Chapitre 2 (2/5)

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***


- Tu vois cette fleur ? Trouves m’en autant que tu peux près des chênes.

D’une main, Hemberg me montra une plante en forme de clochette de pétales verts aux extrémités rougeâtres et de l’autre il m'indiqua le bosquet de chêne devant lequel nous nous trouvions et qui se situait à une dizaine de minutes de marche à l’est du village.

Après la matinée de chasse de la veille, la journée s’est passée tranquillement : Serg, qui était revenu de Freykyord, avait eu toute l’après-midi pour faire affaire avec les habitants du village et Gorfe était retourné à ses ouvrages. Quant à Alyrianne, je n'ai pas eu l'occasion de la recroiser. De mon côté j'ai passé le reste de la journée à la forge à donner un coup de main. Je n'avais eu néanmoins aucun échos de ce qui s'était dit devant la maison du chef Paragreau, mais quelque chose me disait que je pourrais prochainement éclaircir la question.

- Et toi ? Demandai-je à Hemberg. Tu as quelque chose à cueillir ?

- Ne t’inquiète pas pour moi, j’en ai plusieurs de bien spécifique sur ma liste.

Il longea les arbres par la gauche tandis que je commençai à faire le tour du premier chêne devant moi à la recherche de la fameuse fleur.

Ce matin là, lorsque Hemberg était passé devant la forge en direction de ce bosquet, je m’étais proposé pour l’accompagner, Gorfe n’ayant pas beaucoup de travail pour moi.

Au bout de quelques minutes, je trouvai une première pousse de la plante que je cherchais près d’un jeune chêne. Elle était composée d’une tige rigide bien verte, au pied de laquelle était amoncelé plein de fine feuilles d’un vert sombre et sur laquelle était accroché les fleurs qu’il me fallait. Je la cueilli et la mis dans la besace que m’avait prêté Hemberg. En relevant la tête, j’aperçus quelques pousses similaires non loin. En trouver un bonne quantitée n’allait pas être compliqué, mais il me faudrait chercher plus assidûment par moment.

Pendant pas moins d’une heure, je tournais autour des arbres pour au final remplir à ras bord la besace. En me relevant je jetai un coup d’oeil circulaire pour trouver Hemberg, qui était justement en train de revenir vers moi. D’un signe de tête, il m’intima de lui montrer le contenu de mon sac. Après un rapide coup d’oeil il hocha la tête.

- Ça devrait suffire. J’ai tout ce qu’il me faut, on peut rentrer au village.

Quelques instants après avoir tourné les talons, je lui demandai :

- On a fait une bonne récolte, mais n'aurais tu pas gagné du temps avec Alyrianne ? Elle connaît les plantes bien mieux que moi.

- Pas aujourd’hui, elle est avec Fiolla. Elles … elles inspectent les environs du village.

Le silence s’installa quelques instants. J’avais senti son hésitation, mais je ne savais pas vraiment comment l’interpréter.

- Est-ce que cela a un lien avec les nouvelles qu’a rapporté Serg ? Tu sembles réticent à en parler.

Je le vis se pincer les lèvres. Personne ne m’avait parlé de ce qu’il s’y était dit, mais savoir qu’Alyrianne et Fiolla examinaient les alentours après que notre ami le marchand soit revenu ne pouvait pas être une coïncidence.

- Paragreau nous a dit d’en parler le moins possible pour l’instant pour ne pas affoler le village. Mais t’en parler ne devrait pas poser de problème, je te fais confiance.

- Ce n’est pas le cas de tout le monde.

Il ne releva pas. Il était quelqu’un d’assez pragmatique, qui ne prêtait que peu d’attention aux rumeurs qui circulaient. Ce n’est que lorsqu’elles prenaient trop d’importance qu’il se décidait à vérifier le sujet. Je supposai même qu’il était une des raisons pour laquelle Alyrianne m’avait suivi pour la première fois dans la forêt.

Au lieu d’insister, je lui posai la question qui me brûlait lèvres :

- Et donc ? Quelles sont les nouvelles ?

Hemberg s'arrêta net, les yeux dans le vague et une main sur la hanse de sa besace. Il serrait si fort qu'il en eu les jointures qui blanchirent.

