Renouvellement
Mirua lavait les os de vos camarades déchus. Vio les triait, Aoka et Keno choisissaient les outils à confectionner, et Lamna, Tisha et Rekmæl s’occupaient de la fabrication à proprement parler. Tu as rejoint le groupe et taillé un tibia, probablement celui de Vivak, calé fermement entre tes pieds.
— Tch, trois d’entre eux ont même pas eu de descendance.
— Sang gâché. Pour de bon. Ça craint comme le malla.
Mirua a seulement grogné. Vio a soupiré.
— Bon, ça suffit. On a perdu trop de monde, faut de la marmaille, là.
Rekmæl a dressé une oreille, plein d’espoir.
— Pas toi, a fait Keno en roulant des yeux.
— Va pas transmettre ta collection de tares foireuses, a ajouté Lamna.
Son regard déconfit s’est égaré sur le spectre de sa descendance dissoute. Celui de Keno s’est posé sur toi.
— Trop de morts, faut des petiots, a-t-elle répété.
— Vous avez pas besoin de ma permission pour ça.
— Je veux dire... Toi aussi, faut que tu fasses des petiots.
Tu t’es immobilisée.
— Non.
Mirua a jeté son tas d’os dans la bassine, éclaboussant le groupe.
— Naræs ! Fais ta part, allez.
— Y’a pas un Riao qui te plaît ?
— Nuk est fort, vous aurez une descendance solide.
— Non, as-tu répété en vain.
— Tu tombes déjà en morceaux, attends pas de clamser pour t’y mettre, quand même.
— Je croyais que le sang ælv c’était de la chiasse, as-tu répondu.
— Nan, mais…
Mirua a paru chercher ses mots, puis tiqué :
— On s’était gourés, d’accord ? On est trop peu nombreux, là, c’est pas le moment de la jouer difficile.
— La fin du clan, a dit Vio en secouant la tête. Par défaut de libido !
— Ce serait des akcin, as-tu fait remarquer.
— On sait.
— Clairement, t’as du bon sang. Le laisse pas se perdre, ce serait con.
— Juste un gamin viable, un seul ! C’est tout !
— Tu vas pas demander à os-mous-gueule-dure de repeupler le clan ? a ajouté Tisha en désignant Rekmæl.
— « Gueule dure » ? as-tu répété. Il a encore attrapé autre chose ?
— Y trouvent j’parle pas bien, a dit Rekmæl en soupirant.
— On t’aime bien, Rekmæl, as-tu dit pour lui remonter le moral. Un jour tout le monde s’arrachera ton sang parce que tu seras immunisé à tout.
— Et le tien…? a insisté Lamna.
— Non.
Tu as repris ton ouvrage. Lamna a tiré la langue pour émettre un bruit de pet qui ne t’a pas fait changer d’avis.
— Elle veut pas parce que des abrutis comme vous ont craché sur son sang, a reproché Tisha.
— T’as fait partie d’z’abrutis, Tisha.
— Ta gueule, Rekmæl.
Ukte, titubante, vous a interpellés pour prévenir de l’arrivée de Boꜵrn et de Tickn venus récupérer les leurs. Tu as couvert ton membre amputé et l’a suivie jusqu’à l’entrée du clan, où une vingtaine de Dai courbés attendaient face à un groupe de Riaon. Vilxas, ton espion, parmi eux.
— Hé, t’a dit un Boꜵr tête baissée.
— Hé.
— Ils veulent récupérer leurs potes, a inutilement expliqué Priac.
Tu as considéré l’air vaincu de vos opposants.
— Vos gars se sont battus comme des champions, a-t-il ajouté. Pas faibles du tout.
Tu as froncé les sourcils. Tu comptais te servir de leur défaite pour reformer l’alliance. En la dédramatisant, Priac risquait de vous faire perdre un avantage.
Une Boꜵr a soufflé bruyamment et levé des yeux lourds.
— Ils sont faibles maintenant.
Priac a haussé les épaules, mais tu as acquiescé.
— Notre Naræs a battu l’Apræncal, s’est vanté Serra.
— On sait, a répondu un Tick comme s’il l’entendait pour la centième fois.
— Et se targuer d’être la meilleure parmi les Ælvn, c’est un peu désespéré, a dit un Boꜵr pour lequel tu as éprouvé une aversion immédiate.
