Chapitre 2 (4/5)

10 minutes de lecture

***

Allongé sur le dos, mes yeux étaient fixés sur le plafond de la chambre. Il était cependant difficile de le discerner correctement, la pièce étant plongé dans un noir quasi total. Le coq, annonçant le début de la journée pour la majorité du village, n’allait pas chanter avant au moins une ou deux heures. Le calcul était très approximatif mais entre le chant distinctif des rougequeues noir que j’entendais et le fait que je n’avais pas fermé l’œil de la nuit, je ne devais pas me tromper de beaucoup. Soupirant d’exaspération devant mon insomnie, je décidai d’aller prendre l’air. Je me levai donc, m'habillai rapidement et enfilai ma veste en cuir de couleur sombre que j’utilisais quand je partais chasser. J’allais sortir de la pièce lorsque mes yeux se posèrent sur mon épée. Je restais une dizaine de secondes à la regarder. Quelque chose me disait de la prendre, mais j’étais réticent à le faire car seul Serg et Gorfe savaient que je possédais cette arme et je n’avais pas spécialement envie que d’autre personnes soient au courant.

Je vais simplement faire un petit tour, tout le monde dors encore à cette heure” me suis-je dit.

Je haussais les épaules et d’une mouvement souple j’attrapai le fourreau et l’attachai en bandoulière dans mon dos. Après m’être assuré qu’il était suffisamment stable, je sortis dehors.

L’air était frais à cette heure de la nuit, la lune projetait sa lumière sur le village et rien ne venait perturber le calme qui s’était installé sur la place. Seul l’autel des Dieux au centre ne semblait pas prendre de repos. Je respirai profondément profitant du vent passant sur mon visage. Dans la rue adjacente à la maison du chef, je vis des lumières osciller. Me rappelant que Samawel et Thorguy devait toujours être debout à patrouiller, je m'éclipsais discrètement par le passage le long de la forge. Néanmoins, je restais prudent, de ce que j’avais entendu, d’autres villageois s’étaient portés volontaire pour eux aussi patrouiller la nuit. Esquivant les veilleurs et leurs lanternes, je me retrouvai rapidement à la bordure du village, fraîchement délimité par de simples pieux en bois. Après une longue expiration, j’allais commencer à reprendre ma marche et enjamber la barrière installée quelques heures plus tôt lorsqu’une voix derrière moi déclara :

- J’espère que personne ne t’a vu. Ça serait dommage que cela vienne à l’idée de certains de te soupçonner de venir saboter mes pièges après avoir saboter toutes les armes du village.

D’un geste vif, je me retournai, près à toute éventualité. Lorsque je vis Hemberg accroupis devant une maison, les yeux rivés sur le sol, je me détendis. Je fus cependant surpris d’avoir eu le réflexe de tout de suite tenter de dégainer mon épée. Dès que je m’en rendis compte, je lâchai la poignée et m’avançais vers le mage.

- C’est donc ça tes fameux pièges magiques ?

Il acquiesça simplement. Devant lui, il avait déjà tracé un cercle d’un demi mètre de diamètre dans la terre. Dans ce cercle, il continuait de tracer des symboles complexes à l’aide d’un simple bout de bois. Très concentré sur sa tâche, il n’avait toujours pas levé le regard vers moi et ne semblait pas attendre de réponse à sa question. Question que je préférais ignorer même si je fus surpris de comprendre qu’il savait à propos des rumeurs qui couraient à mon sujet. Cependant, j’avais une autre question qui me tournait dans la tête : comment avait-il fait pour savoir que c’était moi ? J’avais déjà entendu parlé des techniques de Perceptions qui permettaient de ressentir ou de discerner ce qui entoure la personne, même si je n’avais toujours pas très bien compris comment elles marchaient. Ce que je savais c’était que Serg en avait appris quelques-unes auprès de Hemberg. J’allais lui poser la question lorsqu’il releva finalement la tête en me jetant un regard intrigué :

- Oh ! Et voici donc la fameuse épée ?

Ne m’attendant absolument pas à ce qu’il parle de ça, je ne sus quoi répondre autre qu’un rapide coup d’œil vers le pommeau de mon arme qui dépassait derrière mon épaule gauche. N’ayant pas spécialement envie d’en parler, je cherchais à changer de sujet de conversation. Mes yeux tombèrent alors sur la rune au sol qui servira prochainement de piège.

- Et alors ? À quoi sert ce piège ?

Même en changeant de sujet, il gardait le même air intrigué. J’aurais juré qu’il fixait encore mon épée, sans en deviner la raison. C’est alors qu’une question germa dans ma tête : à priori, Serg en avait parlé à Hemberg, mais comment se faisait-il que je ne l’apprisse qu’à cette instant ? Avant même que ma réflexion n’aille plus loin, je le vis reprendre un regard détendu.