- Les Cavaliers de Karnakral.

- Pardon ?!

- Les Cavaliers de Karnakral. D’après les informations de Serg, il y a de plus en plus d'adeptes du Dieu Noir qui ont été signalés dans tout le Royaume.

Mes jambes faillirent me lâcher. De ce que j’avais entendu, ces Cavaliers s’approchaient des villages dans le seul but de massacrer et de détruire autant qu’ils le pouvaient avant de rapidement disparaître. Ils tiraient leurs noms d’un des quatre Dieux Noirs. Celui qui, autrefois, lors de la Guerre des Cinq Races, fut le premier à se manifester et à être en première ligne. Karnakral, le Dieu de la violence et de la guerre.

- Alors c’est vrai ? Que … que ils vont revenir ?

- Il est encore trop tôt pour le dire avec certitude. Beaucoup de sages et d’érudits ne voient pas leur retour avant au moins cents an. Et puis pour l'instant les attaques préoccupent beaucoup les populations, mais ne font vraiment pas autant de dégâts que ce qu'on pourrait craindre. Mais ici on préfère néanmoins se préparer au pire.

J'étais encore sous le choc. De ce que je savais, voilà bien plus de 1100 ans que les Dieux Noirs ne s'étaient pas manifestés à ce point. Ils avaient certes toujours des groupes d’adeptes qui leurs étaient dévoué, mais ceul ceux de Karnakral étaient les plus nombreux (ou les plus visible) Perdu dans mes pensées, je mis quelques instants à comprendre sa dernière phrase.

- Attends, tu as dis quoi ? Ne me dis pas que …

Hemberg expira profondément et me regarda droit dans les yeux.

- Plusieurs groupes de Cavaliers ont été vu près de Freykyord, mais l'un d'entre eux semble remonter par le sud. Il n'est pas impossible qu'il passe par Zwifdrock.

Je fis un gros effort pour me maintenir debout. Beaucoup de personnes avaient une mauvaise impression de moi, mais je restais très attaché au village. Entendre qu’il pourrait être en danger commençais à me mettre hors de moi. Je sentis l’urgence de la situation, il fallait faire quelque chose. Après un juron je lui demandai :

- Qu’est-ce que vous avez prévu de faire avec le chef ?

- Hier nous avons fait le point sur l’état de notre matériel, que ce soit en arme, en armures ou en ressources magiques. C’est pour ça que Gorfe va avoir du travail pour les jours à venir, je pense qu'il t'expliquera. Nous, nous sommes là pour récolter des plantes qui me serviront à installer des défenses magiques autour du village. Quant à Alyrianne et Fiolla, elles ont pour mission de placer des pièges runiques dans les champs et les forêts alentour pour au moins nous prévenir des mouvements suspects et au mieux les ralentir. Enfin, en cas d’éventuel attaque, les réserves de nourritures ne devraient pas être un sujet de préoccupation, vu que les attaques des Cavaliers ne durent pas plus d’une ou deux heures de ce qu'on m'a dit. Il faudra seulement les garder en sécurité. Et ce soir on informera le reste du village de la situation, ainsi on aura moins d’incertitude à leur donner vu que la majorité des défenses sera déjà mise en place.

Le plan ne semblait pas mauvais, à ceci près que le village était principalement un village de fermier, il n’est même pas sûr qu’il y avait déjà eu des attaques sur ces terres. Il y avait bien quelques gardes aux cas où des bandits attaqueraient ou pour aller déloger des criminels cachés dans les forêts alentour, mais les Cavaliers de Kaarnakral étaient tout sauf de simple bandits. C’est pourquoi, Hemberg semblait plus confiant en son système de défense qu’il allait installer et en les pièges d’Alyrianne et de Fiolla. En effet, les deux femmes savaient ce qu’elles faisaient : j’ai toujours perçus la fille du chef comme une chasseuse hors pair, dont les compétences à l’arc n’avait d’égale que sa connaissance des pièges runiques qui utilisaient la technique du Dieu Grarunn. Alyrianne avait tout appris d’elle sur ces deux sujets. Elle la considérait d’ailleurs comme sa grande soeur, tant le lien qui les unissait était fort.

