Première partie

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Le TGV avait plus d’une demi-heure de retard, ce qui agaçait les voyageurs occasionnels, mais laissait indifférents les plus aguerris, somnolents ou absorbés par leur ordinateur portable.

Monica n’était pas familière de cette ambiance. Ces types de trains n’existaient pas en Italie, et depuis que la société qui employait son mari les avait envoyés en France, deux ans plus tôt, elle n’avait jamais eu l’occasion de faire ce voyage.

Il était déjà assez tard dans la soirée et le train n’était pas complet.

Le compartiment inférieur de la voiture était plongé dans la pénombre, laissant aux seules lampes individuelles le soin de diffuser une lumière intimiste.

Monica observa l’homme assis en face d’elle. Il était monté au dernier moment, alors que les portes allaient se fermer et malgré les nombreuses places libres, était venu occuper le siège en vis à vis. Elle en avait été un peu agacée. Elle faisait ce voyage seule, pour se rendre à un rendez-vous de recrutement. Son diplôme de droit international et sa parfaite maîtrise de la langue lui avaient permis de postuler pour rejoindre un cabinet lyonnais, qui représentait les intérêts de grands clients italiens. Elle devait rencontrer le principal associé le lendemain pour finaliser son contrat.

Elle faisait cette démarche secrètement, à l’insu de son mari, qui désapprouvait farouchement l’idée même qu’une femme travaille sans y être contrainte par la nécessité. Mais c’est justement ce carcan de principes d’un autre temps qui avaient fini par émousser la complicité de leur couple et qui la poussaient aujourd’hui à rechercher son indépendance. Elle avait profité d’un voyage de Mario à l’étranger pour programmer cette escapade et cela l’emplissait d’un étrange sentiment où crainte et culpabilité se mêlaient au plaisir et à l’excitation de l’interdit.

Depuis quelques temps, le train roulait à vitesse réduite et le contrôleur venait d’annoncer avec les excuses d’usage le retard probable. L’homme profita de l’occasion pour engager la conversation.

— J’espère que personne ne vous attend à la gare.

En temps ordinaire, Monica aurait esquivé une telle banalité, mais elle décida de se prêter au jeu.

— Non, personne, dit-elle, je me rends à Lyon pour traiter des affaires. J’ai un important rendez-vous demain très tôt, c’est pour cela que j’ai préféré partir ce soir. J’espère simplement qu’il y aura encore des taxis.

Ils échangèrent ainsi quelques phrases sans importance lorsque l’homme lui demanda dans quel hôtel elle avait réservé. Cette question lui parut incroyablement indiscrète. Elle le lui dit, mais sur un ton amical qui le poussa à enchaîner.

— Que connaissez-vous de Lyon ?

Monica lui avoua qu’elle n’avait jamais séjourné dans cette ville. En fait, elle ne connaissait pas grand-chose de la France, son mari préférant retourner en Italie dès que l’occasion se présentait. A cause du climat prétendait-il.

— C’est dommage, les vieux quartiers de Lyon sont très agréables. Pour ma part, je préfère les Terreaux, il y a beaucoup de restaurants et quelques bars animés, mais le quartier Saint Jean de l’autre côté de la Saône est également attachant.

L’inconnu continua ainsi un moment, décrivant tour à tour l’histoire et la géographie d’une ville qu’il semblait bien connaître.

— J’y suis né, et j’y ai vécu plus de vingt ans, avant de venir m’installer à Paris, mais j’aime m’y replonger quand l’occasion se présente, flâner dans les petites rues, sans but, les soirs d’été. Entrer dans un bar ou une boîte de nuit et passer un moment à écouter de la musique ou à bavarder avec de parfaits inconnus.

Monica n’eut aucun doute sur les facultés d’adaptation de son interlocuteur. Il faisait la conversation à lui tout seul, se contentant de solliciter une approbation de la jeune femme de temps en temps.

Elle prenait plaisir à ce petit jeu sans conséquence.

Le train finit par ralentir dans un bruit de freins, marquant l’approche de la gare. Il était presque 22 h 00.

— Puis-je me permettre de vous inviter à dîner ? A cette heure-ci, vous ne trouverez plus rien d’ouvert à côté de votre hôtel.