— Pourquoi tu sens le sang, akci ? a demandé une Boꜵr. T’es blessée ?
— C’est mignon de vous soucier de ceux qui vous ont saigné le cul, mais si on parlait vraiment plutôt que d’échanger des « Comment ça va » comme des Ælvn, hein ? D’autant que celui qu’a eu l’idée stupide d’attaquer Riao est toujours en vie.
Après un court murmure, ils ont hoché la tête.
— Va falloir nous convaincre de vous rendre les corps, as-tu ajouté. Vous mériteriez qu’on les laisse pourrir.
Ils ont dressé les oreilles, comme pour s’assurer d’avoir bien entendu, puis échangé des paroles houleuses. L’un d’entre eux a craché au sol.
— Vous avez tué les nôtres, a grondé Vilxas avec un venin inhabituel. Ce serait à nous de vous punir.
Tu as levé un sourcil incrédule. Cet espion-là ne risquait plus de te tenir au courant des mouvements de son clan.
— Vous nous avez attaqués, as-tu rappelé.
— Moi, j’étais pas d’accord avec le Naræs. Ouais ? C’est ma fille là-bas, a pesté une Tick brune en pointant la pile de cadavres. Elle était pas d’accord non plus.
— Riao a déjà montré sa force, pas besoin de nous traîner dans la boue.
— On a merdé, on a compris.
— Vous dites juste ça parce que vous avez perdu, as-tu fait remarquer. Si vous aviez gagné, vous seriez en pâmoison devant vos Naræsn. Et on a eu aucun mérite à vous battre. Vous étiez tellement nuls qu’à deux clans, vous êtes arrivés à rien en perdant cinq fois nos morts.
Ils ont de nouveau baissé la tête, crocs serrés.
— Ouais, ben tu veux quoi ? C’est trop tard, maintenant.
Tu as prétendu réfléchir.
— Je vous rends vos corps à une condition…
— C’est pas comme ça qu’on fait, a coupé un Boꜵr clair.
Tu l’as ignoré.
— À condition que vous reformiez l’alliance avec Riao, pour de vrai cette fois.
Les deux clans ont échangé quelques mots méfiants dans leurs langues du silence.
— Mais Naræs, ont protesté des Riaon, c’est super louche. Ils attendent que ça, ça se trouve. C’est pas de bons alliés.
— Vous allez juste nous attaquer en douce pour vous venger, a opiné un Boꜵr.
— Riao a pas besoin de coup bas pour vous démolir. Vous vous en êtes rendu compte ?
Ils ont grogné. Du coin de l’œil, tu as vu des Riaon sourire.
— Je vais même faire l’effort de vous redonner nos prisonniers.
— Naræs, on va faire quoi d’une alliance avec des farrꜵcn ? s’est indigné Tsera.
— C’est mieux si on garde les esclaves et qu’on les attaque.
— Vous voyez ? as-tu dit avec une assurance forcée. Mon clan préférerait vous re-démolir. Vous en dites quoi, alors : alliés avec nous, ou morts ?
Un Boꜵr a roulé des yeux et laissé échapper un soupir à mi-chemin du grognement.
— Faut qu’on cause aux Naræsn.
— Dépêchez-vous avant que ça pourrisse, as-tu dit en désignant la pile de cadavres.
Certains ont montré les dents, d’autres une inquiétude visible. Ils sont repartis, la queue basse pour ceux qui en étaient pourvus. Tu as vérifié que ton kælm masquait toujours le bras manquant.
— Pilma, as-tu appelé quand ils s’étaient suffisamment éloignés, je veux six vigies non-stop jusqu’à nouvel ordre. Deux au levant, deux au couchant, deux vers Salai.
Si Boꜵr et Tick prenaient la décision stupide d’attaquer, vous seriez prêts.
— On devrait les poutrer avant qu’ils récupèrent, a proposé Escæl.
Tu as refusé. Il vous faudrait des alliés pour accomplir l’Entente.
— Rokian, alors. Ils viennent de marcher sur Yudælla, ils ont bien eu quelques pertes, non ?
— Pas vraiment, as-tu admis.
Mais Rokian était la prochaine étape. Ils connaissaient la nature de Yudælla pour l’avoir attaqué. Peut-être se montreraient-ils judicieux et rejoindraient-ils l’alliance. Tu doutais toutefois de pouvoir compter sur la raison d’un Naræs qui se laissait séduire par les armes à distance.
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