- Retournons au village, me dit Hemberg. Ça ne sert à rien de se lamenter ici. Nous avons encore du temps pour nous préparer, Serg estime que nous avons un ou deux jours.

J’acquiesçai gravement et le suivis. Sur le retour, nous n’avions pas échangé pas un seul mot. Dans ma tête, l’heure était maintenant à l’action et non plus à la parole. Après un moment à marcher qui me parut assez court, nous arrivâmes devant la forge. Je lui rendis la besace et me dirigea directement à l’intérieur. Au moment où Gorfe me vit, il me montra un tas d’armes qu’il fallait aiguiser et entretenir, posé sur un établis. Je me mis de suite à l’ouvrage en allant dans un coin isolé de l’atelier où était installé toutes les meules à affûter ainsi qu’un grand assortiment de limes. Le forgeron m’avait paru fort concentré : pas de sourire ni de plaisanterie à mon arrivée. Le travail qu’on avait dû lui donner devait être suffisamment important pour lui occuper tous l’esprit. Si on lui en avait expliqué la raison, je comprenais parfaitement sa préocupation, car moi aussi j’étais déterminé à faire mon maximum pour aider village.

Après deux heures à limer dagues et épées, Gorfe débarqua avec de quoi manger. C’était l’heure de la pause. Nous nous installâmes près du foyer de la forge. Après quelques minutes, il me demanda :

- Tu as appris la nouvelle ?

- Hemberg m’en a parlé, oui.

Il expira et j’eus l’impression que ses larges épaules se décontractèrent un peu.

- Parfait, je n’aurai pas besoin de te raconter ça. Parlons peu : comme tu l’as vu, nous avons les armes du village qui sont le plus en mauvaise état à entretenir, Paragreau à demandé à tous le monde de les apporter ce matin. Je pense que tu en auras pour toute la journée. De mon côté, je dois réparer les armures de Samawel et Thorguy, les deux gardes en faction ici. Après ça, j’aurai quelques armes à fabriquer. Si on a du temps, peut-être en faire d’autres, mais rien n’est sûr. Des questions ?

Je réfléchis un instant.

- Chacun devra donc défendre sa vie, c’est ça ?

Il expira encore une fois, plus fort qu’avant.

- Il faut se préparer à toutes éventualités. Termine de manger, on se remet au travail tout de suite après.

Nous nous empressâmes de finir nos repas puis nous nous remîmes à l'oeuvre, Gorfe retournant derrière son enclume et moi aux limes.

Il y a trois ans, après m’être réveillé de ma convalescence au bout de quelques jours, je me souvins que mon hôte m’avait proposé un marché : je pouvais rester chez lui autant de temps que je voulais tant que je l’aidais à la forge. N’ayant à ce moment là nulle part où aller, j’avais accepté. C’est ainsi qu’il avait commencé à me former en tant qu'apprenti forgeron, en me montrant comment utiliser les différents outils et limes ou encore comment l’assister dans certains ouvrages.

C’est pour cela que la charge de travail qui m’attendait ne me faisant pas si peur que ça. J’avais suffisamment gagné en aisance ces dernières années pour faire correctement le travail que Gorfe m’avait confié.

Plusieurs heures passèrent sans que je m’en rendisse compte, le tas d’arme à aiguiser réduisant petit à petit. Vers le milieu de l’après-midi, j’entendis la voix de Serg :

- Salut Gorfe, comment ça se passe ? Jall est là ?

Il lui répondit alors que je m’avançais vers l’entrée pour voir de quoi il était question. Lorsque le marchand me vit, il me salua et me tendit une bourse contenant quelques pièces, alors que le forgeron retournais à son travail.

- C’est ta part pour la vente de la biche. Je suis venu la chercher ce matin, a priori tu n’étais pas là. Je l’ai vendu il y a à peine une heure pour sa viande au boucher du village. Dommage que tu n’ai pas trouvé un mâle, j’aurais pu aller vendre les bois à Freykyord.

