LXXV
Parce qu’il est sympa, Erk a commencé à nous raconter leurs aventures guyanaises. Mais il n’a pas commencé par les garimpeiros. Non, il a commencé par une fusée. La fusée Ariane IX, le dernier fleuron de l’aérospatiale européenne, nettement dominée par la France, qui a la chance d’avoir un département situé quasiment à l’équateur, et bénéficiant ainsi de l’effet de fronde de la rotation de la Terre, ce qui aide grandement au décollage des fusées. Tout ça, c’est très technique, mais disons que ça fait d’Ariane un lanceur super apprécié et efficace. Et efficient, aussi.
Bref, Erk nous raconta qu’en juillet 2114, soit à peine sept mois après leur engagement dans la Légion, les frères Hellason se sont retrouvés en entraînement intensif en Guyane. Il paraît qu’avant que les US ferment leurs frontières, ils venaient chez nous s’entraîner…
- A l’époque, malgré nos classes à Aubagne, notre français était assez approximatif. On le comprenait, on le lisait et on l’écrivait, mais le parler restait encore une gageure. Et pourtant, on s’obligeait à n’utiliser aucune des langues qu’on connaissait.
- Erk, vous connaissiez quelles langues, à cette époque ?
- Islandais, évidemment, anglais, allemand, italien pour Kris, espagnol pour moi et, va savoir pourquoi, quelques mots de polonais.
- Vlad ?
- Non, on n’avait pas encore rencontré Katja et son ombre. Bref, ce jour-là, on traînait aux alentours de Kourou, en mode survie, armés du prédécesseur de l’EMA 7. Une gourde, un couteau, le flingue, c’est à peu près tout ce qu’on avait. On nous avait obligés à partir en solo, ce dont nous n’étions pas ravis, tous les deux, vous pouvez me croire.
On le croyait sans problème.
- Sans le savoir, je m’étais rapproché du Centre Spatial où se déroulait le premier lancement d’Ariane IX.
- Attends, a interrompu Quenotte, Ariane IX, premier lancement, juillet 2114 ?
Erk a confirmé. Quenotte a froncé les sourcils, paraissant réfléchir et comme le géant ouvrait la bouche pour continuer son histoire, le rouquin l’a fait taire d’un geste auquel Erk a obéi avec un sourire.
- Ayé ! Premier lancement pour Mars. Ariane va jusqu’à la Lune, se met en orbite autour, largue son chargement puis rallume ses fusées pour revenir sur terre, se brûlant en partie dans l’atmosphère terrestre et tombant dans l’Atlantique. Ensuite, de la Lune à Mars, ce sont des lanceurs spéciaux, mais ça m’échappe. Dis donc, Erk, tu as presque participé à un événement majeur, dis-moi.
- Presque… ouais, on peut dire ça.
- Erik…
- Y a prescription, Kris.
- Prescription ? Attends…
- Ecoute, Quenotte, et tu sauras.
Mr Wiki s’est donc tu, ses sourcils tellement haussés qu’ils se perdaient dans ses cheveux, et Erk a continué, nous expliquant qu’autour de lui, il y avait beaucoup de monde, y compris du véhicule motorisé.
- Je m’approchais d’un chemin quand j’ai entendu un bruit de chute, un grognement puis un mec, dont l’indicatif était Echo, dire en français qu’il avait perdu son flingue et qu’il continuait avec juste son Glock. Je m’étais accroupi, pour me planquer. Curieux, je me suis à demi-relevé, le mec m’a braqué et m’a dit de mettre les mains sur la tête. Vous vous doutez bien qu’il n’en était pas question. Alors je me suis levé complètement, mon arme tenue à une main et pointée sur le sol et j’ai vu ses yeux monter et monter pour suivre les miens… C’était marrant de voir ses yeux s’écarquiller au fur et à mesure.
Kris a ricané dans sa barbe, Erk a haussé les épaules.
- Dites-vous qu’à l’époque, je n’avais achevé ma croissance, et que je dépassais à peine les deux mètres.
- T’avais quel âge, Erk, pour que, à deux mètres de haut, t’aies toujours pas fini ta croissance ? a demandé Tito.
- Dix-huit ans, a répondu Kris. Un bébé, quoi.
- Un beau bébé, alors, a fait Baby Jane en levant un sourcil appréciateur.
