Reims, France

Septembre 2019 du Calendrier Grégorien

Dans le tintement régulier de son marteau, un homme battait le fer sur une enclume. Près de lui se trouvait une forge, comme autrefois. Une forge ardente qui réchauffait à elle seule le grand entrepôt dans lequel elle se trouvait. Le forgeron s’arrêta quelques secondes dans son travail et regarda la barre de fer encore rougeoyante. Satisfait, il la plaça dans un bac d’eau près de lui créant ainsi un nuage de vapeur qui embua la bulle dans laquelle se tenait cette scène telle une boule de cristal qui montre l’avenir … ou le passé. La bulle s’éleva dans le noir suivit par une dizaine d’autre bulles qui montraient d’autres lieux, d’autres événements ou d’autres souvenirs : une grande porte surmontée d’un marteau de guerre ancien, des flammes rougeoyante gorgées d’énergies, un enfant devant une forge … Toutes ces bulles arrivèrent enfin à la surface du liquide dans lequel elles trempaient. Néanmoins, l'une d’entre elle tarda à aller jusqu’au bout. Elle contenait la vision d’un homme de dos en contre-jour. Il se mit à tracer en l’air avec un doigt des signes étranges qui formèrent un disque : là où passait son doigt, une sorte de filament fluorescent de couleur violet se déposa en suspension au-dessus du sol.

La bulle finit enfin par percer la limite entre l’air libre et le Coca Cola dans lequel elle trempait. Thane la regarda rejoindre les autres bulles sur le bord du verre. Ce n’était que de simples bulles de Coca comme ils s’en formaient à chaque fois qu’il buvait cette boisson. Alors pourquoi les regardait-il fixement de cette façon ?

- Hé Thane, ça va ? lui demanda Aoro qui était à côté de lui.

- Hein ?

En sortant de sa rêverie il se rendit compte de là où ils étaient : un café qui était remplit de jeunes étudiants de leur âge qui discutaient entre eux autours d'une boisson ou de quelque chose à manger. Thane se tourna vers son ami au cheveux bruns foncé et lisse. Ils étaient assis sur la banquette qu'ils avaient l'habitude d' occuper, mais il ne put s'empêcher de lui demander :

- Qu'est-ce que je fais là ?

- Cool, tu nous fais le coup de l'amnésique ? Tant mieux je vais te rafraîchir la mémoire, lui répondit Aoro le sourire aux lèvres. On est dans le café de l'Anté-Crise, le lieu de rendez-vous le plus populaire de l'école préparatoire du coin où nous sommes tous les deux inscrits en 1e année. Toi tu t'appelles Thane et moi c'est Aoro. Oh ! Et accessoirement je suis TON MAÎTRE !

- Aoro te fous pas de moi, lui répondit Thane qui reprit ses esprits.

- Laisse-moi terminer, je suis bien lancé là, lâcha-t-il en secouant la main.

- Si ça t'amuse.

- DONC, ça fait deux ans que tu me sers en tant que serviteur …

- PARDON ?!

- Ҫa fait deux ans qu'on se connaît. Nous sommes tous les deux en prépa ingénieur, toi en vue de devenir métalurgiste et …

- Tu as fini ?

- Bien sûr que non, laisse-moi finir. Quant à moi c'est pour devenir astronaute et être le premier homme à marcher sur Jupiter …

- C'est impo…

- Laisse-moi finir te dis-je ! Et toi tu regrettes ton choix car depuis le début de l'année tu n'as pas touché à un quelconque bout de ferraille. Là, j'ai fini.

- Tu as oublié un truc me concernant, répliqua-t-il en passant la main dans sa tignasse châtain.

Aoro pris une mine grave, ce qui était rare chez lui.

- C'est donc à ton oncle que tu pensais. Le "Marteau d'Acier" comme il se faisait appeler.

- Le meilleur forgeron que je connaisse, dit Thane, celui qui m'a donné envie de faire ce que je fais, et l'un des derniers à utiliser une forge à l’ancienne. On l'a retrouvé mort il y a deux semaines d'une crise cardiaque, c'est encore trop douloureux pour que j'oublie.

Aoro regarda sa montre.

- Il faut qu'on y aille. On en parle après si tu veux ?

***

Thane et Aoro sortirent de l'école après une journée très chargée et se dirigèrent vers la zone industrielle de la ville.

- Bon si je comprends bien, dit Aoro, tu es maintenant le propriétaire de la forge de ton oncle.