Arrangeant avec les habitants de Zwifdrock, il faisait en sorte de faire moins de profits avec nous, mais d’augmenter ses marges sur les échanges qu’il faisait dans les autres villes et villages, ainsi, chaque marchandise qui ne servait pas ici était source de profit pour lui. En échanges, nous même n’étions pas trop exigeant sur ce que nous lui vendions.

- Désolé. La prochaine fois, je dirais à ma bonne étoile de me faire tomber sur un cerf, dis-je avec un sourire en coin.

Il sourit en réponse, mais ne dit rien. Il savait qu’Alyrianne me … donnait un coup de main certaine fois, cependant, il savait aussi que j’avais déjà proposé à la jeune femme de partager la somme, mais elle avait toujours soit refusé soit pris qu’une toute petite partie. À croire qu’elle faisait vraiment ça pour s'entraîner à chasser.

Même si cela m'embêtait de prendre quasiment tous ces revenus, cela me permettait depuis environ deux ans de me constituer un petit pécule. Une portion de ces revenus partait dans des dépenses quotidiennes comme de la nourriture, des fournitures pour la forge ou d’autres objets du quotidien, mais je gardais environ la moitié de côté. Et ce n’était que très récemment que je m’étais enfin décidé de quoi faire de cette somme. J’aimais beaucoup la vie paisible du village, en trois ans j’avais noué des liens solides avec quelques habitants. Mais je commençais à me sentir mal à l’aise ici. Déjà à cause des superstitieux qui persistaient à me regarder de travers, mais pas seulement. Quelque chose au fond de moi me donnait envie de voir ce qu’il y avait au-delà des forêts et des collines de la région. Serg nous narrait parfois ses voyages qu’il avait l’occasion de faire au quatres coin du monde connu, appelé aussi Empire de la Tétrade, en références aux Dieux Majeurs. Il nous parlait des grandes cités humaines cernés de murailles de pierre, des énormes massifs montagneux au sud qui transperçaient les nuages et qui étaient peuplés par les darfs, du large delta près de l’océan à l’ouest habité par les ondals, des forêts aux arbres gigantesques au nord peuplés par les elvenns, ou encore du haut plateau à l’est occupé autrefois par les nagraads. Tant de lieux, de peuples et de races différentes que l’on ne pouvait que difficilement imaginer en restant ici.

Mais l’heure n’était pas à la rêvasserie. Je secouais brièvement ma tête pour me forcer à penser à autre chose.

- Pour une fois, on se serait bien passé des nouvelles de l’extérieur, dis-je d’un air maussade.

En un instant, sa mine devint grave. En passant sa main dans ses cheveux grisonnant il me dit :

- Je pense que tout le Royaume de la Croisée se serait passé de cette nouvelle. Savoir que Karnakral refait surface n’annonce absolument rien de bon. À Freykyord, j’ai même vu des mobilisations de soldats assez importantes qui partaient en renfort dans certaines régions. Mais pas ici malheureusement, c’est pour ça que j’ai envoyé un message la semaine dernière pour dire que je rentrais plus tôt que prévu, dans le but de vous prévenir et d’apporter un peu de matériel.

Je pris moi aussi une mine grave. Puis je me souvins de ce que m'avait dit Hemberg.

- Ça semble assez inquiétant ... comment est-ce possible ? Je pensais que les Dieux Noirs ne devaient pas réapparaître avant au moins cent ans !

- Oui, c'est aussi ce que j'avais entendu, mais pour l’instant seuls leurs adeptes de Karnakral semblent se manifester et non Karnakral lui-même. Mais je pense que c’est un peu comme la fois où j’ai croisé la Légion de Fer Gris, la garde rapprochée du Roi, à Freykyord. Je savais qu’ils étaient en ville, mais je ne l’ai pas vu, je crains que ce soit un peu pareil avec les Cavaliers. Et puis …

Il s'interrompit et semblait chercher ses mots, me suis-je d'abord dit, mais en le voyant hésiter de plus en plus, j’en déduisis qu’il y avait autre chose. Il jeta même un rapide regard vers l’autel des quatres Dieux. Finalement, il se pencha vers moi et dit à voix basse :

- Et puis j'ai entendu des rumeurs … des rumeurs comme quoi la Trahison de Krayptal aurait …

[...]

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