Monica fût surprise de cette proposition aussi directe. Cela dût se voir sur son visage car l’homme ajouta aussitôt : « Vous devez me trouver bien grossier. Mais c’est ma seule chance. Je n’ai pas envie de vous voir ainsi disparaître à jamais au pied de ce train. »

Monica bafouilla quelque chose qu’il reçut comme une acceptation. Il prendraient un taxi tous les deux et passeraient d’abord déposer les bagages de Monica à l’hôtel, ainsi, ils ne seraient pas tentés de relouer la chambre.

Monica se sentait maintenant prise au piège. Comment se dégager d’une aussi aimable proposition ? Ne revendiquait-elle pas son indépendance ? Accepter de dîner avec cet homme n’était pas une perspective si désagréable.

— Accepterez-vous de me dire votre prénom, belle inconnue ?

— Monica, je suis Italienne, comme vous avez dû le remarquer.

Impossible en effet d’ignorer son charme latin, soigneusement entretenu, et son accent si typique.

— Je m’appelle Jean-Marc, mais depuis l’université, mes amis m’appellent Malko, comme le héros de SAS, précisa-t-il.

Elle ignorait tout de ce Malko et de SAS mais ne lui dit pas.

— Malko, d’accord.

Elle laissa Malko attendre dans le taxi le temps de prendre possession de sa chambre. Elle aurait aimé avoir le temps de se changer et prendre une douche, mais outre le fait qu’elle n’en avait pas vraiment le temps, elle ne disposait pour tout autre vêtement que du tailleur gris qu’elle avait emporté en vue de son rendez-vous du lendemain. Elle se contenta d’une retouche rapide à son maquillage et d’une touche discrète de parfum.

Cela lui prit tout de même près d’un quart d’heure. Malko ne manifestait aucun signe d’impatience. On ne pouvait en dire autant du chauffeur qui martelait nerveusement son volant.

— Je n’ai pas eu le temps de me changer. J’espère que ça ira.

— Vous êtes très belle comme cela.

Il la détailla sans vergogne. Monica se savait très attirante. Elle avait la beauté affirmée d’une femme de trente-cinq ans et remarquait souvent les regards des hommes dans les lieux publics. Ses yeux clairs contrastaient avec sa peau mate et ses cheveux très sombres, donnant à son regard une grande intensité. Ses lèvres formaient facilement un sourire charmant sur des dents que le tabac n’avait jamais ternies. Son chemiser léger, en ce début d’été, s’ouvrait largement sur la naissance d’une poitrine qu’on devinait ferme et généreuse. Elle avait la taille fine et les hanches un peu larges, mais sans excès, caractéristiques d’une femme méditerranéenne.

Malko avait dû donner des instructions en son absence car le chauffeur démarra dès qu’elle s’était installée dans la voiture. Malko conserva le silence pendant les quelques minutes du voyage. Monica en fut un peu surprise. Le taxi les déposa à l’angle de deux petites rues, après d’innombrables détours rendus indispensables par les sens interdits. Malko régla la course et fit le tour de la voiture pour ouvrir la portière de Monica, fort civilement.

— Je vous invite chez Jeannot, c’est un des bouchons les plus connus de Lyon, mais c’est aussi un ami, je l’ai appelé en vous attendant.

De l’extérieur, l’établissement ne payait pas de mine, mais la salle était pleine et bruyante. De grandes tablées joyeuses côtoyaient des petites tables où des couples tentaient de converser malgré le brouhaha.

Un serveur portant un grand tablier les dirigea vers une table dans un angle où il les plaça l’un à côté de l’autre sur une banquette de moleskine plutôt que face à face, pour faciliter le service. Monica ne fut pas dupe mais le remercia poliment. Malko s’installa résolument de biais sur la banquette pour reprendre la conversation.

— Les spécialités lyonnaises ne doivent pas être très conformes à vos habitudes alimentaires. Le patron ne se vexera pas si vous vous contentez d’une salade. Tant que vous acceptez de l’accompagner d’un pot de beaujolais.

Il rit.

Elle fit semblant de se fâcher et déclara qu’elle prendrait un saucisson chaud. Il opta pour l’andouillette.

