XIII
Jackie, en femme pratique, à peine l’invitation reçue, passait déjà en revue toutes les composantes de sa tenue pour l’événement : robe, chapeau (ou pas), chaussures, sac ou pochette, coiffure, manucure…
Moi, qui depuis toujours, ai deux costumes, chemises, cravates et deux paires de chaussures pour ces occasions – un ensemble foncé pour l’automne et l’hiver, un autre clair pour le printemps et l’été – sans jamais me soucier de la mode du moment, j’avais l’esprit tranquille, mais c’était compter sans Jackie, vous vous en doutez bien !
Charité bien ordonnée commence par soi-même, elle courut d’abord les boutiques, non pas pour acheter, non, mais pour repérer des modèles de robe à son goût, qu’elle envisageait de copier et réaliser toute seule. J’eus donc un temps de répit. Par chance, elle ne souhaitait pas trop que je sois derrière son dos et offrit de prendre le bus qui passait à notre porte pour se rendre en ville. Cela me convenait tout à fait.
Une semaine se passa ainsi, de repérage en repérage, de croquis en dessin. C’est incroyable cette faculté qu’elle a de retranscrire sur le papier un modèle qu’elle a vu et porté quelques minutes au plus ! J’en suis baba à chaque fois. Au bout du compte, trois modèles furent retenus pour la sélection finale. Appelé à donner mon avis, j’optai pour le plus long et le moins décolleté, cela ne vous étonnera pas trop. Elle respecta mon choix.
Vint alors la phase délicate de la réalisation du patron. En s’aidant de ceux de ses précédentes créations, en quarante-huit heures, cela fut chose faite. La table de la salle à manger était à présent couverte de morceaux de papier sulfurisé coupés à ses mensurations. J’avais encore de la difficulté à imaginer le vêtement qui correspondrait à cet assemblage. Elle, pas du tout.
Le choix du tissu ne fut pas une mince affaire, il n’y avait plus en ville que deux magasins à vendre ce genre d’article et elle voulut à tout prix que je l’accompagne pour cette sélection. Dans les deux boutiques, je pense qu’elle a bien fait dérouler une trentaine d’étoffes en tout et s’est drapée dans une bonne quinzaine. Son choix, que j’avalisai, s’est porté sur un crêpe de soie fleuri qui lui allait à ravir, je l’avoue, mais aurait peut-être mieux convenu à quelqu’un de la famille proche qu’à une invitée lambda. Enfin, c’était fait !
La coupe était délicate avec un tissu fin et souple comme celui-là. D’abord, elle reporta à la craie de couturière les contours du patron, puis, ciseaux en main, mètre-ruban autour du cou, elle commença à tailler et je crois bien l’avoir entendue jurer une fois ou deux.
Pour elle, le reste n’était plus qu’un jeu d’enfant. Surfilé de fil blanc, le modèle fut bientôt assemblé sur le mannequin de couturière qu’elle avait ramené de Saint-Julien. Vinrent alors les essayages sur elle et je dus apprendre à placer des épingles là où il fallait reprendre ou détendre.
En une soirée, elle cousit le modèle à la machine, avant de le repasser avec une pattemouille. Le résultat était « bluffant », comme disent les jeunes. J’étais extrêmement fier d’avoir une compagne capable de ce qui pour moi restait une prouesse.
Je ne me suis pas soucié outre mesure de ses autres achats ; je sais que pour les chaussures, le choix a été long et compliqué et que toutes les boutiques de la ville y sont passées. Je lui avais simplement dit : « Ne te perche pas trop ; nous resterons debout un bon moment et pour la garden-party, tu risques de rester plantée dans le gazon si tes talons sont trop fins ».
Elle ne m’a écouté qu’à moitié puisqu’elle est revenue avec deux paires : une d’escarpins très mode pour la cérémonie et une autre à semelle compensée pour la garden-party.
Mes ennuis véritables ont débuté quand ses achats à elle ont été achevés. Sur le lit de la chambre d’amis, dans une housse, reposaient sa robe, l’étole assortie, sa pochette ; ses chaussures dans leur boîte.
Alors, mon tour est venu :
— Pierre, j’ai inspecté tes costumes d’été. Ils datent de Mathusalem. Tu ne peux pas aller à un mariage avec ça.
J’étais obligé d’en convenir, au vu de la tenue qu’elle allait arborer.
— La semaine prochaine, nous allons nous occuper de te vêtir un peu plus au goût du jour.
J’ai mal dormi cette nuit-là, cauchemardant sur des tenues excentriques, des essayages fastidieux et des couleurs agressives.
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, 5 avril 2020, 20e jour du confinement.
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