En Partance

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Les festivités avaient cessé. Le clan s’armait de nouveau dans l’éventualité d’un assaut ennemi.

Quand Yeꜵn a capturé un groupe de Yu enfui du clan Frreshie, elle les a ramenés à Riao, persuadée que vous manquiez cruellement d’esclaves depuis les évasions en masse des Yudæln. Mais le clan entier a ri de l’initiative.

— Qu’est-ce que tu veux qu’on foute avec ça ? a demandé Kalan. Ils sont tellement maigres qu’ils crèveront avant demain.

Le clan a approuvé et les a servi en ragoût.

L’incident a eu au moins le mérite d’aiguiller ton second acte, qui consistait à affranchir, une fois de plus, les quelques esclaves péniblement rassemblés par le clan. Les Riaon ont protesté pour la forme, même s’ils saisissaient les motivations d’une évadée.

Tu entraînais Niashæl, comme promis, et as invité le clan à se joindre à vos séances. La sang-mêlé avait du mal à garder courage tant le gouffre qui vous séparait s’était élargi. Tu as également tâché d’habituer les Riaon à se battre contre plusieurs adversaires. Tu leur as fait une démonstration face à Vio et Niashæl. L’exercice n’a réclamé ton attention que lorsque Utan-Uka les a rejoints.

Quand il s’est ensuite opposé à Vio et Niashæl, tu ne lui as explicité que l’essentiel : garder ses deux adversaires dans son champ de vision et les pousser à se gêner l’un l’autre. Pour le reste, il devrait laisser son corps s’exprimer, trouver sa propre cadence.

— Au moins, as-tu fait remarquer, ils n’ont que deux bras.

Utan-Uka était trop concentré pour prêter attention aux alentours. Vio et Niashæl, en revanche, étaient plus confus.

— De quoi tu parles ?

— Hmm ? Bah... pourquoi on n’a que deux bras ? Pourquoi pas plus ?

Niashæl a pouffé de rire, permettant à Utan-Uka de lui asséner un coup.

— T’as bu la gnôle de Vitta, ou quoi ? t’a demandé Vio.

Tu as secoué la tête, perdue en souvenirs ou en rêves. Tu t’es péniblement ancrée à la réalité, focalisée sur le combat, prodiguant davantage de critiques que de conseils.

— Pourquoi t’as voulu apprendre à te battre ? as-tu demandé à Niashæl alors qu’elle reprenait son souffle. T’es trop douce pour ça, non ?

Elle s’est mordu la lèvre pour taire une répartie agacée.

— L’excès de gentillesse, c’est ce qui a tué mes parents.

Ils auraient dû ériger des barricades et des fortifications, se façonner des armes et s’entraîner. Au lieu de ça, ils avaient entretenu un potager. Un potager doux, gentil et généreux, à présent mort et pourri. Comme les doux, gentils et généreux parents de Niashæl.

Elle a frappé Utan-Uka, qui a soufflé bruyamment.

— Toi aussi, Caei. T’es plutôt idéaliste, pour une guerrière, a dit Vio. T’es presque trop gentille pour tuer les oiseaux.

Il avait utilisé le mot kwashil, vous laissant choisir les volatiles auxquels il faisait référence.

— Personne t’a demandé ton avis.

— Mais j’ai le droit de le donner.

— C’est vrai, as-tu admis. Maintenant, ta gueule.

Il s’est contenté de grogner, et a puisé dans son amertume pour remporter la manche suivante.

Tu commençais à envisager de rester à Riao, indéfiniment. Sooyolane buvait tes excuses pour repousser ton départ, ou prétendait les croire. Niashæl était encore en rémission, disais-tu, et tu devais persuader les membres du clan de prendre à cœur les intérêts de la Cité. Tu as adressé un mot aux Llëmnoa pour les assurer que plus aucun Riao ne s’attaquerait ni à la Cité, ni aux citoyens. Tu leur avais déjà expliqué que seuls les renégats en faisaient jamais la tentative, mais autant profiter de leur obstination à confondre les exilés avec les membres du clan pour exagérer ton rôle conciliatoire.

