jamais été pauvre.
Véra avait raison. Je n’avais jamais vraiment été moi-même avec elle. Elle avait surtout été l’Impératrice, mon employeur avant d’être ma petite amie. Et le peu de temps que nous l’avions été au palais, j’étais distante, mal en point et avait dû cacher ma relation précaire avec elle, à notre entourage.
— Est-ce que tu douterais ? Tu ne veux plus m’épouser ?
— Si, bien sûr. Je te connais vraiment et je t’aime. Mais j’ai le sentiment de ne pas être légitime. Je ne voudrais pas que tu me demandes en mariage, pour la fille que tu as connue au palais et non celle que je suis réellement.
— Faisons connaissance alors. Montre-moi celle que tu es, celle que tu voudrais que j’épouse.
Finalement, c’était compliqué de répondre à sa demande. Parler de moi, de n’était pas simple. Ma sœur et ma mère me connaissaient mieux. Et puis, Véra avait pu découvrir la fille d’Edel depuis son arrivée. La fille qui s’occupait des jeunes de l’orphelinat, qui donnait des cours de danse. Celle que Lianna avait adoptée avant que l’inverse ne soit officiel.
— Si tu as des doutes sur qui tu es, moi pas, ajouta-t-elle. Je n’aurais jamais décidé d’adopter Lianna avec toi sinon. Je ne prévoirais pas de te demander en mariage ni de t’embaucher deux demoiselles de chambre pour qu’elle travaille à ta place. Je ne ferais pas tout pour que ton poste de dame de chambre ne devienne qu’un nom, pour que tu puisses t’occuper de Lianna, danser, te faire des amis, vivre ta vie. Je ne veux pas te retenir prisonnière au palais, à cause de tâches à rallonge, mais je veux que tu puisses être libre. Que tu puisses aller et venir entre le palais et Glenharm à ta guise. Je me doute que, même si tu as trouvé ta place au palais, ce n’est pas simple pour toi d’y vivre.
Discuter de mon avenir de ce qu’elle avait prévu pour moi avec Véra était rassurant. Ce que j’aimais beaucoup chez elle, c’était sa capacité à tout prévoir en avance. Contrairement à moi, elle était beaucoup plus organisée. Si Ilena était là, elle aurait dit que je ne savais pas me gérer seule, que j’étais très dépendante d’autrui. Et elle aurait raison. Au village, c’était ma mère qui s’occupait de tous. Au palais, c’était Véra. Je ne pouvais que le reconnaître, mais j’avais besoin de ça. Mais en même temps, et il fallait le reconnaître, même si j’étais désormais maman, je restais une jeune femme de dix-sept ans. J’avais juste trouvé la femme idéale pour vivre tel que je voulais, tout en étant peu organisée comme elle le faisait pour moi.
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