Chapitre 2 (3/5)

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[...]

- Ah, Serg ! Te voilà !

Une voix grave retentit depuis la place. L'intéressé sursauta et s’écarta de moi. En regardant derrière nous, nous vîmes Paragreau approcher. Le quinquagénaire bedonnant ne semblait pas prêter attention à notre conversation, il poursuivit :

- Je vais avoir besoin de toi. Il faut réunir les hommes, je vais prendre la parole pour leur annoncer.

Le marchand acquiesça avant de me saluer et de partir avec le chef du village vers les habitations. Je me remis au travail, mais avec l’esprit préoccupé. De quel trahison parlait Serg ? Hemberg m’avait parfois parlé des forces qui régissaient notre monde, principalement les quatre Dieux Majeurs, que les villageois vénéraient avec l’autel au centre de la place. Il m’avait raconté qu’ils étaient à l’origine de notre monde. Leurs opposés, les quatre Dieux Noirs, n’étaient perçus que comme destruction et fléau pour les cinq races qui peuplaient l’Empire de la Tétrade. En plus de ceux là, je savais qu’il existait aussi des Dieux mineurs mais je n’en savais que trop peu à leurs sujets. Hormis ça, on m’avait principalement raconté que la Guerre des Cinq Races, qui s’était déroulé il y a plus de 1100 ans et qui était sans doute le pire épisode de notre histoire. Hemberg m’avait aussi exposé un rapide résumé de la géo-politique actuel de l’Empire. Mais rien concernant une quelconque trahison ne me vint à l’esprit.

Je demanderais à Hemberg plus tard à propos de cette trahison.” me dit-je en reprenant l'affûtage d’une épée. Après avoir finis cette dernière, je jetai un coup d’oeil vers l’établi. Je vis qu’il ne me restait plus que des haches et que toutes les épées, dagues et autres types de lames étaient déjà aiguisées. J’avais préféré commencer par celles-ci, car étrangement j’avais plus de facilités avec elles, surement car je les trouvais plus simple à entretenir. Comme l’heure était à l’urgence, autant aller au plus vite. J’attrapai une hachette et me remis à l’oeuvre.

Moins d’une heure plus tard, j’entendis que des villageois s’attroupaient sur la place. Je me hâtai de finir pour voir ce qu'il se passait. Sur les 200 habitants que comptait Zwifdrock, une soixantaine de personnes devait attendre devant la maison du chef. En retrait, Hemberg, Fiolla et Alyrianne observait la scène en discutant. Lorsque cette dernière me remarqua, elle me sourit en me saluant de loin. Je lui rendit sa salutation. Finalement, Paragreau ne tarda pas à se manifester. En m’appuyant sur une des poutres porteuse de l’avant de la forge, je le vis monter sur un estrade. Aussitôt, le silence se fit.

- Mes chers amis, commença-t-il de façon suffisamment forte pour que même moi puisse l'entendre. J'ai une annonce à vous faire ! Malheureusement, ce ne sera pas quelque chose de réjouissant. Comme vous vous en doutez surement, beaucoup de choses se passe dans le reste de l’Empire de la Tétrade. Puissent les Quatres nous guider dans nos vies ! Mais à l'heure où je vous parle, des forces que j'aurais préféré ne pas connaître de mon vivant, semble revenir. Les Cavaliers de Karnakral parcourent depuis longtemps le Royaume sans causer de réels problèmes, mais aujourd’hui, il semblerait que leurs agissements deviennent de plus en plus préoccupant.

L’inquiétude monta dans la foule. Le simple fait d’avoir évoqué les Dieux Noirs suffisait à plomber une conversation, et cela était facile à expliquer vu la terreur qu’ils avaient laissé dans l’esprit des gens après la Guerre des Cinq Races durant laquelle les huit Dieux s’étaient affrontés. Certes, elle remontait à plus de 1100 ans, mais elle avait suffisamment marqué pour être inlassablement racontée par les parents à leurs enfants.

