Chapitre 2 (5/5)
[...]
Ne voulant pas perdre plus de temps, je couru vers là où devait se trouver Hemberg. Il ne me fallut qu’une dizaine de secondes pour le retrouver derrière une maison et le découvrir en plein combat contre un cavalier qui avait mis pied-à-terre. Ce dernier se battait avec aisance avec une longue épée et ne semblait absolument pas inquiétait par son adversaire. Le mage combattait en prononçant de longues incantations, aux significations incompréhensibles, qui générait des lames d’énergies que le cavalier paraît de son arme avant de riposter. Néanmoins, chacune de ces attaques étaient contrées par les mêmes signes de la main que Hemberg avait utilisé plus tôt.
Brandissant mon épée et levant mon bouclier de fortune en avant, je chargeais le cavalier en hurlant pour me donner du courage. Celui-ci tourna sa tête surmontée d’un casque à cornes vers moi. D’un rapide coup de pied, il repoussa violemment Hemberg qui percuta le mur derrière lui. En quelques enjambées, j’atteignis mon adversaire et abatis mon épée sur lui qu’il bloqua sans difficulté avec la sienne. Je mis toute ma force dans mon bras pour tenter de faire flancher mon adversaire mais celui-ci restait stoïque et impassible. Son regard sombre me jugeait, lui qui semblait n’avoir aucun souci à me bloquer. Après plusieurs secondes, il repoussa ma lame puis abaissa la sienne. Nos regards se croisèrent et mon sang se glaça presque instantanément. Il y avait quelque chose de maléfique dans ses yeux injectés de sang. Soudain, un sourire terrifiant se dessina sur son visage. Il savait d’avance qu’il avait gagné. Il savait que s’il le voulait, il pouvait réduire à néant toute la population de Zwifdrock. Que l’on était tous ses proies, que j’étais l’une de ces proies. Et en cette instant il avait envie de jouer avec moi, tel un prédateur jouant avec sa proie avant de la tuer.
Plusieurs gouttes de sueurs coulèrent sur mon front. Un rapide coup d’œil vers Hemberg me fit tout de suite comprendre que je n’avais pas le choix que de rentrer dans ce jeu et de gagner du temps. Une seconde fois, je brandis mon épée pour effectuer une coupe de taille de gauche à droite. Comme je m’y attendait, il bloqua ma lame sans difficulté. Profitant de cette diversion, je projetai mon bras droit avec le bouclier vers son visage. Il haussa un sourcille et utilisa son bras gauche pour repousser le mien, puis, d’un coup de pied dans mon ventre, il me repoussa brutalement me faisant reculer de plusieurs mètres.
Légèrement sonné, je ne vis son arme s’abattre sur moi seulement quelques instants avant qu’elle ne m'atteigne. Dans un geste désespéré, je plaçai mon bouclier sur la trajectoire de la lame, mais il explosa en mille morceaux à cause de la puissance du coup. Les éclats d’acier volèrent dans toutes les directions, éraflant ma peau et mes vêtements à plusieurs endroits. En plus de cela, le choc que mon bras droit avait encaissé me fit perdre l’équilibre et me fit tomber par terre.
En levant le regard vers le cavalier, je vis que celui-ci n’était plus d’humeur à jouer et qu’il voulait en finir. Il tourna la tête vers le village d’où plusieurs panaches de fumée noirâtre commençait à s’élever vers le ciel. Je devais à nouveau attirer son attention sur moi, mais il était déjà trop tard, ses yeux virent quelque chose dans le coin de son champ de vision. C’était Hemberg qui, pendant tout notre affrontement, s’était empressé de tracer la rune manquante sur le sol. Le mage comprenant qu’il n’avait plus assez de temps pour y verser la décoction, il plaqua ses deux mains sur le sol et injecta dans les sillons sa propre énergie. Des filins de lumière se répandirent alors dans la rune tandis que le cavalier, fou de rage, avança vers le mage en levant son épée dont la lame se mit à briller d’un sinistre éclat violet d’où émanait d’étranges volutes de fumés. Il fallait que j’intervienne, que je libère du temps à Hemberg pour qu’il finisse d’alimenter la rune en énergie. Je voulus me lever, mais mon corps engourdi ne m’obéissait pas.
L’épée s'abattit vers le mage, mais quelques fractions de secondes avant qu’elle ne le touche, toute la rune brilla plus intensément indiquant qu’elle était prête. Hemberg poussa alors sur ses bras pour s’écarter le plus possible de la trajectoire de l’arme. Malheureusement il était déjà trop tard, la pointe de la lame entailla profondément la poitrine du mage qui hurla de douleur. La longue plaie fraîchement ouverte laissa couler un flot de sang ainsi que les mêmes volutes de fumés que sur l’épée.