Nyemëlls a reçu le message avec apathie, déçu par cette sœur étrangère qui n’avait rien de son père. À vrai dire, il te trouvait odieuse. Quand bien même tu la détestais, tu marchais sur la Cité comme si elle t’appartenait, quand et où bon te semblait, et on t’en ouvrait grand les portes. Lui-même s’était laissé aller à t’en révéler les recoins. Parfois, il se pensait le seul à réaliser que ce n’était pas normal. Il balançait entre l’agacement envers l’ingrate qui jugeait les siens en permanence, et l’affection pour la dernière famille qu’il lui restait.

Royan avait dû s’éclipser de Riao. Il passerait d’abord un temps dans la forêt pour amoindrir l’odeur de ton clan, puis rejoindrait Rokian. Le moment était peut-être venu d’allier vos deux clans, mais ces jours-là ne te laissaient aucun répit. En tant que Naræs, il t’incombait désormais de résoudre les disputes. Baraghi avait calmé les esprits par la menace et la violence, tandis que Carunae avait fait appel à la raison. La manière de Baraghi te venait plus naturellement, mais tu t’efforçais de t’en éloigner : il t’horripilait que tes actes fassent écho à celui qui avait cessé de t’aimer. Carunae le prendrait comme un compliment, mais elle se fourvoierait.

Urra et Roas se supportaient difficilement. Urra trouvait Roas trop infantile, et Roas reprochait sa vantardise à Urra. Sans être les seuls du clan à ne pas s’entendre, ils étaient les plus tumultueux. Ils se criaient fréquemment dessus, entourés d’une dizaine de spectateurs vociférants. Quand tu parvenais enfin à te faire entendre, il arrivait que des Riaon découvrent les dents et se permettent de t’insulter.

— Elle se casse, l’Ælv, ou pas ? t’a dit une fois Urra.
— Mais ferme ta gueule, l’a incité Roas. Ça pue comme le malla !

— Et le respect, connard !

Tu t’es suffisamment approchée des deux andouilles pour faire une manchette à Urra. Tant pis pour la diplomatie. Il s’est montré encore plus odieux à son réveil et nombre de Riaon lui ont donné raison. Une Naræs, et surtout une akci, ne pouvait pas se défouler sur les siens pour des paroles. Tu as montré les crocs et grondé, tâchant de masquer ton incertitude : tu comptais sur tes poings, mais si cet argument ne suffisait pas au clan, que pouvais-tu faire d’autre ?

Tous ne se montraient pas si obtus. Plus par tradition qu’autre chose, mais c’était un début, les nouvelles mères venaient te voir pour confirmer la force et la bonne santé de leurs enfants. La plupart, évidemment, n’auraient pas survécu plus d’un tiers de cycle de Pirishæl.

Les premiers nouveau-nés qu’on t’a montrés étaient jumeaux. La bouche de l’un, égarée entre félin et Yu, l’empêcherait de se nourrir de lui-même. Tu l’as bercé et lui as rompu le cou. Par chance, son frère avait, lui, l’air vigoureux.

— Il a la même gorge que Plamar, as-tu néanmoins dit à la mère. Il pourra jamais parler.

— Je sais. Mais au moins, il survit. Il apprendra la langue du silence, comme Plamar.

Elle a baissé des yeux aimants sur l’enfant ronronnant.

— Plarsia (1), l’a-t-elle nommé.

Tu as hoché la tête : il y avait pire sort. Il rejoindrait ces Dai qui feulent merveilleusement et ponctuent nos chants guerriers de rugissements menaçants. S’il survivait. Avec de la chance, il pourrait même prononcer certains sons de la langue dai et se faire comprendre des autres clans.

Parmi les six enfants qu’on t’a présentés, sans compter les fausses-couches, aucun autre n’était sain. L’une souffrait d’anosmie et aurait été incapable de chasser ou se repérer convenablement. Un autre n’aurait jamais pu marcher. L’enfant de Syaval et de Vilkr s’est éteinte d’elle-même, opprimée par son étroit crâne fauve. C’était dommage, leur as-tu dit, mais ce n’était jamais que leur troisième essai. Il ne fallait pas abandonner.

Cette réalité, Niashæl n’en avait eu que conceptuellement conscience. D’en faire l’expérience de première main a brisé le lien ténu qu’elle s’était forgé avec le clan, en même temps que tu brisais les nuques des nouveau-nés.

