Adieu, adelphes !

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— Je te laisse te charger des détails, mais les Dhaemon doivent avoir quitté la Cité d’ici un cycle de Pirichël.

Tu commençais à regretter ton intervention. Ton idée restait au stade de la théorie, et t’imposer un ultimatum n’était pas du tout le genre d’aide que tu espérais de la part du conseil. D’un autre côté, c’était exactement le genre d’aide auquel tu aurais dû t’attendre. Tu appréhendais la réaction des Yudæln.

— Pff, alors je propose une idée qu’arrange tout le monde et vous vous démerdez pour me compliquer la tâche. J’aurais mieux fait de la fermer.

— Le silence te sied mieux, a convenu Sooyolane. Il était temps que tu le réalises.

Démunie de riposte, tu as seulement plissé les yeux. Chal t’avait pourtant promis de ne plus t’embarrasser de missions diverses, mais tu as évité de le lui rappeler au cas où les Llëmnoa décidaient d’exiler eux-mêmes les Yudæln.

— Tu prends toujours le parti des Ælvn… as-tu regretté.

— Regardez qui parle.

Elle avait gagné en toupet.

— C’était l’occasion de coopérer, c’est tout. Enfin t’es toujours du côté des Llëmnoa de toute façon. Ou alors tu fais juste semblant parce que t’as pas d’autorité ?

Sooyolane, un instant soufflée, s’est autorisé un petit rire.

— Je te prie de… Tu t’aventures en terrain hostile, Caei.

Croyait-elle t’intimider ? Chal avait besoin de protection, comme un nouveau-né. Peu importe la mesure de son animosité, elle ne représentait aucune menace. Tu as poussé un soupir étiolé.

— Ce serait plus crédible venant de Lyoonëi. C’est elle qu’aurait dû devenir Chal. C’est la seule à pouvoir vraiment faire la liaison entre Dai et Ælvn.
— C’est la seule à tolérer ton comportement, plutôt.

— Peut-être parce qu’elle sait ce que je vaux, as-tu dit sans y croire.

Tu as cru lire de la pitié dans son regard.

— Je te vois essayer de rester dans ses bonnes grâces. Mais Lyoonëi n’est pas ta mère.

— Je le sais, as-tu répondu contrariée.

— Lyoonëi n’est pas ta mère, a-t-elle répété.

Tu as imperceptiblement écarquillé les yeux, frappée d’une lente réalisation. Comment avais-tu pu être aussi aveugle ?

— Je sais.

Tu espérais que que Sooyolane n’ait rien perçu de ta surprise.

— Alors si tu as encore le moindre respect pour Lyoonëi, obéis-moi.

Piquée, tu as découvert tes crocs. Chal ou pas, elle n’avait pas à réclamer ta soumission. Tu l’en gratifierais volontiers ou pas du tout.

— Lyoonëi n’aurait pas eu besoin de me le demander.
— Crois-tu toujours connaître Lyoonëi mieux que quiconque ?

— J’ai jamais dit ça, mais si tu veux que je te suive, montre-moi que t’as les épaules pour.

— Jamais, de toute l’histoire de la Cité, n’a-t-on exigé de Chal qu’il fasse ses preuves !

Elle s’énervait. Tu as insisté.

— C’est peut-être le problème.

Elle a inspiré profondément.

— Hors de ma vue, Caei. Maintenant.

— Tu vas faire quoi sinon ?

— Gardes !

Les six gardes qui l’accompagnaient t’ont encerclée.

— Ça va, je rigolais.

Chal leur a fait signe de te laisser une ouverture. Tu as quitté la salle, les mains derrière la tête et le pas nonchalant.

— Pas qu’ils m’auraient posé problème.

— Dehors !

*

— Heum, a fait Nyemëlls qui t’attendait à la sortie du dôme de Chal. Je suis chargé de te surveiller. J’espère que tu es désolée de m’infliger un rapport supplémentaire alors que je croulais déjà sous le travail.

— Même pas. Tu t’ennuierais sans ça.

Il a soupiré, mais t’a emboîté le pas.

— J’ai entendu dire que vous vous êtes disputées, avec ëlla-Chal.

— Je sais pas, elle a dit des mots. Même pas des insultes. Y’a pas d’injures en ælv ou quoi ?

— Oh si, a répondu Nyemëlls que leur seule évocation pétrifiait. Mais pas en bonne société.

— Je croyais que j’étais pas de la bonne société.

Il a penché la tête à la façon d’un véritable Riao.

— Tu n’as pas tort.

Un court silence s’est installé. Tu n’osais pas lui parler de Carunae et de votre lien de sang. Tu n’étais pas encore sûre de ce que tu en pensais, et n’avais aucune idée de sa réaction. Peut-être le savait-il déjà, auquel cas il te mentait par omission, comme tu le faisais présentement. Il n’était pas du clan, donc ta conscience aurait dû rester claire. À moins qu’il n’en fasse réellement partie. La question se posait : des liens du sang ou du cœur, lesquels priment ? Tu voyais Niashæl comme une quasi-Riao et Royan comme un Riao d’adoption. Nyemëlls, as-tu tranché, n’était donc pas du clan. Tu pouvais lui mentir sans scrupules. Lui parler d’autres sujets autrement plus importants. Tu as évoqué la fabrication des fyëw. Il t’avait montré ce mur mystérieux, il était donc enclin à te révéler des choses que la Cité souhaitait garder pour elle.

— En fabriquer ? Personne ne sait le faire.

— Quoi ?! Ils sortent d’où tous vos fyëw, alors ?

— Pas de nous. Nous ne les avons jamais créés, pour autant que je sache. Nous les avons seulement trou…

— … Pourquoi dites-vous cela à une Dhaemon ? est intervenu Ath’thai qui marchait à proximité.

Son ouïe t’a modestement impressionnée, pour un Ælv.

— Elle est à demi Ëlvessei, a justifié Nyemëlls.

— Et cela se voit si peu.

Il t’a regardée en coin.

— Vous êtes Llëmnoa, a-t-il ajouté à l’adresse de Nyemëlls. Montrez-vous à la hauteur de votre titre.

Ton frère a humblement hoché la tête et fixé ses pieds pendant une partie du trajet, penaud.

Les Ælvn ne fabriquaient donc pas les fyëw. Où les trouvaient-ils ? Pourquoi semblaient-ils en posséder une quantité inépuisable, tandis que les clans devaient s’arracher les quelques sphères qui leur étaient parvenues ?

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