- Trop tard pour vous, sourit Hemberg en s'effondrant lentement sur le sol.
La rage sur le visage du cavalier s'intensifia drastiquement lorsqu’il aperçut la multitude de piliers de lumière se former tout autour du village. Après quelques secondes, je vis sa tête et ses membres trembler. Je compris immédiatement que le pouvoir des runes faisait effet. C’était ma chance. Epée en avant, je chargeai l’ennemi en visant son dos. C’est ce moment qu’il choisit pour se retourner, surement pour finir ce qu’il avait commencé. Mais il n’eut pas le temps de voir arriver mon attaque et encore moins de la contrer. Ma lame s’enfonça dans son flanc jusqu’à la garde, ses vêtements n’opposant que peu de résistance. Son sang coula de chaque côté de la plaie imbibant ainsi mon arme de rouge.
Nous restâmes immobiles ainsi plusieurs secondes. Lui, figé surement par la douleur et la colère, moi, redoutant ce qui allait se passer. Au loin, le son de multiples cavalcades me fit comprendre que le reste des cavaliers étaient en train de quitter le village. Voyant que mon attention s'estompait, mon adversaire m’asséna un violent coup de poing dans le ventre, ce qui me fit reculer de plusieurs mètres et fit sortir mon arme de sa blessure. Sans interrompre son inertie, il tourna sur lui-même et balança son épée dans un mouvement de coupe en visant ma tête. Heureusement pour moi, j’étais suffisamment en retrait pour qu’il ne puisse me faire qu’une longue estafilade sur la joue gauche. Immédiatement après il siffla pour appeler son cheval qui arriva rapidement, il se remit en selle et partit rejoindre ses compagnons, le tout en pressant sa main contre sa plaie. Avant de disparaître dans la forêt il me jeta un regard silencieux mais dont la signification était très claire : “la prochaine fois que nos chemins se croiseront, je te tuerais sans hésitation.”
Immobile, je le regardais disparaître avec les autres Cavaliers de Karnakral dont l’attaque était maintenant terminée. Derrière eux, ils laissaient un village dont les flammes commençaient à ravager les maisons. Il n’était pas encore temps de se reposer, mais d’agir. Je voulu me diriger vers Hemberg lorsqu’une vive douleur me brûla sous mon œil gauche. En touchant la blessure, je me rendis compte que même ma peau à cet endroit était brûlante et était couverte de sang. Néanmoins, la plaie semblait plutôt superficielle, je rejoignis donc rapidement le mage qui sourit en me voyant arriver, malgré le sang qui continuait de couler abondamment de sa poitrine.
- J’imagine qu’ils ont tous quitté le village, dit-il d’une voix tremblante. On a donc réussi à le défendre.
Il semblait soulagé, mais avait cependant besoin de soins.
- Hemberg, dit moi ce que je peux faire ! lui demandai-je d’une voix qui trahissait ma panique grandissante. Qui serait capable de te soigner ?
Il rigola plusieurs secondes avant qu’une quinte de toux ne le prenne et ne lui fasse cracher du sang.
- Plus personne ne peut plus rien pour moi ici, répliqua-t-il. C’est malheureusement ainsi.
- Attends ! Tu ne peux pas abandonner le village comme ça !
Son sourire se fit de plus en plus mélancolique et ses yeux semblait perdre de leurs éclats. Hemberg avait été pour moi comme un mentor. Si Gorfe m’avait offert un foyer, lui m’avait apporté de la connaissance, en bien plus grande quantité que ce qu’il avait apporté à d’autre villageois.
- Et Alyrianne ? Qu’est-ce que je vais lui dire ?
À l’évocation du nom de sa fille, son visage s’assombrit immédiatement. Cette fois-ci il prit plus de temps pour me répondre avec une voix qui devenait de plus en plus hachée.
- Ce sera mon plus grand regret. Et dire que c’est moi qui l’ai amené ici … si je n’avais pas été aussi égoïste ... elle aurait grandi avec sa mère.
Une seconde fois, il toussa, répandant sur ses vêtements de nouvelles tâches de sang. Sa respiration était saccadée et sa peau blanchissait de secondes en secondes. Je savais qu’il n’en avait plus pour longtemps et rien que d’y penser, mes yeux s’humidifièrent.