- Bref, a repris Erk en s’éclaircissant la gorge, je me redresse, le type me demande ce que je fous là, à quelle unité j’appartiens. Tout ça, je l’ai très bien compris. Mais répondre, c’était compliqué. J’ai opté pour un truc court. J’ai dit : « Moi Légionnaire. Toi qui ? » J’avais un doute sur son unité, vu qu’il était fringué comme moi, avec un Glock, sans écusson. Bref, il aurait pu faire partie de presque n’importe quelle armée. C’est son accent et son langage qui m’ont fait penser que c’était un soldat français. Il me l’a confirmé en me demandant de le laisser passer. Mais j’étais quand même méfiant. J’veux dire, un tiers du globe parle français…
- Tant que ça ? a demandé Kitty.
- Eh oui, on a du mal à y croire, et pourtant, a répondu Quenotte.
- Bref. Le gars me fait comprendre avec des gestes que je dois le suivre. Au point où j’en étais, c’était plus simple, de toute façon. Je sentais bien que j’avais foutu le pied dans un beau merdier, mais ne sachant de quel côté je me trouvais, je me suis dit que je pourrais l’aider si c’était un « gentil » ou contrecarrer ses projets si c’était un « méchant ». Donc, je le suis. Donc, on cavale, descendant une vague colline, et on arrive près d’un chemin de terre. Un autre, en contrebas de celui sur lequel le soldat m’avait rencontré.
Il a bu une gorgée de sa tisane qui refroidissait lentement. Aucun d’entre nous n’osait plus l’interrompre.
- Il se met à observer le sol, je fais pareil et je vois juste de vieilles traces de pneus. Je commence à me dire que je suis du mauvais côté du manche quand il m’attrape par le treillis et me fait comprendre, en mélangeant le français et les gestes, qu’on allait devoir arrêter un véhicule et peut-être tuer. Je hausse les épaules et je me planque là où il me dit de me placer, en face de lui.
Kris, toujours appuyé contre son frère, ne disait rien et semblait somnoler. Tito fixait Erk, JD, Quenotte et Kitty écoutaient religieusement, Baby Jane se brossait les cheveux en écoutant et Yaka, sans doute « branchée » sur JD, semblait tout aussi attentive que les autres.
- Au bout de quelques minutes, on entend un bruit de moteur et on voit arriver un 4x4 blanc boueux. Il me fait un signe et gicle sur le chemin, son pitoyable Glock pointé sur la tire. Je dis pitoyable parce que tout ce qu’il pouvait espérer, c’était faire sauter de la peinture, avec son petit machin. Et d’ailleurs, quand la voiture a accéléré et lui a foncé dessus, il a sauté sur le côté et tiré sur le conducteur à travers la fenêtre de la portière. Un joli coup, il a tué le mec sur le coup. J’avais failli tirer, moi aussi, mais en se mettant hors de portée de la caisse, il s’était mis dans ma ligne de mire, donc… Bref.
On a entendu un petit ronflement, ou plutôt une respiration un peu forte, et Erk, surpris, a baissé le regard sur son frère, qui s’était endormi. De sa main libre, il a pris une couverture, l’a posée pliée sur ses genoux et a levé le bras bloqué par Kris. Kris a glissé jusqu’à poser sa tête sur les genoux du géant. Il a marmonné, s’installant plus confortablement, et Erk a eu un petit sourire attendri. Voyant nos regards à nous, il s’est gratté la gorge, rougissant un peu, et a repris :
- On a couru jusqu'au véhicule, il m’a fait signe de fouiller le coffre. Il aurait pu me parler, mais j’étais incapable de lui expliquer que je comprenais le français, mais que je n’arrivais pas encore à le parler. Bon, le coffre était vide, j’étais en train de lui faire comprendre ça quand il a reçu un message d’un certain Sierra qui disait qu’un véhicule fonçait vers la clôture. J’ai vite saisi qu’il fallait l’empêcher de l’atteindre et je me suis mis au volant quand j’ai entendu le juron de l’autre. J’ai relancé le moteur et il a tout de suite compris, se jetant sur le fauteuil passager comme je démarrais. Pied au plancher, les deux mains sur le volant, pilotant le tout-terrain à l’assiette sur un chemin de terre battue bourré d’ornières et de nids de poule, j’ai foncé tout droit, suivant les instructions du gars qui annonçait à la radio qu’il arrivait avec moi, dans un véhicule ennemi et merci de ne pas nous flinguer.
