Chapitre 2 (1/5) : Un calme éphémère

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Nord du Royaume de la Croisée

3e mois de l’année 1125 du nouveau Calendrier de l’Empire de la Tétrade

Une branche craqua sous ma botte. Je laissai échapper un juron. Voilà déjà deux heures que je parcourais la forêt, un petit arc à la main et un carquois rempli de trop peu de flèches à la taille. J’avais bien rencontré quelques gibiers, mais tous avaient battu en retraite en me voyant arriver ou avaient évité les flèches que je tirais. J’avais espéré profiter de l’arrivée du printemps pour faire une bonne chasse mais apparemment cela ne suffit pas. La chance me sourit néanmoins. En arrivant près d’une petite mare, je repérai des empreintes, sûrement un cerf ou une biche. Celles-ci étaient encore fraiches et je n’eus aucun mal à les suivre entre les buissons et les arbres.

Après avoir parcouru la forêt plus longtemps que je ne l'aurais pensé, j'arrivais à l’orée d’une clairière où une jeune biche était en train de paître calmement. De ma main droite je sortis deux flèches de mon carquois et en encocha une. Je me cachais derrière un buisson en bordure de la clairière et bandais mon arc. J'inspirai à fond et lorsque ma flèche masqua sa cible, je lâchai et le trait mortel partit.

Je pris mon temps pour bien ajuster le tir, pourtant celui-ci ne fit qu’égratigner la biche qui décampa. Je me lançai à sa poursuite en encochant ma seconde flèche que je tirai quelques mètres plus loin. Mais je perdais du terrain et la flèche se planta dans un tronc d’un bruit sec. Je ne m’arrêtai pas pour autant, je continuais de courir en esquivant les chênes et les marronniers. Très vite je perdis ma cible de vue mais soudain, après être passé sous une branche basse, je trébuchai sur quelque chose. Je m’apprêtais à reprendre ma course lorsque mes yeux se posèrent sur ce qui m’avait fait tomber. C’était une biche. Mais plus précisément la biche que je poursuivais quelque instant plus tôt, à quelques détails près. Celle-ci était couchée sur le sol, une flèche plantée dans la gorge.

Je restais quelques instants en silence à la regarder les yeux écarquillés. Un bruyant soupir s'échappa alors de ma bouche. Après avoir retiré et nettoyé la flèche, je criai à l’intention du feuillage au-dessus de ma tête :

- Quand est-ce que tu te décideras à me laisser chasser seul ?

Personne ne répondit mais je restais là, les bras croisés, à attendre. Puis, comme je m’y attendais, les feuilles frémirent et une silhouette féminine, accompagné d’une cascade de long cheveux châtains clairs, atterrit souplement à mes côtés.

- Depuis combien de temps tu me suis, demandai-je d’une voix faussement énervée.

La jeune femme fit mine de réfléchir et dit :

- Alors je t’ai vu rater l’écureuil, et faire peur aux deux renards, et …

- Épargne-moi mes exploits, s’il te plait.

- Je t’ai trouvé quand tu pestais contre un sanglier, dit-elle en riant.

Je lâchai un second soupir, et elle en profita pour récupérer sa flèche de mon carquois. Le sanglier en question était le premier animal que j’avais croisé en cette matinée. C’était une dizaine de minutes après être entré dans la forêt, au détour d’un petit sentier où il m’avait percuté sans même ralentir.

- C’est en t’entendant crier que j’ai pu te trouver, continua-t-elle.

- Sale bête, pestai-je en me frottant les côtes encore douloureuses. Je l’ai pas entendu venir.

On se tourna alors vers la biche encore allongée sur le sol .

- Tu devrais l’amener à Serg, me dit-elle, il t’en donnera pour un bon prix

- Je suppose qu’il ne sert à rien de préciser que ce n’est pas moi qu’il l’ai abattue. Franchement Alyrianne, c’est si amusant que ça de me suivre ?

Elle s’agenouilla pour examiner l’animal inerte. Pendant quelque instants elle fit mine de m’ignorer, puis elle me dit :

- Oui, c’est drôle de te voir essayer de chasser …

- « Essayer » !?

- Oui, c’est ce que j’ai dit, me répondit-elle un petit sourire sur les lèvres. Mais il y a autre chose …

Avant de finir sa phrase elle prit son arc qu’elle avait mis en bandoulière autour de son torse. C’était un arc long composite, décoré de légères arabesques directement gravées sur le bois.

- Ça n’en a pas l’air comme ça mais te suivre sans se faire repérer, demande de l'entraînement. Et puis il faut bien que quelqu’un s’assure que tu fasses correctement ton petit boulot de chasseur.