Ç’avait été la seule voie possible à Baraghi, as-tu réalisé : abattre les faibles, supprimer ceux qui encouraient une mort précoce et douloureuse. Et pourtant, quelque chose avait retenu sa main. Peut-être que de faire couler son propre sang allait contre ses principes, ou peut-être lui était-il resté un espoir pour toi. Il t’avait tourmentée, mais il ne t’avait pas tuée.

— La survie de nos petits est entre les mains d’une demi-Ælv, a insidieusement remarqué Helkæt. On fait quoi si elle les bute juste parce qu’ils ont l’air trop dai ?

Une mère endeuillée lui a posé une main sur la bouche. Le petit cadavre à son bras n’était pas viable, c’était évident. Helkæt a seulement grogné. Il n’avait pas l’intention de se mettre les mères à dos. Il marquait un point toutefois : on bannissait les Dai qui attaquaient les leurs, mais les Naræsn exécutaient les plus jeunes membres du clan. N’était-ce pas contradictoire ? Niashæl a dégluti la bile qui lui brûlait la gorge.

— Tant de vies gâchées, s’est-elle lamentée, adossée à ta hutte.

— Oui, as-tu convenu.

— Tu es d’accord ? Alors pourquoi est-ce que tu les tues ?

Tu n’as pas compris de suite.

— Leurs vies étaient gâchées au moment où ils sont nés abîmés.

— Et qui décide de ça ? Toi ou ceux qui disaient que nous sommes nées abîmées ?

Tu baissais les yeux. Elle a serré les poings.

— Mais merde, Caei !

— Je pense qu’ils se sont trompés sur nous. Si on était vraiment abîmées, on serait déjà mortes depuis longtemps.

Elle s’est renfrognée. Tu n’avais rien à dire pour la faire changer d’avis. Comme la plupart des Dai, tu pensais préférable de mourir avant de comprendre la mort, dans les bras de sa mère et sans douleur plutôt que dévoré par des prédateurs, sans jamais voir sa dépouille revenir au clan. Mais Niashæl voulait croire en ceux qui n’avaient aucune chance, au prix de leur souffrance et d’une courte vie de terreur.

Au moment de mettre fin aux jours du dernier enfant, tu lui as adressé une pensée silencieuse : Va retrouver celui qui m’aimait quand il croyait que j’étais comme lui. Tu t’es remémoré une chose que tu avais tenté d’expliquer aux Llëmnoa. Quand il faut sans cesse tuer sa propre descendance, il devient facile d’ôter des vies. Tu avais parlé des Dai forcés de tuer des enfants de Dai, mais tu n’avais jamais réfléchi à la tournure personnelle de l’expérience pour Baraghi. Il ne pouvait confier la triste tâche à personne d’autre. Celui qui devait anéantir la chair de sa chair, c’était lui. Lui seul.

Et il y excellait, as-tu songé avec amertume.

— Je veux rentrer, a annoncé Niashæl.

Elle voulait dire « retourner à la Cité », là où les nouveau-nés n’avaient pas de souffrances à abréger. Tu hoché la tête, le cadavre du nourrisson dans les bras.

*

Royan à Caei

Vingtième message

Ansi est morte.

Tu n’étais pas auprès de Royan pour le réconforter. Tu n’étais pas sûre de le pouvoir. Il t’avait parlé d’Ansi, une jeune Rokian vigoureuse. Il avait cru qu’elle s’en sortirait.

Tu suivrais Niashæl jusqu’à la Cité. Tu as laissé suffisamment de pacikn au clan pour qu’ils te contactent au besoin, sans attendre de réponse de ta part. Quoi qu’il en soit, Carunae les mènerait en ton absence. Comme autrefois.

Tu regrettais de précipiter ton départ avant même d’avoir pu laisser ta marque sur Riao, de t’imprégner d’un clan qui ne te regardait pas de haut. Tu le dirigerais depuis la Cité, mais pour les actes de tous les jours, pour ce qui comptait vraiment, ce serait sur Carunae que les Riaon se reposeraient. L’idée t’évoquait un vague sentiment d’injustice, mais c’était la meilleure solution. Carunae avait l’expérience et la prestance. Toi, tu ne saurais qu’improviser et espérer.

Rien, toutefois, n’a pu taire les rumeurs de dissension : la place d’un Naræs était au clan, pas auprès de l’Ælv qui prétendait gouverner Chal. Pour autant, les Riaon t’ont saluée chaleureusement, t’a-t-il semblé. Plus chaleureusement, en tout cas, que par le passé.