Il s’est passé une main sur le visage.
- C’était épique… Puis on a entendu que le méchant venait de traverser la clôture, et j’ai entendu leur chef annoncer un lancement dans moins de trois minutes. Un lancement qui ne pouvait être reporté et une attaque ennemie qui devait rester confidentielle. J’étais bien du côté des gentils, mais les choses avaient une sale gueule. Le p’tit biffin à mes côtés continuait à jacter avec ses potes, je continuais à rouler comme un malade et on a vu le 4x4 devant nous. Et ce petit con qui se défenestre à moitié pour essayer de tirer dessus. On était maintenant sur du macadam, un peu plus billard que le chemin de terre, alors je coince le volant avec mes genoux, j’arme mon EMA, je reprends le volant d’une main et d’un genou, bloquant mon flingue contre le volant, et je chope une des sangles qui pendouillent de son gilet pare-balles. Comme ça, les cahots ne le tueraient pas, ils laisseraient ce soin aux mecs devant nous.
Il s’est frotté le visage.
- Je vous jure, les gars, malgré tout, je n’en menais pas large. J’avais dix-huit ans, et me voilà mêlé à une affaire d’espionnage ou de sabotage, concernant Ariane. Puis : « lancement moins une minute ». Devant moi, je voyais des volutes de fumée qui entouraient la fusée et mon voisin dit : « on peut faire beaucoup de choses en une minute ». Alors j’ai décidé de tout donner. Je savais ce qu’il voulait faire et j’ai encore plus appuyé sur l’accélérateur, réussissant encore à faire accélérer le tout-terrain. Sans blague, j’étais aussi surpris que lui, mais je me suis accroché à mon volant, lâchant sa sangle, et je me suis mis à hauteur de la roue arrière, dans leur angle mort. Mais y avait un type à l’arrière qui s’est retourné et a tiré vers nous.
Il s’est arrêté, a bu une gorgée de tisane froide.
- J’ai fait une embardée, vite corrigée, un pur réflexe, qui nous a sauvé la vie. La première balle a ripé sur le casque du biffin, l’autre, traversant le pare-brise et y laissant un trou, s’est fichée dans mon fauteuil, à un demi-centimètre de mes côtes. Ça m’a pétrifié. C’était la première fois qu’on me tirait dessus. Quand l’autre devant a cherché à me couper la route, ça m’a « réveillé », et j’ai réagi au quart de tour, le suivant, roue dans la roue. Mon passager s’est extirpé de notre tout-terrain et est monté sur le toit. Je ne sais pas comment il n’est pas tombé, avec les écarts que je devais faire pour éviter l’autre salopard devant.
Il a secoué la tête, apparemment toujours aussi étonné de la chance de notre compatriote, même après sept ans.
- Evidemment les mecs devant n’allaient pas se laisser faire, donc je me fais braquer une deuxième fois. J’étais terrorisé, j’avais laissé mon flingue glisser au sol, les deux mains sur le volant, jointures blanches, pour réussir à suivre les embardés de l’autre connard, et j’étais désarmé face à sa Kalach. Et le p’tit biffin qui rate ses deux premiers tirs… J’ai dû suer trois ou quatre litres tellement je flippais.
Il a fini sa tisane. J’ai eu l’impression qu’il revivait son aventure, parce que j’ai vu un peu de transpiration sur son front.
- Le 4x4 de devant fait une embardée et le p’tit biffin se jette dans le plateau, se coinçant entre la ridelle et le merdier qu’il y avait là. Je le vois faire des gestes brusques et je reçois dans le pare-brise son chargeur vide de Glock. J’ai juré comme un charretier et j’ai levé le pied. Le chargeur avait frappé une fissure près du point d’impact et avait étoilé le pare-brise. Je cogne dans le truc pour le dégager et pouvoir y voir quelque chose. Ah, ça, j’ai bien vu ! J’ai vu la flamme des propulseurs, des nuages de gaz brûlant et le 4x4 qui emportait mon p’tit biffin en plein dedans. J’ai entendu des coups de feu, un crissement de freins, puis plus rien.
Et là, il s’est tu. Mais il a été puni, car il a voulu finir sa tisane, oubliant que c’était déjà fait. Sur ses genoux, Kris dormait toujours, alors on s’est mis à râler en sourdine. Il a souri et a continué.