- C’est bon, c’est bon, j’ai compris. Je porterai ton gibier.

Et c’est ce que je fis tandis qu’Alyrianne commençait à tranquillement avancer vers le village. Même si je donnais l’impression de m’énerver, j’appréciais la présence de la jeune femme, c’était une très bonne chasseuse qui m’avait déjà donné par le passé de très bons conseils à de nombreuses reprises. Je la connaissais depuis … et bien … depuis que j'étais “arrivé” à Zwifdrock, le village où nous habitions. Car même si j’avais l’air d’avoir dans les dix-huits ans, mes souvenirs n’avaient pas plus de …

- Trois ans, dit Alyrianne.

- Hein ? laissai-je échapper, sans savoir si elle avait lu dans mes pensées.

- Je me disais que ça va faire tout juste trois ans qu’on t’a trouvé dans la forêt, continua-t-elle.

- Oui, tu as raison.

Le terme « arriver » n’était peut être pas le bon. Car la première chose dont je me souvienne c’est de m’être réveillé en plein milieu de cette forêt …


Où suis-je ? Je me sens … si faible. m’étais-je dit.

Dans ma tête ç’avait été le trou noir, aucun souvenir, aucun repère, aucune identité ne m’étaient venus. Seulement que j’étais allongé sur un sol couvert de feuilles. Mes membres m’avaient semblé lourds et je n’étais pas parvenu à les bouger. Au-dessus de moi, j’avais vu la cime des arbres et au-dessus un vaste ciel étoilé. Pas un nuage cette nuit-là. Très vite j’avais perdu la notion du temps, absorbé par la contemplation des étoiles.


- Je me rappellerai toujours de la tête de Serg lorsqu’il m’a trouvé ce matin-là, dis-je d’un ton songeur.

Serg, le marchand du village, achetait et vendait de tout à qui a besoin. Il m’avait raconté que le matin où il m’avait trouvé, il était sur le chemin en direction de Freykyord, la plus grosse ville de la région, pour y faire affaire. C’est en traversant la forêt qu’il eut la sensation de percevoir une présence. Contrairement à ce qu’il avait l’habitude avec les attaques de bandits, d’animaux ou de créatures sauvages, celle ci ne semblait pas hostile. Ayant de l’avance, il s’était permis d’en avoir le coeur net et d’aller vérifier. Ce fut ainsi qu’il me trouva au milieu d’une clairière, allongé sur un tapis de feuilles mortes. La seul chose dont je me souviens, est d’un Serg totalement interloqué, penché au dessus de moi, les lèvres me demandant sûrement ce que je faisais là. Puis, plus rien, après ça je ne me souviens plus de rien jusqu’à mon réveil plusieurs jours plus tard.

- Il faut dire aussi que tu avais une sale tête ce jour là, me rappela Alyrianne. Gorfe s’était certes proposé pour t’héberger, mais il ne devait sûrement pas s’attendre à ce que tu reste endormi pendant 5 jours.

J’eus un petit rire nerveux.

- Je me sentais complètement vidé de mon énergie quand je me suis réveillé, j’arrivais à peine à bouger le petit doigt. Et il m’avait fallu quoi .. une semaine pour me remettre sur pieds, non ?

- Franchement Jall, qu’est ce qui a bien pu te mettre dans un tel état ?

- Si je le savais moi même, ça fait longtemps que je te l’aurais dit. Et justement, le fait de ne me souvenir de rien ne m’a pas aidé à me forger une bonne réputation ici.

Elle balaya ma remarque d’un geste de la main, comme pour dire que cela n’avait pas d’importance.

Et pourtant, les habitudes de notre petit village du nord du Royaume de la Croisée avaient la vie dure. Rares étaient les étrangers à passer par cette contrée, ils étaient encore plus rares à y rester. Car ici, tout le monde se connaissait, certains ont des connaissances dans les villages environnants mais c’est tout. Serg est un des très rare à connaître le “monde extérieur” et à ramener des nouvelles du reste du Royaume. Cela aurait dû suffire pour me faire accepter avec le temps, mais c’était sans compter sur le jour où le village appris au détour d’une conversation anodine que j’étais amnésique et les circonstances dans lesquelles on m’avait retrouvé. Spéculations et superstitions à mon encontre se multiplièrent comme quoi j’aurais été maudit ou que j’aurais apporté le malheur dans le village. Au début, seuls Serg et Gorfe restèrent en dehors de ça. L’un parce que son intuition et son expérience du reste du monde lui disait de ne pas croire à ces suppositions, et l’autre car il m'hébergeait. De plus ce dernier, en tant que seul forgeron du village, était bien content d’avoir une paire de bras supplémentaire. Quant à Alyrianne, c’est sa curiosité qui l’amena à me suivre de loin la première fois que j’avais voulu tester un des arcs de Gorfe. Avec le temps, cette superstition s’était tassée, mais elle restait encore bien présente dans l’esprit des villageois.

