Georges (partie 1/4)

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Le 18/02/2023

Un petit papy attend patiemment assis sur une murette avec quelques sacs de courses encore vides à ses côtés. Je le croise alors que je suis en voiture dans le virage de Maubourguet en face de la pizzeria. Cet homme m’interroge. Que fait-il là ? Il semble attendre quelqu’un, il épie les voitures d’un air interrogateur. Je finis par me dire qu’il patiente après une aide à domicile ou quelqu’un devant le mener aux courses et certainement l’y assister. Et si quelqu’un d’autre que prévu s’arrêtait là et l’interpelait ? Et s’il décidait de grimper à bord avec cet inconnu ? Voici ce qui pourrait arriver…

 Georges… En voilà un prénom bien sympathique pour un homme à l’air aussi taciturne. Il était assis-là, sur cette petite murette, le regard dans le vide, ignorant les personnes qui passaient autour de lui. Les voitures semblaient être le seul sujet de son intérêt. Oui, Georges attendait son auxiliaire de vie qui l’amènerait faire ses courses. C’était comme ça depuis sept ans à la suite du décès de Lucette, son aimée, deux après-midis par semaine, soit en tout et pour tout sept cent quarante fois. Il avait compté, n’ayant rien de mieux à faire lorsqu’il se retrouvait seul chez lui devant son journal. À quatre-vingt huit ans, il n’attendait plus que l’instant fatidique où il pourrait rejoindre sa chère et tendre. Il pensait à elle tous les jours, en voulant un peu au bonheur qu’ils avaient eu puisque sa vie en était devenue d’autant plus amère depuis qu’il était seul. Cela faisait bien longtemps que ses enfants ne venaient plus le voir, comme si devenir vieux vous rendait pestiféré. Cependant, il ne pouvait pas leur en vouloir, lui qui de toujours leur avait souhaité d’être libres et de voler de leurs propres ailes.

Alors, Georges regardait la route…

Cette foutue auxiliaire avait constamment du retard. Cela l’agaçait, lui qui était toujours en avance, mais il ne pouvait rien dire. Mme Bouskudeup avait tendance à tirer le museau à la moindre contrariété et à écourter le moment des courses lorsqu’on avait le malheur de la mettre en colère. Georges avait l’impression d’être redevenu l’écolier devant l’enseignant avec elle, toujours attentif à ne pas faire quelque chose de travers pour ne pas voir l’œil désapprobateur de la seule personne qu’il côtoyait dans la semaine. Bien qu’il ne l’appréciât pas spécialement – l’appelant en secret « Mme Bouche cul de poule » – Georges s’en contentait. C’était mieux que rien.

 Plus de quinze minutes s’étaient écoulées en cette belle après-midi ensoleillée et Georges attendait… Encore… Il en était à somnoler, sa tête dodelinant d’avant en arrière, lorsque quelque chose attira son attention. Une voiture venait de se garer à moins d’un mètre de lui, sur les zébras blancs, chose tout à fait interdite. Cela agaça notre vieil ami, d’autant que ce véhicule l’empêchait de voir l’arrivée de Mme Bouskudeup – ce qui serait une bonne excuse pour elle de faire comme si elle ne l’avait pas vu pour perdre encore davantage de temps à travailler. Plissant les yeux pour mieux voir à contrejour, Georges eut davantage matière à s’énerver. Le propriétaire de la Clio 2 bleue le regardait, un sourire narquois aux lèvres. Si le retraité avait eu dix bonnes années de moins, il lui aurait donné une bonne leçon mais là, il se sentait misérable avec sa canne. Cependant, il n’escomptait pas non plus se démonter. D’un air renfrogné, Georges se leva, prêt à en découdre verbalement – il lui ferait passer son vilain sourire à ce petit jeune !

 Avant qu’il n’atteigne la portière, cette dernière s’ouvrit, dévoilant l’intérieur de l’automobile qui n’était ni trop sale, ni trop propre. Georges ne comprenait pas. Un peu calmé dans ses ardeurs, il se baissa et demandant au conducteur qui devait avoir une trentaine d’années :

 — Je peux vous aider ? Vous ne pouvez pas vous garer là…

 L’homme continuait de regarder le vieillard. Un silence pesant passa avant qu’il ne réponde :

 — Alors, tu montes ? C’est ta dernière chance Georges.

 Stupéfait, le vieillard sursauta. Il ne reconnaissait pas cette personne.

 — Qu… Quoi ? Mais, je ne vous permets…

 — Allez Georges ! le coupa l’automobiliste. Tu comptes passer une énième journée à ruminer sur cette fin de vie pourrie qui t’attend ? L’inattendu, voilà ce que je te propose. Monte !

 Abasourdi, Georges regardait son interlocuteur, il en était presque au point de se pincer avec force pour être certain qu’il ne rêvait pas cette situation tout à fait ubuesque.

 — Qui êtes-v…

 — Je ferme à trois Georges et ta chance sera passée. Soit tu montes, soit tu retournes dans ta monotonie taciturne.

 — Mais…

 — Un…

 Il ne pouvait décidément suivre un inconnu…

 — Deux…

 Il fallait être fou pour faire cela…

 — Tr…

 Sans qu’il ne sache pourquoi, Georges s’était retrouvé assis sur ce siège qui n’était pas vraiment confortable. Ne croyant toujours pas à ce qui venait de se produire et à ce qu’il faisait, il regardait cet homme étrange. Quelles étaient ses réelles intentions ? De quelle « chance » parlait-il ? Comment connaissait-il son prénom ?

 — Très bon choix Georges. Ferme la portière, tu ne le regretteras pas.

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