- Tout d’abord, sache que j’ai déjà installé tous les autres autours du village. Après celui-ci, il ne m’en restera plus qu’un, expliqua-t-il en m’indiquant une maison un peu plus loin. Dès que j’aurais fini le dernier, ils s’activeront tous en même temps et empêcheront toutes personnes étrangères au village d’y pénétrer. Si quelqu’un essaie, le pouvoir des runes lui causera un violent mal de crâne. Au fait, tu te souviens de ce que je t’ai appris sur les runes du Dieu Grarunn ?

- Mmh … que c’est la forme de la rune et des symboles qui la constituent qui définissent son effet ?

- Exact, me répondit-il d’un sourire bienveillant. Mais encore ?

Je pris un peu plus de temps pour réfléchir. Je pensais avoir donné l’information la plus importante concernant les runes. Mon regard s’égara alors sur les sillons creusés au sol. Ils formaient en effet des formes et des symboles qui allaient plus tard s’activer grâce à la magie. Soudain je compris qu’il manquait quelque chose.

- Il te faut un moyen de guider la magie dans la rune … comment tu vas faire ?

Il me sourit, satisfait, puis il attrapa une outre posé derrière lui contenant un étrange liquide.

- Bien vu. Pour l’activer il faut y faire circuler de l’énergie magique. Plusieurs méthodes existent pour cela, mais ici, je vais utiliser cette décoction préparée à base de plantes dont de l’hellébore, les plantes que tu as cueillies hier matin. Cette espèce en particulier correspond exactement à ce que je voulais faire, cependant elle requiert la lumière de la lune pour bénéficier pleinement de ses effets. Dès que j’aurais finis de creuser la rune, j’y ferais couler la décoction puis je n’aurais plus qu’à y injecter un peu de mon énergie magique pour l’activer.

J'acquiesçais de la tête. Cela semblait facile dit comme ça, mais je n’avais jusqu’alors jamais pratiqué aucune sorte de magie. Hemberg avait une fois tenté de m’apprendre des rudiments mais sans succès. Depuis, il n’avait plus retenté mais continuait régulièrement à me partager son savoir.

- C’est toujours aussi intéressant de t’écouter parler, mais ça me fait penser que j’avais une question à te poser.

Il venait de finir de tracer les symboles et commençai à répartir de façon très méticuleuse la décoction dans les sillons. D’un signe de la tête il m’invita à continuer.

- Serg m’a parlé de Krayptal … et d’une histoire de trahison. Ça te dis quelque chose ?

Je vis le corps du mage se raidir Imperceptiblement. il finit de faire couler le liquide, posa l’outre au sol et déclara dans un soupir :

- Oui et ce n’est pas le meilleur moment de notre histoire. Je ne t’en ai jamais parlé ? J’aurais dû.

Il ferma les yeux et posa la main au centre de la rune. À l’endroit où il la posa, une lumière blanche commença à briller et à se propager progressivement dans la décoction illuminant ainsi toute la rune. Une fois que celle-ci fut totalement éclairée, la lumière s’estompa doucement et pris la couleur de la terre, rendant ainsi la rune difficilement visible pour qui n’y prêterait pas attention. Hemberg se leva et poursuivit en me regardant :

- Il y a de cela 200 ans environ, alors que la paix régnait sur tout l’Empire, un nagraad attaqua seul les montagnes Guathesko, le domaine des darfs. N’étant absolument pas préparé à ça, ils n’opposèrent, pour ainsi dire, aucune résistance. Heureusement, aucune victime ne fut à déplorer et pour cause, la cible de l’assaillant était très précise.

- Attends, attends ! le coupai-je. Un nagraad ? Tu veux dire un membre de la race créé par le Dieu Krayptal ?! Comment a-t-il pu ?

- C’est ça. Mais il était bien plus que cela. Il était l’un des quatre Arumentars de son temps.

Cette réponse me choqua encore plus. Un Arumentars ? Depuis la Guerre des Cinq Races, chaque génération avait connu jusqu’à quatre de ces envoyés des Dieux, un par Dieu majeur. Grâce à leurs actions et à leurs pouvoirs hors du commun, ils étaient devenus de véritables héros. Même ici à Zwifdrock, on nous contait souvent leurs histoires qui étaient toutes sources d’inspiration. C’est pour cela que j’avais du mal à croire ce que me disait Hemberg. Comment un de ces héros de légende aurait pu faire une chose pareille ?

Tant de questions me venaient à l’esprit mais au moment de les lui poser, il me fit signe de me taire. Surpris, je le vis observer attentivement la forêt. Tout semblait calme pourtant. Seul le bruit du vent dans les feuilles parvenait à mes oreilles. Au loin, derrière les arbres, on pouvait commençait à apercevoir la lumière du soleil qui pointait.