— Avant que tu partes, t’a interpellée Væk, les Ælvn t’auraient pas dit comment recharger un fyëw ?

— Non. Royan saurait t’expliquer comment allonger leur durée de vie, mais pas plus.

— Tss. Il faut absolument qu’on en récupère un ou on se retrouvera sans forge décente. C’est l’hécatombe, là.

— Je peux demander, pour la recharge.

— Ils ne te le diront pas, a dit Niashæl.

Tu n’imaginais pas, en effet, les Llëmnoa te donner une réponse utile. La plupart des citoyens eux-mêmes n’avaient aucune idée de la fabrication, de la calibration et de la recharge des batteries. Nyemëlls saurait peut-être, mais tu doutais qu’il daigne te donner des réponses, et d’être prête à lui parler. Si le sort du clan en dépendait, en revanche…

— Faudra en repiquer, du coup. Mais on aura du cul si on tombe sur des Ælvn avant que le dernier fyëw nous lâche.

— Si… as-tu commencé.

Si j’en prends à la Cité, allais-tu dire. Les Ælvn accordent autant de valeur aux fyëw que notre peuple. Ils ne s’en séparent pas volontiers, moins encore pour les céder à un clan. Si un fyëw disparaissait en même temps que toi, on te fermerait les portes de la Cité. Pas que leurs petites lances puissent m’arrêter, as-tu songé non sans orgueil. Peut-être qu’un jour tu lui tournerais volontairement le dos, à elle et aux Yudæln, à Lyoonëi, à Sooyolane et à Nyemëlls. Mais pour l’instant…

— Je vais voir ce que je peux faire.

Au cas où, tu as emporté quelques batteries déchargées. Tu trouverais peut-être l’occasion de les substituer à des fyëw en état de marche, en espérant que les Ælvn ignorent la supercherie. En dernier recours, il faudrait attaquer un autre clan. Tu n’en avais pas encore parlé à Riao, mais tu préférais éviter cette éventualité. Tu voulais que les clans suivent l’exemple de Yudæl. S’entre-tuer risquait d’envoyer le mauvais message.

Nasoa a insisté pour que tu emportes les victuailles qu’il nous avait préparées : des racines de pelak, des baies et des épices dans des feuilles d’anyꜵk grillées. Le même plat qu’il te glissait discrètement lorsque Royan et toi étiez esclaves. Tu l’as gratifié d’un sourire furtif, comme alors.

Tu as également accepté un prrmallei des mains tremblantes d’Ukte. La pauvre Dai y avait passé un long moment à cause de son infirmité.

Pendant tout ce temps, Carunae attendait son tour. Quand Væk, Nasoa et le reste du clan ont eu épuisé leurs sollicitations, elle nous a accompagnés à la sortie du clan, ce qui ne parvint qu’à t’énerver. Nous n’avions pas besoin d’aide. Tu n’avais pas besoin d’elle. Elle nous a demandé, à Niashæl et moi, de partir devant. Celle-ci a obtempéré avant que tu protestes, me tirant par la main. Je t’ai lancé un dernier regard appréhensif. Tu as grogné. C’était toi la Naræs, maintenant. Niashæl répondait de toi, pas de Carunae.

— J’ai essayé de te donner l’espace dont tu avais besoin, a-t-elle dit, mais on doit se parler au moins une fois.

Tu as évité son regard et pressé le pas.

— Pas besoin, as-tu dit à mi-mot.

— Qu’est-ce que tu veux pour le clan ?
— Le laisse juste pas crever.

— Caei…

Sa voix tressaillait.

— Tu penses qu’avec le temps, tu pourrais m’accepter ? Est-ce qu’on pourrait se rapprocher ?

Tu ne lui as pas répondu. Tu ne savais pas quoi dire. L’avenir t’était aussi incertain qu’à elle.

— Est-ce que tu me hais toujours ?

Tu as froncé les sourcils. La haïssais-tu ? L’avais-tu jamais haïe ? Quel mot décrivait le mélange de dégoût, de rancœur et de déception qu’elle t’inspirait ? Comme Baraghi, tu l’avais adorée, placée sur un piédestal ; la chute n’en avait été que plus brutale. En fin de compte, elle n’était qu’une jeune âme, une koxaso. Pis encore, elle t’avait mise au monde. Toi. L’erreur.