- Mon second regret … serais surement de ne pas … de ne pas avoir la chance de voir … où l’avenir te guidera. Dès le premier jour … où tu es arrivé au village … j’ai eu l’impression qu’il fallait que … que je prépare cette avenir.
Avec ses dernières forces, il leva sa main, de l’autre, il retroussa sa manche avec des geste très lent et détacha le bracelet en cuir qui y était attaché avant de me le tendre.
- J’aimerais que … que tu le garde avec toi … disons qu’il te portera chance.
Je le pris fébrilement et le rangeai dans ma veste. J’aurais voulu lui répondre quelque chose, lui dire à quel point il avait compté pour moi, que j’avais envie de le remercier pour tout ce qu’il avait fait pour moi mais aucun mot ne sortit de ma bouche. À son sourire qui éclaircissait son visage, j’imaginais qu’il comprenait en voyant les larmes qui coulait sur mes joues.
- Prends … soin du village, finit-il dans un souffle. Dit à Alyrianne … que je suis désolé et que je l’aime.
Tels furent les derniers mots du mage Hemberg SagesÉcritures. Je pris quelques instants pour me recueillir avant de sécher mes larmes et de me relever. Derrière moi, j’entendis des voix qui se faisait de plus en plus préoccupante. En un coup d’œil je compris pourquoi. Plusieurs bâtiments étaient devenus de véritables brasiers. J’allais rejoindre les autres villageois, lorsque deux d’entre eux passèrent en courant de derrière la maison et croisèrent mon regard.
- Qu’est-ce que tu fais là toi ? m'interpella le premier. Tu vois pas qu’on …
Il coupa sa phrase lorsque leurs regards effarés se posèrent sur le corps du mage derrière moi avant de faire des aller-retours entre moi et mon épée que j’avais gardé à la main. J’allais leur expliquer ce qu’il s’était passé mais le deuxième me pris de court.
- Est-ce que … est-ce que c’est Hemberg derrière ?
- Tu n’aurais quand même pas osé le tuer ?! hurla le premier en pointant du doigt ma lame ensanglantée.
La violence de l’interjection me fit reculer d’un pas. Je n'étais évidemment pas coupable de meurtre et encore moins de celui d’Hemberg, alors pourquoi m’accuser sans preuve ? J’avais l’impression de prendre sur moi tout le stress et toute la peur qui les habitaient dû à l’attaque des cavaliers. Néanmoins je ne pouvais pas laisser de fausses rumeurs se répandre.
- Non vous n’y êtes pas, c’est un des cavaliers qui est responsable de sa mort.
- Admettons que tu dises vrai, à qui est ce sang sur cette épée ?!
- Et comment aurais-tu pu lui survivre ?! enchaîna le second.
La méfiance à mon égard qui régnait ici s’était transformé sous la pression de la panique en du déni. Rien que la formulation de cette pensée me provoqua un frisson désagréable dans le dos et tétanisa mes jambes. Cependant je n’étais plus d’humeur à vouloir laisser de stupide superstitions persister dans le village. Pas après ce qu’il venait de se passer. Pas alors que l’urgence était ailleurs.
- Ça, c’est le sang de notre ennemi qui a fui lorsque Hemberg a activé ses pièges, lâchais-je avec insistance. Mais nous avons surement mieux à faire dans l’immédiat, non ?
Tandis que les deux continuaient de me regarder, plus sceptique que jamais, d’autres villageois les rejoignirent en courant.
- Alors vous l’avez trouvé ?
La réponse qu’ils cherchaient leurs apparu lorsqu’ils virent la scène. C’est en voyant tous ces visages attristés, choqués ou encore perdus que je me rendis compte à quel point Hemberg avait compté énormément pour l’ensemble du village et à quel point il avait été estimé et respecté. En cette instant je ressentait clairement l'incompréhension et la colère que me portaient ceux qui me faisaient face. “Pourquoi n’es-tu pas mort à sa place ?”, “tu n’as servis à rien !”, “tu nous portes tous malheur !”, voilà ce qu’ils devaient tous se dire. Mais j’étais la dernière personne à avoir vu le mage en vie et je sentais que je devais honorer sa mémoire et rester fort, je ne devais pas flancher pour si peu et faire en sorte de faire avancer les choses. Après tout, il m’avait accordé sa confiance et avait même parlé de préparer mon avenir. Je fis un pas en avant, avec l’assurance qui avait été la sienne et avec laquelle je pris la parole :
- Écoutez-moi, je sais ce que vous ressentez. Mais pour l’instant il faut …
Mon pied n’avait pas retouché le sol qu’une voix féminine parvint à mes oreilles. Entendre cette voix, qui provenait de derrière la maison, freina mon mouvement et me coupa dans ma phrase.
