XXV
Je ne vais pas vous narrer dans le détail le repas ni la soirée, ce n’est pas le sujet de mon propos qui est de raconter mon apprentissage de la vie après Jeanne au côté de Jackie.
Ce que j’appréhendais, outre cette foule de gens nouveaux, c’était que Jackie se fît remarquer au-delà du convenable. Sans aller jusqu’à provoquer un nouvel esclandre, je craignais que, dans l’euphorie de la fête, elle ne se laissât aller à des chansons grivoises, par exemple. Je suis vieux jeu, sans doute, mais j’ai toujours pensé que des couplets lestes siéent peu dans la bouche d’une femme. Chat échaudé craint l’eau froide, n’est-ce pas, et j’avais encore en mémoire l’expérience du Château Hôtel.
Mauvaises pensées, en réalité, car Jackie, durant cette fête fut d’une tenue irréprochable, alors que moi, en fin de soirée, son fils Éric, – le seul présent, son frère avait prétexté des obligations professionnelles – jugea bon de me conseiller d’aller me reposer. Ce que nous fîmes sans regret, car – c’est un point qui nous réunit – nous ne sommes couche-tard ni l’un ni l’autre et les douze coups de minuit avaient sonné depuis quelque temps déjà.
Le lendemain, à dix heures, une cinquantaine de véhicules étaient rangés dans la cour. Il faut l’avouer, certains conducteurs, des deux sexes au demeurant, arboraient une petite mine. On distribua les dossards ainsi que l’enveloppe de la première épreuve. Il y en aurait six. Et le coup de sifflet du départ retentit.
J’ai beaucoup aimé autrefois les rallyes touristiques. J’en ai même organisé avec Jeanne quand Paul était à l’école primaire. L’organisation de celui-ci était un peu bancale dans la mesure où tous les passagers d’un véhicule ne formaient qu’un équipage. Certains étaient donc cinq, voire six ; nous n’étions que deux. Mais Laura, l’aînée des deux filles d’Éric demanda à venir avec nous, ce qui devait nous arranger grandement pour les épreuves sportives. Sa petite sœur fit un peu la tête, mais ses parents tenaient à garder une coéquipière.
Comme souvent, d’aucuns partirent bille en tête, certains d’avoir résolu le rébus initial. Partir vite, c’est bien ! Dans la bonne direction, c’est mieux ! Nous ne fûmes pas les derniers, il s’en fallut de peu, mais au moins nous n’eûmes pas à rebrousser chemin. Le secret avait été gardé, de peur que certains n’emportent avec eux toute une documentation touristique et ne rompent un peu trop l’égalité devant l’épreuve. Il se trouve que j’ai toujours dans le vide-poche de ma voiture un jeu de cartes régionales Michelin et que Jackie, comme je l’ai déjà dit, est un copilote de premier ordre. Ce détail devait se révéler d’une importance capitale. J’allais aussi découvrir que Jackie est une compétitrice redoutable et acharnée. Rapidement, je fus invité à appuyer sur le champignon pour combler notre retard initial.
Son absence de timidité fit aussi merveille pour interroger les gens du cru. Si bien qu’en fin de matinée, nous figurions parmi les premiers aux points de passage. Nous n’en avions raté qu’un seul et de si peu que cela ne nous prit que dix minutes pour rattraper cette formalité. Un grand pique-nique avec des paniers-repas avait été prévu dans une énorme clairière de la forêt de Compiègne. Il fut joyeux et festif. Je dus convenir que je prenais de plus en plus de plaisir à ce regroupement familial.
Jackie et Laura se débrouillèrent au mieux dans les épreuves sportives : à la course en sac, Laura réalisa le troisième temps et au tir à l’arc à vingt mètres, Jackie, pourtant novice, ne rata qu’une fois la cible sur sa volée de trois flèches, ses deux autres se fichant dans la zone rouge. Pour ma part, je résolus toutes les énigmes, sauf la cinquième ! ; là, nous dûmes utiliser l’enveloppe de secours, ce qui nous valut dix points de pénalité.
Souvent, ce genre d’épreuves donne lieu à des divergences d’appréciation dans les équipages, voire à des querelles. Je m’y étais un peu préparé. Mais la réussite de Jackie lui évita mes railleries habituelles et elle ne faillit s’emporter que lorsque je ratai une bifurcation.
Au classement final, après que notre décapotable ait réjoui badauds et promeneurs sur notre passage, nous arrivâmes… troisièmes et premiers chez les vétérans !
J’étais enchanté de cette journée ; Jackie exultait :
— Alors, mon Pierre, tu vois que l’on s’amuse bien dans ces rassemblements ! Tu ne regrettes plus d’être venu, n’est-ce pas ?
Dans un sourire et un baiser, je lui accordai ce point, pensant à part moi : « peut-être pas au point de recommencer tous les ans, cependant, et dans cinq ans, qui sait si je serai en état de participer? ». L’autre point positif de ces journées étant l’amélioration de mes relations avec le fils cadet de Jackie et son épouse.
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, 30 avril 2020, 45e jour du confinement.
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