Karezial

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Les Mædn nous ont menés à une nouvelle tribu de Yu. À vrai dire, nous les avons conduites plus qu’elles ne nous ont guidés. Au moins, Haölillyo se réjouissait d’offrir ses services aux « plantes glorifiées », comme les appelait Cokra.

De nombreux animaux se sont éloignés à notre approche, nous craignant comme il se doit. Les Yu aux coiffures excentriques, d’humeur bien moins joyeuse que l’Ælv, ont rendu son regard suspicieux à Cokra en se repliant. Elle a montré les dents et gloussé quand de jeunes Yu se sont réfugiés derrière leurs mères. Les mâles ont fait signe aux femelles de reculer, puis tiré l’un des jeunes par le bras pour l’approcher des Mædn. Ils le flanquaient, armés de lances.

Le jeune au crâne à demi rasé et aux doigts peints s’est approché des créatures et a dansé. Cokra a éclaté de rire, mais il l’a ignorée. Sa danse a néanmoins affecté les Mædn qui ont sifflé, chatoyé et fait onduler leurs appendices. Ces Yu-là ne parlaient pas yu non plus et, quand le jeune s’est adressé à sa tribu, je n’ai compris que quelques mots isolés.

Ma propre incompréhension me surprenait. Mon instinct me criait qu’il devait s’agir d’un code équivalent aux langues du silence, et je m’irritais que les Yu nous masquent volontairement leurs échanges. Mais j’ai bientôt réalisé qu’ils avaient plus en commun avec les Dai à la voix animale qu’il n’y paraissait : ils parlaient en code non par méfiance, mais parce qu’ils y étaient forcés. Ces Yu ne parlaient pas le yu.

— Il dit qu’il a expliqué aux Mëdh que les Dhaemon sont dangereux, a traduit Haölillyo, mais que les Mëdh n’ont pas compris. Elles demandent ce que sont les Dhaemon.

Le jeune Yu nous avait en effet pointés du doigt, Cokra et moi, avant de gesticuler à nouveau. Les Mædn lui ont répondu de façon similaire. Il a offert sa traduction à sa tribu, aussitôt suivi de celle de Haölillyo.

— Les Mëdh disent qu’elles ne voient pas la différence.

— Elles ont de la merde dans leurs… yeux-trucs, a poétiquement remarqué Cokra.

L’enfant a pointé ses dents, doigts, bras et oreilles. Les Mædn lui ont répondu par des chants, couleurs et mouvements que je commençais à trouver fastidieux d’opacité.

— Elles disent qu’elles feront un effort, a traduit Haölillyo après l’enfant.

Peu auparavant, il m’avait été inimaginable d’être confronté à une langue inconnue, et voilà que l’une d’elles nécessitait trois intermédiaires pour que je la comprenne enfin.

Le jeune s’est adressé à l’Ælv d’un air renfrogné. Haölillyo a répliqué et provoqué une vague de malaise dans la tribu. Il a paru s’expliquer. Un échange méfiant a eu lieu, puis les tempéraments se sont adoucis.

— Il m’a demandé si je comprenais leur langue. Je leur ai dit avoir voyagé avec une tribu qui la parle. J’ai la recommandation du Grand Aïeul, vous comprenez. Je suis donc une personne.

— Bien sûr que t’es une personne, Tête Jaune. Laisse pas les Yu te dire l’inverse.

— C’est un concept tribal. Les étrangers ne sont pas des personnes. Seules les tribus de No et ceux qui connaissent ses noms secrets sont des personnes.

— Hein ? a seulement fait Cokra.
— Ils ont dit quelque chose sur un « sorcier Ēlú », c’est toi ?

Haölillyo a acquiescé.

— J’ai donné la recette d’un antidote au Grand Aïeul, a-t-il dit avec une certaine vanité. Je suis le bienvenu dans la plupart des tribus affiliées. Vous, par contre…

— On a compris, on est rien que de vils « Dàmò ». Quand est-ce qu’ils lancent leurs petits os et nous filent à bouffer ? On est sur les réserves depuis v’là longtemps.

L’Ælv n’a su que répondre, mais a échangé quelques mots avec les Yu dont l’aïeule aux cheveux rasés sur le milieu, longs et nattés sur les côtés, a effectivement lancé une collection de brindilles et d’osselets avant de faire une moue neutre.

— Elle dit que les Pères se taisent, a traduit Haölillyo après qu’elle a eu partagé le résultat de son lancer.

— P’tet parce qu’ils sont clamsés.

— On fait quoi, alors ?

Les Yu ont posé des questions au chercheur avant qu’il ne puisse me répondre.

— Je leur ai dit que je vous faisais confiance. Mais pouvez-vous me promettre de ne pas les blesser ?

— S’ils nous remplissent la panse comme il faut, on va se retenir de leur grignoter les doigts.

— Elle plaisante.

Je crois, ai-je omis.

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