Le serveur leur apporta le vin et les servit tous les deux, sans le rituel de la dégustation préalable. Malko leva son verre et proposa un toast.

— A notre rencontre !

Monica l’imita et choqua légèrement son verre contre le sien avant de le porter à ses lèvres.

« A notre rencontre ! » répéta-t-elle en reposant le verre. Et tant pis pour les conséquences, ajouta-t-elle en elle-même, sachant déjà qu’elle venait de franchir le point de non-retour.

Le repas se poursuivit agréablement, au rythme de la conversation soutenue par Malko. Avant les desserts, il savait presque tout de la vie de Monica, qui sans s’en rendre vraiment compte lui avait expliqué sa vie un peu terne de femme d’un aristocrate italien, catholique et conservateur, dirigeant la filiale française de l’entreprise qui avait été en son temps la fierté de la famille, avant d’être cédée à un groupe d’investisseurs, au moment du décès du fondateur. Son mari travaillait beaucoup, étant souvent absent du fait de ses nombreux voyages et donc, elle s’ennuyait ferme à Paris, malgré les attraits de la capitale française.

Malko avait-il compris à travers ces quelques phrases qu’elle vivait surtout une grande détresse sentimentale. Passées les premières années de leur mariage, où fêtes et week-ends romantiques s’enchaînaient sans repos, la routine puis le vide s’étaient installés, à mesure que grandissait l’influence de son mari dans le groupe. Certes, ils couchaient encore ensemble de temps en temps et Mario se montrait dans ces moments-là un amant fougueux, mais en dehors de ces courtes périodes, il ne subsistait rien de l’amoureux passionné qui l’avait séduite lorsqu’elle avait 18 ans.

Monica avait d’abord cru à une liaison, mais elle avait vite compris que la véritable maîtresse de Mario était le pouvoir qu’il avait acquis dans le monde professionnel et que seuls comptaient pour lui les combats livrés sur les marchés financiers et les dizaines de millions qui naissaient de ses décisions avisées.

Oui, sans doute cet inconnu avait-il perçu ses attentes car imperceptiblement, il s’était rapproché d’elle, profitant de leur position côte à côte pour venir toucher son genou avec le sien. Monica n’avait pas cherché à se dérober, attendant la suite avec le délicat plaisir de l’interdit transgressé. Peu de temps après, Malko s’était absenté quelques instants, pendant son absence, le serveur avait apporté deux verres d’alcool. A son retour, Malko prit l’un des verres et le porta à ses lèvres délicatement, humant les vapeurs puissantes de l’alcool.

— C’est un très vieux cognac, j’espère que vous l’aimerez.

En temps normal, Monica ne buvait que très modérément, et le vin du repas représentait déjà pour elle une consommation importante, mais elle n’osa pas refuser. Elle bût un peu de l’alcool qui lui fit l’impression de s’évaporer immédiatement dans sa bouche. A ce moment, la main de Malko se posa sur son genou.

Monica, en cette saison, ne portait ni bas ni collants et le contact sur sa peau la fit sursauter. Un court instant elle envisagea de se lever et de quitter un homme aussi grossier, mais son corps ne fit que se laisser aller sur la banquette, ses cuisses s’écartèrent légèrement.

Malko comprit le signal et sa main se fit plus pressante sous la table, caressant doucement la peau soyeuse jusqu’au contact de la jupe courte. Après une hésitation, elle reprit son chemin en repoussant l’étoffe légère. Les joues de Monica s’étaient colorées et son souffle était plus court. Son regard vint alors se fixer dans celui de Malko, au moment où les doigts de celui-ci atteignaient la dentelle de sa culotte. Monica sourit à Malko, acceptant tacitement de se livrer totalement à ce séducteur.

Malko ne poussa pas plus loin et reprit une attitude convenable. Ils terminèrent tous deux leurs verres et Malko se leva.

« Venez ! » dit-il, continuant à la vouvoyer, « la nuit ne fait que commencer. »

Malko tendit la main pour l’aider à se mettre debout. Monica la saisit et la serra plus fort que nécessaire. Elle se rapprocha de lui et ils échangèrent un court baiser.

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