- Serg nous a rapporté que plusieurs groupes ont été repérés dans les environs de Freykyord. Certains seraient même en train de remonter vers le nord.

Paragreau marqua une pause et un silence total tomba sur la place, chacun retenant son souffle craignant ce que Paragreau allait dire. Finalement, il reprit :

- Et nous craignons qu’ils attaquent le village dans les jours à venir !

A peine eut il le temps de finir sa phrase, que la panique s’empara d’une partie de la foule. Sachant déjà la nouvelle, j’avais néanmoins ressentit un frisson en la ré-entendant, alors je comprenais parfaitement leurs peur. D’autant plus qu’ils avaient presque tous toujours vécu ici contrairement à moi qui suis arrivé ici il y a quelques années. Je ne pus qu’observer plusieurs personnes interpeller le Chef en criant pour lui demander plus d’informations, d’autres ne semblaient pas avoir saisi ce qu’ils venaient d’entendre et restaient bouche bée, d’autres encore se querellèrent lorsque quelqu’un remit en question la protection des Dieux. Dans cette confusion ambiante, un regard attira mon attention, un regard qui me toisait et qui venait d’un fermier au milieu du groupe. Mal à l’aise, je fis un gros effort pour ne pas en prendre compte, car j’en connaissais la raison et elle ne me plaisait pas. Les rumeurs persistaient mais j’espérais malgré tout qu’elles ne me porteraient pas préjudice.

Pendant ce temps, Paragreau tenta de rétablir le calme tant bien que mal. Une fois qu’il y parvint, il continua :

- Je comprends votre détresse et je tiens à vous rassurer ! J’ai déjà donné des directives ! Une première série d’alarmes magiques a déjà été placée autour du village par Alyrianne et ma fille pour nous avertir en cas d’attaque. Une seconde sera installée cette nuit par Hemberg.

Beaucoup semblèrent un peu rassuré à l’évocation de ces trois personnes de confiance, principalement pour le mage dont les compétences n’étaient plus à prouver. Gorfe m’avait plusieurs fois raconté qu’Hemberg avait rendu au villageois d’innombrable services. D’abord, grâce à ses nombreuses connaissances en herbologie et en alchimie et donc à la préparation de remèdes et de potions, mais aussi grâce à sa compréhension de la magie et de l’Être, ce qui lui permettait d’aider certaines personnes à développer certains pouvoirs ou certaines facultés. Comme par exemple Serg qui avait développé sa Conscience pour mieux percevoir les dangers lors de ses voyages ou Gorfe qui connaissait quelques Incantations de la Déesse Ellgarlenna pour l’aider dans son travail.

- Serg nous a aussi apporté du matériel qui nous sera utile, repris le chef. Nous verrons cela après, d’ailleurs j’aurais besoin d’une vingtaine de volontaires pour élever des barricades autour du village. Autre chose, à partir de ce soir, Samawel et Thorguy feront des tours de garde pour nous prévenir en cas d’attaque et ce, toutes les nuits. Je demanderais donc à chacun d’être paré à toute éventualité et donc de toujours garder vos armes près de vous. En parlant d’armes, Gorfe et Jall ont entretenu une grande partie de celles que vous leurs avez apporté ce matin, je vous invite à aller les récupérer dans un instant … je pense que j’ai tout dit. Est-ce que vous avez des questions ?

