Karezial

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— Donc, a dit Cokra en chemin, tu cherches Næluuj ou chais pas quoi ?

— Elle s’appelle Caei, ai-je corrigé après avoir acquiescé. « Nëluuj » est un titre.

— Le titre de quoi ?

— De la protectrice des terres de Chal, a répondu Haölillyo.

— Toutes les terres ? Toute seule ? Pour quoi faire ?

— Elle protégeait seulement Chal, ai-je rectifié.

— Le vieux croûton ? Il est toujours pas mort ? Elle doit vachement bien le protéger.

J’ai esquissé un sourire. Haölillyo a eu une expression toute différente.

— De toute façon c’est de l’histoire ancienne. Elle est quelque part sur un de ces tas de cailloux, maintenant.

— Les tas de cailloux, c’est un bon choix, a convenu Cokra. Et je me serais cassée aussi, à sa place. Les vieux, j’aime pas ça. C’est tout mou et tout flétri.

Haölillyo a paru scandalisé, mais Cokra a bâillé sans le remarquer. À défaut de trouver une réaction appropriée, j’ai hoché la tête et réalisé au même moment que Haölillyo secouait la sienne avec dépit. Sa contrariété s’est encore accrue quand l’un des ragann qui, à notre surprise, accompagnaient les Yu, lui a léché la main. L’Ælv s’est raidi et n’a osé sortir une serviette de son sac qu’une fois le ragan éloigné.

La tribu s’est arrêtée dans un pan de désert aussi quelconque que les autres.

— Je n’ai jamais été particulièrement fanatique du Fléau des Riao, ai-je dit à l’Ælv, mais son absence se fait cruellement ressentir, ici.
— La saison humide ? En effet.

— Ils disent « triste comme un Riao sous la pluie », a ajouté Cokra, mais même un Riao voudrait bien qu’il pleuve, ici. Et t’as déjà vu un Riao sous la pluie ? Ils sont pas tristes, ils sont en rogne.

— Peut-être qu’ils sont juste en colère d’être tristes, ai-je proposé.

— Ici, nous dit un Yu dans sa langue. Les Mēdē passent ici.

Haölillyo, Cokra et moi avons simultanément regardé à droite puis à gauche. Pas une seule âme à l’horizon. Rien qu’une terre aride à perte de vue.

— Ils sont invisibles, vos Mædn ? s’est enquise Cokra.

Le Yu a souri d’un air moqueur.

— Patience. Les Mēdē passent toujours ici.

Il a fait signe à sa tribu de Yu, de ragann et de brawin de reprendre la route, nous abandonnant au désert. Ils ont vite disparu derrière un écran de poussière.

— Est-ce qu’on leur fait confiance ? ai-je demandé un peu tard.

— Évidemment que non, a répondu Cokra. Sont pas du clan.

Elle a gratté du pied la terre sèche.

— Eh, au moins y’a à bouffer. On a rien d’autre à faire, de toute façon.

J’ai parcouru des yeux l’horizon stérile.

— Où est-ce que tu vois de la nourriture ?

Elle a émis un soupir exagéré et gratté la terre de plus belle.

— Comment t’as fait pour survivre aussi longtemps, petit Kwashil ?

Elle a déterré des racines bulbeuses qu’elle a croquées sous mon nez, puis récupéré dans la paume le jus qui lui coulait sous le menton.

— Nous devrions ménager les réserves, a fait remarquer Haölillyo. Qui sait combien de temps il nous faudra attendre ?

— Qui te dit qu’il arrivera quoi que ce soit ? Ça se trouve, les Yu voulaient juste se débarrasser de nous.

L’argumentaire de Cokra me parlait. Même des Mædn paraissaient vraiment, l’expédition ne me rapprochait pas de toi. Il était néanmoins devenu clair que je n’aurais pu survivre seul en ces terres désolées.

Plusieurs levers de Mur ont passé pendant lesquels le désert et les esprits se sont échauffés. La monotonie n’était rompue que par des filets de végétaux mauves et incomestibles, portés au gré du vent en quête de nutriments.

— Pff, a fait Cokra. Si j’avais su qu’on se ferait autant chier, je serais restée au clan. Nouvel endroit, même merde. À chaque fois.

— Bon, ai-je dit à mon tour. C’était très intéressant, mais je devrais poursuivre mes recherches. Cokra, si…

Elle m’a tapé le bras pour me faire taire. Elle observait quelque chose au loin. J’ai suivi son regard et distingué la silhouette ailée d’une sorte de Kwashil.