- Qu’est-ce qu’il se passe ici ? s’enquit-elle.
Tout mon corps s'immobilisa lorsque je vis apparaître ses longs cheveux châtains. Au fond de moi, j’avais espéré que je m’étais trompé, que j’avais mal entendu. Mais le visage d’Alyrianne suffit à me faire comprendre que j’avais eu tort. Elle regarda d’un air interrogateur les villageois avant de remarquer ma présence au bout de quelques secondes. Le regard qu’elle me porta alors me paralysa, mais c’est lorsqu’elle baissa les yeux vers le corps de son père que toute ma détermination se fissura.
- Aly …
Comment pouvais-je seulement prononcer son nom ? Cette simple question me fit reculer d’un pas, d’autant plus que son visage se décomposa en un rien de temps devant ce qu’elle voyait. À côté d’elle, j'aperçus du coin de l’œil les autres tenter de lui expliquer la situation, mais ni elle ni moi n’y prêtions attention
- Jall ? Que … qu’est-ce qu’il s’est passé ici ?
Sa voix s’était brisée avant même la fin de sa question, une larme coula sur sa joue et tout son corps semblait fébrile. Tous mes muscles se raidirent en voyant son état et le peu de volonté qu’il me restait s’évanouit. Qu’est-ce que je pouvais lui dire ? Comment pouvais-je seulement lui expliquer que son père était mort sous mes yeux et que je n’avais rien pu y faire ? Que j’avais été totalement impuissant et inutile. “Impuissant” ? “Inutile” ? Alors ils avaient tous raison finalement. Comme quoi j’étais un poids pour le village et que Serg aurait mieux fait de ne jamais me trouver dans cette forêt et de m’y laisser moisir avec le temps. Il est même probable que ce soit à cause de moi, maudit comme ils le prétendaient, que les Cavaliers de Karnakral nous avaient attaqués.
Je sentais ma tête prise de vertiges et mes jambes tremblantes me firent reculer d’un autre pas. D’un instant à l’autre, je craignais qu’Alyrianne valide elle aussi toutes ces accusations. Si cela arrivait, je perdrais la personne qui croyait certainement le plus en moi. Je craignais que cela se produise, mais que pouvais-je dire pour ma défense ?
- Je …
Rien, absolument rien qui aurait pu me sortir de cette situation ne me vint à l’esprit, car à chaque fois que je pensais à quelque chose, je sentais tous les regards braqués sur moi me contredire.
“Menteur !”
“C’est de ta faute !”
“C’est toi qui l’as tué !”
“Tu n’aurais jamais dû rester ici !”
“Tu as attiré le malheur sur nous !”
Chacune de ces piques venaient se mélanger dans mon cerveau au point que le sol me paraissait de moins en moins stable. Mes yeux ne me renvoyaient que des images de plus en flous, si bien que lorsque je vis tous les villageois sortirent leurs armes, je ne sus si c’était la réalité ou non. Cette incertitude fit naître en moi une vague de panique tandis que mes jambes de plus en plus frêles me firent reculer de plusieurs autres pas en arrière.
- Jall, attends !
La voix implorante d’Alyrianne parvint difficilement à mes oreilles. La main qu’elle tendait vers moi aurait dû m'apparaître comme rassurante, mais au lieu de cela, elle me fit reculer de peur encore plus.
“Il faut … il faut que je parte d’ici.”
C’était la dernière chose qu’il me restait. C’était la seule échappatoire qui pouvait encore me délivrer de tout ceci. Le seul moyen d’échapper à tous ces regards accusateurs. Oui, la fuite semblait si alléchante au regard de ce que j'éprouvais. Et puis, qu’avais-je de mieux à faire ? Rien. De toute façon, il était déjà trop tard. Mon corps ne m’obéissait déjà plus et mon esprit était trop fragilisé pour prendre une quelconque décision autre que de fuir le village.
“C’est mieux ainsi.”
Cette pensée flotta dans ma tête alors que je me retournais vers la forêt, hermétique à tout ce qui se passait désormais derrière moi. Mes jambes, comprenant qu’il n’était plus temps d’hésiter, me portèrent à pleine vitesse vers les arbres. Combien de temps ai-je couru comme ça à travers les bois ? Impossible à dire tant le flou dans mon esprit demeurait si dense.
Au loin, je crus entendre mon nom. Mais qui pouvait bien avoir envie de m’appeler ?
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