En sortant de la forêt, il ne nous restait qu’une dizaine de minutes à travers les champs avant d’arriver. Plus nous nous rapprochions des habitations, plus nous croisions d’habitants que nous saluions, même si j’imagine que leurs salutations, en retour, allaient plus facilement vers Alyrianne qu’à moi. Étant la fille de Hemberg, le mage du village, les gens avaient plutôt de l’estime pour elle. D’autant plus qu’elle était une personne très joviale.

Après avoir dépassé plusieurs maisons faites en bois et en torchis, nous arrivâmes par une rue adjacente à la forge (un des rare bâtiments à être construit principalement en pierre) qui donnait sur la place principale, située au coeur du village. Comme je m’y attendais, une voix ne tarda pas à nous interpeller :

- Alors Jall, bonne chasse à ce que je vois ?

Gorfe, un homme bien bâti protégé d’un tablier en cuir, était debout derrière son enclume et déjà à l’ouvrage en cette heure avancée de la matinée. Un marteau dans une main, il me salua de l’autre d’un grand sourire. Soudain, je le vis pencher la tête, remarquant seulement maintenant Alyrianne qui était juste derrière moi. Il se mit à rire et corrigea sa phrase :

- Oh ! Alyrianne, bonne chasse à ce que je vois !

Je remarquai tout de suite le changement de ton mais ne fit aucune remarque, juste un coup d’oeil vers la jeune femme qui se retenait de rire.

Je m’avançais un peu vers la place. D’ici, on pouvait voir la maison du chef du village, Paragreau, qui servait de salle commune pour les grands événements ou pour les jours où le conseil du village devait se réunir. Sur la gauche, différents étals, protégés par un toit en chaume, utilisés deux fois par semaines pour le marché. Au centre de la place se trouvait un modeste autel dédié au quatres Dieux Majeurs. Il était composé d’un pilier en pierre d’environ un mètre de hauteur. Sur la surface de celui-ci était disposé plusieurs éléments : un petit braséro où crépitait un feu, une edelweiss dont la tige sortait directement de la pierre au centre d’un cercle terre, un petit moulin à vent qui tournait constamment même par temps calme et enfin une vasque rempli d’eau avec en son centre un petit geyser qui en émergeait. Ces quatres objets faisaient respectivement référence à Krayptal le dieu du feu, Grarunn le dieu de la terre, Ellgarlenna la déesse du vent et Swyl la déesse de l’eau. La construction était surmontée d’un toit, lui aussi en pierre, soutenu à deux mètres du sol par quatre piliers, plus pour décorer l'autel que pour le protéger.

Mais en cet instant mon regard fut plutôt attiré par le petit attroupement devant la maison du chef. J’y distinguais facilement ce dernier, sa fille Fiolla, ainsi qu'un des anciens du village. Ils semblaient être en pleine discussion avec Serg qui devait tout juste être revenu de Freykyord et devait apporter des nouvelles du reste du Royaume. Ce qui m'intriguais le plus c’est qu’ils semblaient tous très préoccupés. D’un regard je demandais à Gorfe si il savait quelque chose, mais il haussa juste les épaules pour me faire comprendre qu’il n’en savait rien.

Redirigeant mon attention vers les quatre personnes, je vis du coin de l'oeil Hemberg arriver sur la place lançant des regards de droite à gauche. Surement pour trouver Serg qui devait lui apporter quelque chose me suis-je dis. En les apercevant, il se dirigea vers le petit groupe et fut rapidement intégré à la discussion. Très vite, lui aussi semblait préoccupé et en pleine réflexion.

- Je vais aller voir ce qui passe, me dit Alyrianne en me tapotant l’épaule.

J'acquiesçai et la suivis du regard alors qu’elle s'éloignait. En la voyant arriver, Fiolla lui sourit et Hemberg lui fit signe de se joindre à la discussion. Je restai un moment à les regarder puis me dirigeai vers la forge.

- Bon ! Ils vont surement en avoir pour un moment, dis-je en déposant la biche dans un coin. Gorfe, tu aurais pas quelque chose à me faire faire? Ils vont me stresser si je fais rien.


***

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