Soudain, un puissant grondement monta de la forêt. De secondes en secondes il se faisait de plus en plus bruyant et donnait l’impression de se multiplier. Et puis vint le moment où un premier cavalier surgit d’entre les buissons, juché sur son cheval lancé à toute vitesse. Son long manteau noir, de la même couleur que la robe de sa monture, claquait au vent tandis que la lame qu’il tenait à bout de bras fendait l’air. Alors qu’il n’était plus qu’à une dizaine de mètres de nous, Hemberg fut le premier à bouger. De son bras gauche il me fit signe de me placer derrière lui pendant que les doigts de sa main droite se mirent en mouvement. Avec une incroyable rapidité, ils enchaînèrent plusieurs combinaisons où ils étaient soit pliés, soit tendu. Au bout de la dixième itération, une petite onde d’énergie se manifesta au niveau de sa paume. C’est ce moment précis que le mage choisis pour tendre sa main grande ouverte vers le cavalier. Ce dernier n’était plus qu’à quelques mètres de nous et enclenchait déjà un ample mouvement pour tenter de nous pourfendre de son arme. Ne ralentissant pas l'allure, son cheval sauta au-dessus de la barricade et il abattit son épée mais au moment de trancher la main de Hemberg, la lame heurta une sorte de barrière invisible sur laquelle l’arme ricocha. Si notre ennemi fut surpris de cette défense, la capuche qui cachait son visage n’en laissa rien paraître, d’autant qu’il n'arrêta pas sa course et pénétra à toute vitesse dans le village.

Sans perdre un instant, le mage à côté de moi sortit une cosse de pavot de sa sacoche et l’écrasa. Une petite lumière s'extirpa des débris et traça en direction du ciel où elle explosa dans un grand vacarme en provoquant une grande lumière qui illumina pendant plusieurs secondes tout le village, c’était le signal d’alarme en cas d’attaque. Avant même que la lumière ne disparaisse, Hemberg se tourna vers moi. Tout cela s’était déroulé en moins d’une demi-minute et j’étais encore totalement sonné par ce qu’il venait de se passer. La personne qui venait de nous attaquer était sans aucun doute un Cavalier de Karnakral, mais comment se faisait-il qu’il soit déjà là ? Il avait au moyen un jour d’avance sur les prévisions de Serg ! La panique commençait à m’envahir. Ma respiration s'accéléra. Mes mains devinrent moites. Comment était-ce possible ? Est-ce que … est ce que c’était de ma …

- Jall, calme-toi ! s’écria le mage d’un ton sec en m'agrippant l’épaule. Écoute-moi, il faut qu’on agisse vite.

Son air grave eu au moins le mérite de me calmer un peu. Derrière nous, le grondement annonçant d’autres ennemis ne s’était pas calmé.

- Écoutes moi, répéta-t-il pour me maintenir concentré. Il me reste une dernière rune à activer pour rendre l’ensemble du piège opérationnel et tu vas venir avec moi. Tu a une arme, il est temps de t’en servir.

J'acquiesçai gravement. Nous étions sur le point de partir vers l’endroit que le mage m’avait indiqué auparavant lorsque d’autres cavaliers sortirent de la forêt à plusieurs endroits. L’un d’entre eux se dirigeait tout droit vers nous. Vu la vitesse à laquelle il allait, je n’avais d’autre choix que de bloquer l'attaque qu’il commençait déjà à préparer. Cette fois-ci, mon esprit s’était suffisamment éclaircit pour que j’eusse le réflexe de sortir mon épée dans un chuintement qui sonna agréablement à mes oreilles. Je me mis aussitôt dans une posture approximative de garde. L’assaillant abattit alors son épée. Dans un mouvement mal assuré je plaçai ma propre lame de façon perpendiculaire à la sienne et encaissai presque immédiatement le coup qui se répercuta le long de mes bras et me fit tomber à la renverse. Le cavalier continua sa course vers le village, ne faisant ainsi plus attention à moi. Allongé sur le sol, je relevai lentement la tête. Sans compter mes deux bras qui étaient engourdis, j’étais indemne, mais pour encore combien de temps ? Hemberg était déjà partit vers la dernière rune sans s’être rendu compte que je ne le suivais plus et d’autres cavaliers sortaient encore de la forêt. Au total, ils devaient être une quinzaine, tous vêtus de noir et équipés de boucliers et d’armes en tous genres.

Un troisième cavalier avec une hache et un bouclier rond en acier fonçait droit sur moi, cette fois-ci je fis une roulade sur le côté, esquivant au passage le coup de hache. En me relevant, j’eus tout juste le temps de planter mon épée dans le flanc du cheval et de l’entailler sur plusieurs centimètres faisant ainsi chuter l’animal ainsi que son cavalier qui perdit au passage son arme et son bouclier. Voyant une opportunité, je me précipitai sur ce dernier, espérant ainsi pouvoir me protéger lors d’éventuels combats.

Avant de partir pour rejoindre Hemberg, je lançai un coup d’œil rapide vers l'intérieur du village. Des affrontements avaient déjà éclaté çà et là entre les assaillants et les gardes du village, assistés par quelques villageois armés qui se faisait de plus en plus nombreux. Du peu que je voyais, les pertes étaient encore assez limitées et les dégâts superficiels, mais l’attaque venait tout juste de commencer et l’on pouvait malheureusement s’attendre à pire.

[...]

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jallor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0