XII
Et puis, un événement imprévu est survenu alors que nous venions d’emménager ensemble.
En effet, contre toute attente, j’ai été invité au second mariage du fils divorcé d’un parent éloigné. La raison m’en serait révélée un peu plus tard. Il n’y aurait donc pas de cérémonie à l’église, mais seulement à la Mairie, suivie d’une garden-party dans le parc de la propriété familiale. À l’anglo-saxonne.
Monsieur & Madame, disait l’élégant carton. C’était la première invitation de couple à laquelle nous serions confrontés et la première fois que j’allais présenter Jackie en société. Jusque-là, je ne dis pas que nous avions vécu confinés, mais l’occasion ne s’en était pas présentée. J’avais quelque appréhension ; j’ai toujours eu des difficultés avec le regard d’autrui sur moi et je craignais, de manière plus ou moins consciente, les commentaires sur ma nouvelle compagne. En réalité, c’était LA question que nous ne nous étions pas encore posée qui me taraudait : avions-nous l’intention de nous marier, nous aussi ?
Question légitime au demeurant. Prématurée ? Au bout de plus d’un an de relation, je pensais être assuré de mes sentiments pour Jackie, mais circonspect encore envers les siens pour moi, en raison de son vécu. Mais avais-je le temps de tergiverser à mon âge ? Certes non. Alors quoi ?
Et quel besoin avions-nous de légaliser cette relation ? Ses enfants y mettraient un veto silencieux et crieraient à la spoliation, sans raison aucune, car la loi avait tout prévu, mais quand on veut noyer son chien…
Ce bout de papier poserait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait, au bout du compte.
Au fond, je ne voulais pas remplacer Jeanne de ce point de vue ; je souhaitais qu’elle restât jusqu’à la fin de mes jours ma seule et unique épouse légitime. Mais je ne me voyais pas le formuler ainsi à Jackie, bien entendu.
De son côté, elle pouvait estimer que le statut de concubine n’était ni socialement flatteur ni financièrement avantageux pour elle. Cependant, comme je n’avais pas d’héritier, elle ne serait pas mise à la porte si je décédais avant elle.
Ces pensées et d’autres encore tournaient et retournaient dans ma tête, m’ôtant le sommeil, au point qu’un matin, il me fallut bien prendre le taureau par les cornes et me décider à aborder le sujet avec l’intéressée :
— Chérie, souhaiterais-tu te marier, toi aussi ?
Son visage se rembrunit, cherchant le pourquoi du « toi aussi » à cette heure matinale, et je craignis d’avoir posé la mauvaise question, mais bientôt il s’éclaira et elle dit :
— Pas du tout ! On n’est pas bien comme ça ? Tu as vu ce qui est arrivé à mon premier mari ? Je ne voudrais pas que le sort s’acharne aussi sur toi. Ne t’en fais pas, je peux te chanter comme Brassens :
J’ai l’honneur de ne pas te demander ta main.
Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin.
Mon visage s’illumina. Ma poitrine venait de se libérer d’un poids insoupçonné et je respirai soudain à pleins poumons. Nous étions d’accord !
La superstition, qui régit bien des actions humaines, venait de me sortir d’une situation délicate !
C’est ainsi que nous avons pu poursuivre sereinement nos préparatifs en vue de cette entrée de notre couple dans le monde. Enfin, sereinement, c’est vite dit !
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, 3 avril 2020, 18e jour du confinement.
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