- Ҫa c'est ce qu'il a mis dans son testament qu'il a écrit il y a quelques semaines, mais tu sais très bien que je ne peux pas m'en occuper à plein temps. C'est donc Seb, son assistant, qui s'en charge.

- Mais toi, reprit Aoro, tu n'y gagnes rien ?

- On peut dire que je suis utilisateur privilégié, lui répondit Thane en haussant les épaules.

Ils arrivèrent dans une rue où s'alignaient de grands entrepôts de forme identique, mais sur chacun était accroché un panneau indiquant les activités qui y étaient pratiquées : garage automobile, salle de sport, artisans divers …

Les deux étudiants se dirigèrent vers celui où il était écrit : "Artisan Forgeron". En y entrant, la chaleur les envahit. En effet, au milieu de l'espace principale trônait fièrement un âtre où rougeoyait des braises ardentes. Sur le côté de l'âtre étaient accrochés deux soufflets raccordés à tout un jeu de poulies, ainsi que quelques grosses enclumes sur lesquelles des hommes frappaient le fer de leurs marteaux. Un peu partout étaient entreposés dans des caisses différents objets : des barres de métal de tailles différentes et des objets en métal tous plus variés les uns que les autres. Dans un coin, étaient installés tous les outils nécessaires au travail du métal : marteau, pinces, limes, sceaux ... et dans le coin opposé du bâtiment, cachés par des cloisons, se trouvaient deux bureaux utilisés pour la gestion de cette petite entreprise.

Thane et Aoro traversèrent les lieux en saluant les quelques forgerons et apprentis qui travaillaient ici. Finalement ils croisèrent Seb qui les salua :

- Salut les gars, bonne journée ?

- Ouais, lui répondit Aoro en faisant rouler ses yeux bleu-gris, aujourd'hui notre prof de chimie a battu son score : 25 sur 20 sur l'échelle de l'ennui.

- C'est possible ça ?

- Non mais pour lui je fais une exception.

Le forgeron se mit à rire puis Thane lui demanda :

- On peut te prendre la salle de réunion pour bosser ?

- Pas de problème mais tu réfléchis à ma commande.

Thane protesta mais Seb ne lâcha rien :

- Je te demande d'y réfléchir et après je peux m'occuper de le forger si tu veux.

Thane fit la moue et, suivi de son ami, se dirigea vers la salle de réunion.

Après une heure à manier vecteurs, dérivées, torseurs, fractions, forces, intégrales, formules et fonctions dans tous les sens, Aoro poussa un long soupir et sortit une feuille blanche.

- Alors cette commande, de quoi s'agit-il ?

En rangeant le reste de ses affaires, Thane expliqua :

- Depuis plusieurs générations le patron de la forge doit se forger un emblème, qui doit pouvoir le représenter, pour ensuite devenir l'emblème de la forge.

Il pointa le doigt vers le haut de la porte d'entrée de l'entrepôt, où était accroché, sur un présentoir de velour rouge, un grand marteau de guerre d'à peu près un mètre cinquante de long.

- Mon oncle avait fait ce marteau, et son prédécesseur avant lui avait fait un grand bouclier qui est encore accroché sur le mur là-bas.

- Et Seb voudrait que tu fasses un emblème à toi, termina Aoro.

- Exact, sauf que j'y ai déjà réfléchi et que je ne trouve pas exactement ce que je veux.

Il sortit quelques feuilles, toutes gribouillées de schéma et de dessins. Aoro les examina. Beaucoup d'éléments s'y mélangeaient : des casques, quelques haches en tout genre, une griffe de dragon et plusieurs bijoux de formes différentes sertis de pierres précieuses. Mais un objet en particulier était plus présent que les autres.

- A ce que je vois tu as plus travaillé sur les épées.

- Oui mais aucune ne me satisfait totalement. Cet emblème doit être parfait, je ne peux pas faire n'importe quoi.

Ils réfléchirent un moment sur le sujet sans pour autant trouver une solution. Finalement Thane mit un terme à la discussion :

- Il va se faire tard, tu devrais rentrer chez toi.

- Et toi ? lui répondit Aoro.

- Moi je vais rester un petit peu pour aider Seb et les autres.

- OK à demain alors.

Thane regarda son ami sortir du bâtiment puis reporta son attention sur les feuilles encore sur la table. Ces croquis étaient presque parfaits d'un point de vue technique, mais Thane avait besoin d'autre chose que de beaux dessins pour faire son emblème. Il lui fallait quelque chose qui vienne ... de l'intérieur.

***