— Un Moska, m’a-t-elle appris. Qui nous évite, on dirait.

Haölillyo et moi plissions des yeux pour mieux admirer le spécimen du clan éteint. L’Ælv a sorti de son sac un télescope miniature qu’il a porté à son œil puis m’a confié. Le Moska était toujours trop éloigné pour l’étudier en détail, mais j’ai discerné la membrane qui lui servait à imiter le vol des Kwashil. Sa silhouette a rejoint deux congénères qui se sont évanouis derrière le nuage de poussière duquel ils étaient venus.

Nous aurions pu les filer vers leur royaume inconnu, mais je devais suivre le cours de Mur, vers l’âme couchante d’une koxji empressée de disparaître.

— Pourquoi est-ce qu’ils sont partis ?

— Aucune raison de nous faire confiance, m’a répondu Cokra. On comprend rien à ce qu’ils disent, de toute façon.

— Comment cela se fait-il ? a demandé Haölillyo à son tour.

— C’est toi le linguiste, a-t-elle dit en levant furtivement les yeux au ciel.

Une remarque pertinente. J’ai donc lancé un regard interrogateur à l’Ælv.

— Hm… a-t-il fait sans prendre de risques. Je suppose… Se pourrait-il qu’ils proviennent d’autres terres ?

— Ben, ils ont pas juste germé dans le désert un jour.

— Il y a vraiment des Dai en dehors de Chal ? ai-je demandé.

Il a froncé les sourcils.

— Tu devrais savoir que les Kwashil descendent en partie du peuple Awasi.

— Mais c’étaient des nomades, ils pourraient aussi bien être venus du désert. Je demandais s’il y avait vraiment d’autres terres de Chal.

— On en voit tout le temps, des étrangers, a répondu Cokra. Mais ils font rien que de charabiater.

Ils paraissaient Dai, pourtant. Je pensais donc qu’ils parleraient dai.

— C’est fascinant, s’est ému Haölillyo.

— Du lancer de piques sur un Yu, c’est fascinant. Ça, c’est chiant. J’en ai ma claque d’attendre. On se fait super chier.

— Un instant. Avez-vous déjà vu des Ëlvessei d’autres terres ?

— Nan.

— Pour quelle raison ?

— J’en sais rien, s’est impatientée la Tick. Je donne juste des cailloux aux gens, moi.

Elle a appuyé ses propos en me frappant la main pour y déposer une pierre ordinaire. Mon regard confus a semblé à la hauteur de ses attentes.

— Mais si vous deviez émettre une hypothèse ? a insisté Haölillyo.

Cokra a montré les dents.

— Il commence à avoir l’air appétissant celui-là. Hein, Kaz ?

Haölillyo a tressauté, se souvenant soudain de la nature de sa compagnie. Cokra l’a fixé droit dans les yeux.

— P’tet qu’il y a pas d’Ælvn parce qu’aucun a survécu, t’en dis quoi ?

J’y songeais rapidement pendant qu’Haölillyo révisait ses choix de vie, car quelque chose me chiffonnait.

— Les Yu survivent ici, pourtant.

— Ouais, pas comme toi sans ta fidèle Cokra, a-t-elle dit en souriant à pleines dents. Tu te rends compte du truc ? Tu t’en sors moins bien qu’un Yu, ici. Tu risques de mourir de honte avant de mourir de soif.

— J’apprendrai.

— Bien dit ! a-t-elle approuvé.

*

Quelques jours plus tard, Haölillyo m’a secoué alors que je dormais sous le linge qui nous abritait des rayons de Mur. Cokra a grogné d’être ainsi sortie de sa torpeur. L’Ælv nous a fait signe de garder le silence et a pointé l’horizon sur lequel s’avançait une colonie de bêtes étranges.

— Tu veux que je fasse un repérage ? ai-je demandé à Haölillyo.

— Ce n’est pas nécessaire. Nous allons nous présenter, comme des êtres civilisés.

Cokra a mimé des vomissements, mais n’a pu cacher sa bonne humeur. Il se passait enfin quelque chose.

— Ce sont les Mëdh, j’ai déjà vérifié, a dit l’Ælv en rangeant son télescope portatif.

Il s’en est allé à leur rencontre. Cokra et moi avons échangé un regard puis nous sommes pressées à sa suite.

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