- Je n’entendais plus rien parce que Ariane commençait son vol dans un grondement infernal, qui est devenu tellement bas que je ne l’entendais plus, mais qui faisait vibrer mon diaphragme et m’a donné envie de gerber. Bon, j’ai foncé dans le nuage, vers les bruits. J’y suis allé à pied, avec mon EMA prêt à tirer, au cas où le p’tit biffin y serait resté. J’avais mouillé mon shemagh avec l’eau de ma gourde, me l'étais mis autour de la bouche avant d’entrer dans le nuage. J’ai trouvé le 4x4 par un vrai coup de bol, me suis cogné dedans, j’ai tâtonné, trouvé la ridelle du plateau, chopé un devant de treillis et j’ai soulevé le gars, l’ai jeté en travers de mes épaules et je suis reparti dans l’autre sens.
Il a fait une pause, semblant organiser ses pensées.
- Il faisait tellement chaud que mon teeshirt me collait à la peau, j’ai encore dû suer quelques litres. Mais j’ai découvert deux ou trois trucs bien emmerdants. Le premier, c’est que le nuage n’avait pas de fin. Le deuxième, c’était que le p’tit biffin avait pris une balle dans l’épaule et que ce qui trempait mon teeshirt, c’était son sang, qui attirerait toutes les sales bêtes une fois le nuage brûlant dispersé par le vent. La troisième, c’est en cognant un corps plus petit que le mien, mais tout aussi musclé, que j’ai réalisé que je n’y voyais rien. J’ai senti des mains qui voulaient me débarrasser de mon fardeau, de mon flingue, et je me suis accroché aux deux de toutes mes forces. J’ai demandé : « Qui ? », on m’a répondu : « Armée Française. 3ème RSMA. » Ça, je connaissais. On m’a demandé qui j’étais, j’ai répondu que j’étais légionnaire. Y en a un qui a appelé quelqu’un d’autre à la radio, sans doute pour vérifier. Y a un type qui m’a dit qu’il était médecin, il m’a dit qu’il s’occuperait de mon camarade… Puis il m’a conduit vers un endroit où m’asseoir, pour regarder mes yeux. J’ai accepté de me laisser désarmer.
Il a fait un sourire un peu tordu.
- J’étais plutôt paniqué. Aveugle à mon âge… Putain, le choc. Le toubib a été rassurant, il a appliqué un collyre, m’a bandé les yeux pour les protéger, puis j’ai senti une piqûre. J’ai demandé ce que c’était, il m’a dit morphine, mais j’avais déjà compris. J’ai vomi, parce que la morphine des labos ne me réussit pas du tout. Je ne suis pas sûr d’avoir évité ses rangeos. Après, j’ai eu un moment de flou et j’ai repris mes esprits dans un endroit moins chaud et moins humide que dehors, assis sur une chaise bien dure. Je me suis un peu agité, alors un type dont j’ai reconnu la voix a parlé, c’était leur chef, celui dont le nom de code était Papa. Il me demandait qui j’étais, ce que je faisais là et je comprenais tout, mais j’étais bien emmerdé. J’ai réussi à lui faire comprendre que je comprenais le français, mais que je le parlais mal. Quand il m’a demandé ma langue maternelle, et que j’ai répondu islandais, il a sifflé longuement, puis m’a demandé ce que je foutais là. « Légion Etrangère », j’ai répondu. Je commençais à en avoir ras la casquette.
Kris s’est agité, répondant sans doute à l’agitation de son oreiller, alors Erk s’est interrompu un moment, lui caressant les cheveux, et le Lieutenant s’est rendormi.
- Je suis content qu’il arrive à dormir un peu. Ces dernières nuits, ça a été difficile.
- Ah ? j’ai demandé. Des cauchemars ?
- Oui, il refaisait le même rêve que celui qui l’a alerté pour l’attaque de nuit. Dans ce rê… cauchemar, j’étais mort, et il avait beau tuer des assaillants, il en arrivait toujours plus et j’étais toujours mort, quoi qu’il fasse. Il refusait de se rendormir, même quand je l’ai pris dans mes bras. Je pense que le fait de quitter la base a dû lui faire du bien, lui permettre de se détendre…
- Il cachait bien son jeu, a dit Baby Jane, on ne s'est rendu compte de rien.
- C’est une de ses plus grandes forces et une de ses plus grandes faiblesses, a dit Erk.
- Je n’en suis pas certain, j’ai dit. Pour moi, sa plus grande faiblesse, Erk, c’est toi.
