Karezial
Des arbustes tentaculaires pourvus d’une sorte de cape s’avançaient sans empressement. Les créatures n’avaient pas de pieds, de mains, de bouche, ni de narines que je puisse voir. Leurs yeux, si tant est que cette masse bulbeuse y correspondait, étaient larges et nombreux. Elles avaient le pas si léger que la moindre bourrasque menaçait de les faire s’envoler, et on les voyait accrocher leurs appendices filiformes aux roches éparses.
Je les ai d’abord crues violettes, mais la colonie a pris une couleur de mousse en nous voyant approcher. Certaines ont paru nous pointer de leurs vrilles. S’est ensuivi une cacophonie de sons aigus, que Haölillyo ne percevait pas pour la plupart, et un maelstrom de couleurs sur les corps chatoyants comme autant d’arcs-en-ciel, cerclés des mouvements presque dansés de leurs tentacules.
Elles ne se sont pas enfuies, ni n’en semblaient capables. Les membres de la colonie s’agrippaient les uns aux autres, balancés par le vent.
L’Ælv avait perdu le contrôle de sa mâchoire, qui pendait à son cou dans sa stupeur. Cokra croisait les bras derrière la tête pour dissimuler son intérêt, puis s’est portée volontaire pour refermer la bouche du chercheur. Sorti de son hébétude, il s’est adressé aux Mædn dans toutes les langues que je connaissais et d’autres m’étaient inconnues. Il n’est parvenu qu’à faire pâlir ses interlocuteurs.
— J’ai faim, nous a alors signalé Cokra.
Haölillyo s’est gratté la nuque sans pouvoir détacher les yeux des créatures, qui avaient repris une teinte violacée.
— La communication s’avère difficile. Mais je suis positivement étonné de votre retenue, Cokra, a-t-il soupiré sur le ton de la supplique. Vous n’avez pas encore essayé de manger nos hôtes.
J’ai levé un sourcil. Si Haölillyo avait une requête à faire à la Tick, il valait mieux s’y prendre de façon moins détournée.
— Ils sont clairement pas comestibles, a-t-elle cependant répondu. Je sais que les Ælvn mangent que ceux qui peuvent pas se défendre, mais même vous, vous mangez pas les trucs violets, quand même ? Ça a juste le goût d’air.
— Hm. Je dois admettre que nous ne les faisons tout bonnement pas pousser dans la Cité. J’ai goûté à quelques fruits suspects depuis ma sortie de Chal, mais ils n’ont pas apaisé ma faim.
— Normal, normal. Y’a rien à bouffer dedans.
Mais Haölillyo s’était déjà retourné vers les Mædn.
— Aah ! Quelles créatures sublimes !
J’aurais utilisé un mot différent, mais chacun ses opinions.
— J’suis pas linguiste, mais quand elles balancent leurs lianes d’avant en arrière, on dirait un peu qu’elles font « suivez-nous », nan ?
— On dirait, ai-je admis.
Le visage de l’Ælv s’est encore davantage illuminé.
— Suivons-les, alors ! a-t-il dit en leur emboîtant le pas.
— Héhé, peut-être qu’elles vont l’attirer dans leur tanière et le bouffer.
— Elles ont l’air faibles, ai-je répondu en souriant. Je pense que même Hao ne craint rien.
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