Karezial
— Des ssajianü indifférents valent mieux que des ssajianü meurtriers, s’épanchait un jour Haölillyo auprès des Mædn. Mais les Yuman n’ont plus que des ssajianü morts.
Entre eux, Toca dansait leurs propos.
— Est-ce vrai ? se sont interrogées les Mædn. Ces choses ne vous regardent pas, mais parfois vous remarquent ? Vous ne les intéressez pas, mais parfois elles deviennent l’un d’entre vous ? Vous les indifférez, mais parfois elles vous tuent ?
— Les koxjin sont, simplement, ai-je demandé à Toca d’expliquer. Et dans de rares cas, des koxjin… fous, singuliers ou excentriques, nous rejoignent. Leurs faits sont souvent des actes de mort. Mais il faut la mort pour nourrir la vie.
— Et certains ont plus faim que d’autres, a convenu l’Ælv.
Toca s’est rembruni. Sa danse s’est appesantie.
— C’est cruel.
— C’est pas grave, a dit Cokra. Les morts retournent juste à koxji.
L’enfant s’efforçait de comprendre, le front plissé et les sourcils froncés.
— Il y a, a commencé Haölillyo, ce que l’on pourrait nommer la Vie. Nous l’appelons « Lohm », les Damo « koxjilla » et les Kashi « şhiossèng ossèng ».
— C’est… une sorte d’énergie qui anime le vivant, ai-je précisé.
L’Ælv a acquiescé gravement.
— Une énergie omniprésente, dont chacun fait partie intégrante. Des ssajianü jusqu’au plus petit insecte en passant par Chal. Tous font partie de Lohm, tous dignes de respect.
— Les Kashi l’expliquent ainsi, ai-je ajouté : « Je suis le coude gauche de l’existence, et tu en es le genou droit ».
Toca pointait son coude et son genou en dansant.
— Là où les Elu et Damo bifurquent, a repris Haölillyo, c’est que les Damo ne croient pas devoir se montrer solidaires envers toute la famille du vivant. Pour les Elu, d’ailleurs, le vivant se porterait mieux sans les Damo.
Les Mædn ont gesticulé et bourdonné. Toca les a observées avec attention.
Elles n’étaient alors que la pointe d’un cheveu précaire, nous ont-elles dit. Elles menaçaient de tomber à tout instant, emportées par un vent cinglant. Nous avions le loisir de réfléchir à la charité, sans doute, mais les Mædn, dont les rangs s’éclaircissaient au fil du temps, avaient trop peu d’emprise sur leur propre existence pour se préoccuper de celle des autres.
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