Le Viking a eu l’air surpris, mais nous avons tous souri. Oui, seuls Tito et moi avions connaissance de la nature réelle de l’amour de Kris pour son frère adoptif, mais il aurait fallu que mes camarades soient aveugles pour ne pas voir que les deux frères s’aimaient très fort.
Il a baissé le regard vers l’homme qui dormait sur ses genoux, a souri.
- Où en étais-je?
- Ras la casquette, a dit Kitty.
- Ah oui, merci. Donc, le fameux Papa m’interroge, en anglais, je répète mon nom, mon grade, mon matricule, mon unité… et je demande à ce qu’on les prévienne. Et le gars me dit “Non, on est en black-out tant qu’on n’a pas tous les saboteurs”. Je n’étais pas ravi. Alors je demande des nouvelles du p’tit biffin. J’apprends qu’il s’appelle Charles, que la balle a traversé son épaule et qu’il est sous morphine, mais qu’il va bien sinon, et qu’il répète qu’il n’y serait pas arrivé sans moi. Ce que je trouve sympa de sa part. Je dis que j’ai le Don de Guérison, que j’aimerais le Soigner. Papa m’accompagne à l’infirmerie et m’aide à toucher Charles. Bon, je me suis rendu compte que Soigner sans voir, c’était un peu difficile mais faisable.
Il a essayé encore une fois de boire sa tisane et s’est rendu compte, encore une fois, que son quart était vide.
- On m’a proposé un lit à l’infirmerie, j’ai tenu deux heures. Je me suis levé, j’ai voulu partir. A peine têtu. Parce qu’évidemment, ils m’ont récupéré et cette fois-ci enfermé dans une chambre. Et quand “Papa” est venu m’engueuler, j’étais tellement en pétard que j’ai répondu, j’ai gueulé, en anglais, le traitant d’ingrat, de salopard, et tout et tout… Il m’a dit plus tard que c’est parce que j’avais aidé Charles à arrêter les saboteurs que ces insultes ne me vaudraient aucune punition de sa part. Mais ma colère a eu un prix. J’ai eu tellement mal à la tête, aux yeux, que je me suis écroulé et j’ai eu droit à une deuxième piqûre de morphine. Sans effet secondaire, alors je me suis dit que je n’y étais peut-être pas vraiment allergique… Grossière erreur.
Il a rougi, on s’est demandé pourquoi.
- Ils m’ont gardé jusqu’à ce que ma vision revienne. Bon, vu que je suis devant vous, vous vous en doutiez, mais je vous promets que je n’en menais pas large. J’avais respiré les gaz brûlants, je m’étais un peu cramé les poumons, plus mes yeux… J’avais mal, soit à la tête, soit derrière mes yeux, soit… Bref, j’ai eu droit à encore plus de morphine. Et, à la cinquième injection, j’ai découvert que, oui, j’étais vraiment allergique.
Et là encore, il a rougi. Tellement fort qu’on a vu cette fine cicatrice sur sa joue gauche.
- Comment tu as découvert ça, Erk? a demandé Baby Jane.
Il a baissé le regard sur son frère, mais j’ai eu l’impression qu’il ne le regardait pas vraiment. Il a mis un moment à répondre, et il l’a fait tellement bas qu’on a failli ne rien entendre.
- Normalement, la morphine, ça détend. Chez moi, ça me… mets en forme.
Et il est devenu carrément pivoine, tout son visage, ses oreilles, son cou, sa nuque et je suis prêt à parier que ça descendait sur ses pectoraux. Et j’ai vu, chez tout le monde sauf Kitty, des sourires amusés, tendant vers l’égrillard. On avait compris et je pense que, si Kitty n’avait pas été là, Erk aurait été plus explicite. Mais je dois avouer que c’était une drôle de réaction à la morphine, quand même.
On l’a laissé mariner un peu, puis JD a bâillé, et ce fut comme un signal. Je me suis proposé pour la première garde, Tito prendrait ma suite, puis Baby Jane, Kitty et Erk. On laisserait les plus touchés par l’attaque de nuit se reposer pour cette fois-ci.
Erk s’est dépêtré de son frangin, au grand dam de celui-ci qui a ouvert un œil le temps que le Viking l’aide à s’enrouler dans sa couverture et à s’allonger comme il faut.
Je suis sorti pour ma garde, laissant mes camarades s’installer pour la nuit.
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