— Tu penses qu’on pourrait… redevenir comme avant ?

Tu as ri sèchement, avant de refouler une vague de colère. Croyait-elle effacer si facilement la souillure et l’abandon ? Elle t’avait mal faite et, incapable de te défendre, elle t’avait laissée tomber. Ton monde s’était éteint avec elle. Il était mort, pourri de l’intérieur. Et elle attendait ton pardon ! Elle attendait que tu lui accordes un mot d’ælv, que tu la rejoignes dans sa faiblesse !

— Non.

— Caei, tu ne pourras pas me détester pour toujours.

Tu as omis de respirer.

— T’en sais rien. Et je te dois rien du tout.

— Je me suis mal exprimée, a-t-elle concédé. Je voulais dire… est-ce que tu pourrais trouver en toi la force de… de me laisser me racheter ?

— Je suis forte. Et t’es vice-Naræs, non ?

— Tu dis ça, mais tu me tiens à l’écart.

— Je suis obligée.

— Pourquoi ?

— Tu sais bien.
— Pas vraiment.

Tu as grogné.

— C’est à cause de toi, Carunae.
— Dis-le.
— Non.

— Qu’est-ce qui est à cause de moi ?

— Arrête ! as-tu rugi. C’est terminé, c’est du passé.

— Si c’était vraiment terminé, tu ne m’en tiendrais plus rigueur.

Tu as souri amèrement. Elle en avait assez fait.

— Tu me hais toujours ?

— Tais-toi.

— Est-ce que tu me hais ?

Tu as montré les dents. Elle a baissé les yeux.

— Tu me hais toujours.

C’était de trop.

— C’est de ta faute, et tu le sais très bien ! Je suis forcée de te détester, parce que si j’arrête…

Tu cherchais tes mots, tu cherchais comment transcrire le gouffre qui t’habitait. La solitude immense d’une âme entourée. Ça n’avait pas de sens et tu te refusais à l’apitoiement. Tu n’avais pas non plus à t’expliquer. Tu avais presque abandonné lorsque tu as trouvé les mots.

— … c’est moi que je détesterai.

Tu t’attendais à lire du choc sur les traits de Carunae. À la place, il y avait de la peine. Il t’énervait qu’on te plaigne. Tu n’étais pas si faible.

— Ce n’est pas de ta faute, disait-elle en avançant une main maternelle que tu écartas d’un coup sec.

— Bien sûr que si.

Carunae et Baraghi ne portaient pas seuls le blâme. Le cœur du problème… Tu le connaissais intimement.

— Tout ce qu’il s’est passé, c’est de ma faute, as-tu livré à l’auteure de ton infamie. C’est à cause de moi que Baraghi s’est mis à te haïr, c’est à cause de moi qu’il t’a battue et bannie. C’est à cause de moi qu’Agi est devenu une montagne de haine ! Je l’ai forcé à se retourner contre le clan, j’ai rendu Riao malade de honte, et tu peux rien dire pour le nier.

Encore la même expression compatissante. Tu serrais les poings et les dents.

— Déteste-moi, alors.

Tu as failli rire.

— Je te hais.

Tu as montré les dents, oreilles plaquées.

— Je te hais !

— Tu n’y es pour rien, a dit Carunae en s’approchant.

— Je te déteste.

Tu l’avais dit faiblement, en reculant. Tu ne savais déjà plus ce qu’il en était. La colère que tu avais si longtemps irradiée, vers qui se dirigeait-elle ?

— Je te déteste, as-tu répété, encore et encore, comme pour t’en convaincre.

Qui d’autre ? Baraghi n’était plus. Ne restait que ta mère ou toi. N’avais-tu pas assez de haine pour vous deux ?

Le petit jeu de Carunae a cessé de t’intéresser ; tu t’es tue. Carunae l’a interprété, à tort, comme une admission de défaite. Elle a tâché de t’enlacer, mais tu l’as repoussée.

— Me déçois pas, as-tu dit en pointant le menton en direction du clan.

Tu as poursuivi ton chemin seule et dégagé le sh’shël de sous son tapis de feuillages avant de l’enfourcher.

(1) « Comme Plamar » ou « d’allure robuste ».

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