Je vis plusieurs mains se lever, mais au même moment, le forgeron à côté de moi me fit signe d’aller chercher les armes pour les rendre à leurs propriétaires. En revenant avec une dizaine d'épées sur les bras, je vis qu’une file de personnes s’était déjà formée devant la forge alors que le chef continuait de parler à la foule. Gorfe réceptionna ce que je transportais et commença à redistribuer alors que je repartis pour le fond du bâtiment. Après avoir tout rapporté au bout de quelques aller-retours, j’aidais Gorfe à restituer les armes. La place du village avait retrouvé en partie son calme, il ne restait plus que Paragreau, Hemberg et quelques villageois qui discutaient. Derrière les maisons, je vis plusieurs personnes s’activer pour construire les barricades que le chef voulait. Alors que j’observais l’agitation ambiante, un homme s’approcha. C’était un des fermiers qui travaillait à l’est du village. Il semblait très préoccupé par le discours du chef, mais encore suffisamment vif pour me réclamer la hache qu’il nous avait laissé. Après m’avoir dit laquelle c’était, je la lui apportai. Il examina rapidement la lame avant de lâcher :

- J’espère que le travail a été bien fait.

J’encaissai le coup. En temps normal, j’aurais plutôt pris ça comme une question et aurais répondu de façon positive et aurais peut être même plaisanté brièvement, mais à ce moment-là, l’ambiance s’était suffisamment alourdie pour ne pas y trouver l’envie. Encore plus avec le regard mauvais qu’il m’avait lancé, que ce soit en lui rendant son arme … ou plus tôt lorsqu’il était au milieu de la foule. Un regard que je commençais à connaître que trop bien et qui exprimait quelque chose en particulier, quelque chose dont j’étais, à cet instant, sûr d’avoir identifié : de la méfiance. Presque tout le village se méfiait de moi, et ce, depuis le premier jour. Une méfiance qui était due à de stupides superstition grandissantes dont je n’avais aucun lien et que je n’avais pas mérité !

Le fermier repartit sans plus me regarder et ignorant le trouble qu’il avait laissé dans mon esprit. Je le regardais s’éloigner pendant quelques instants n’arrivant pas à décrocher mon regard, les yeux dans le vague. Soudain, une autre personne s’approcha, cachant partiellement ma vue et me sortant de ma confusion. Je repris donc la distribution des armes tant bien que mal, sans qu’il n’y ai d’autres accrocs. Cependant, le contretemps avec le premier fermier restait dans un coin de ma tête et me faisait douter de chaques regards, de chaques réactions et de chaques mots des personnes qui suivirent.

Une vingtaine de minutes plus tard, alors que le soleil se couchait, nous avions fini de rendre tout ce que nous avions entretenu. La fatigue se fit sentir, autant physique que moral, néanmoins Gorfe commençait déjà à ranger la forge. Je l’aurais bien aidé mais je n’avais absolument pas l’esprit à ça.

- Ça te dérange si je te laisse finir seul ?

Il réfléchit à ma requête un instant.

- Non, pas de soucis, en revanche demain c’est toi qui t’y colles, répondit-il d’un air moqueur.

En retour, je ne fis que hausser les épaules et me dirigeai vers la pièce qui me tenait lieu de chambre et qui était à l’étage. En y rentrant, je lançai un coup d’œil circulaire sur la pièce. Elle n’était pas très grande mais suffisait amplement vu le peu de temps que j’y passais. Elle contenait quelques meubles : le lit dans lequel j’avais passé ma convalescence il y a trois ans, deux chaises dont Paragreau voulait se débarrasser l’année précédente et une commode dans laquelle j’avais entreposé les vêtements que j’avais accumulé et quelques objets que j’avais récupéré çà et là. Après avoir refermé la porte, je laissais glisser par réflexe ma main sur un objet que j’avais appuyé verticalement sur le mur. C’était une épée droite à une main faites en acier. Elle n’avait rien de particulier, ni fantaisies sur la garde, ni décorations sur le fourreau, cependant elle restait très importante pour moi. Et pour cause, c’était la seule chose avec laquelle Serg m’avait trouvait trois ans auparavant. Mais étrangement je ne l’avais jamais utilisé hormis les rare fois où je la sortais pour entretenir la lame sous les conseils de Gorfe.

N’ayant pas envie de faire durer la journée plus que ça, je me déshabillai rapidement et m’allongeai sur le lit, espérant trouver le sommeil rapidement.


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