Chapitre 9

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Le week-end au Complexe Decameron était comme Catherine l’espérait. Son mari, Professeur Sauveur, a joué son rôle de père de famille à la perfection. Elle était ravie et on pouvait voir ce bonheur rayonner sur son visage. Pendant ces deux jours, les jumelles ont été le centre d’attention du professeur. Et considérant les diverses responsabilités du Professeur, elle était même étonnée de remarquer qu’il était que très peu au téléphone. Il passait de longues heures à jouer dans la piscine avec les filles ou à faire des brassées avec elle. La mer était une vraie merveille. Catherine n’avait pas souvenir de la dernière fois qu’ils ont eu autant de bon temps, tous les quatre. Elle était sur un petit nuage et se refusait aux pensées noires qui voulaient l’envahir. Mais quelque chose a bien dû se passer pour que soudainement le professeur décide de refaire les nœuds de cette famille.

De retour à Port-au-Prince, le professeur Sauveur s’était enfermé dans son bureau pour près de six heures. Il n’était ressorti que pour souper. Il avait profité de ces longues heures pour corriger ou du moins coller des notes sans prêter la moindre attention sur quelques copies de ces étudiants. Pour une fois, il était plus ou moins clément dans ses notes. Sauf avec Gabie à qui il avait octroyé une note de quatre-vingt, tous les autres étaient entre la note de passage et 65 sur 100. Que pouvaient-ils espérer de mieux ? S’il avait pris le temps de lire avec rigueur comme il le faisait d’habitude, certains n’auront même pas eu quarante. Sa réputation de « dur » ne va pas en souffrir mais il se promet de remettre sa barre pour la session à venir.

Une fois ce travail terminé, il se permit une pause pendant laquelle, il vérifia, désintéressé, les messages laissés sur son portable. Ils étaient, pour la plupart, de quelques connaissances l’invitant à des réunions politiques. Il y a trois mois, lors d’une soirée mondaine, il a laissé entendre qu’il compte se présenter au Sénat pour les prochaines élections. Depuis, il se faisait invité au moindre regroupement politique. Son plus vieil ami, Gérard Papillon y était pour quelque chose. Il clamait partout que le peuple était en confiance avec Sauveur et que les universitaires qui le connaissent témoignent tellement de son sens de l’engagement qu’il a droit à une campagne électorale précoce et sans frais. Tous les partis se mettent donc à se disputer la belle tête qu’il était. Du coup, il a reçu plein de promesses de soutien et n’attendait que le lancement des inscriptions du Conseil Électoral Provisoire pour mettre la machine en marche.

Avant de déposer son téléphone, il vérifie si Gabie ne lui avait rien laissé. Il constate malheureusement qu’il n’y avait aucun message de l’étudiante. Lui non plus n’avait pas donné signe de vie. Peut-être que Gabie jouait à la rebelle. Il ne lui avait pas vu lors du dernier cours. Ce n’était pas dans son habitude. Elle s’est toujours présentée comme une étudiante appliquée. L’intelligence et la curiosité intellectuelle de la jeune fille ont été parmi les caractéristiques qui l’avaient attiré. Après un moment d’hésitation, il décide d’envoyer un message WhatsApp à Gabie. « M pa tande w » tapa-t-il rapidement sur l’écran de son portable. Il hésita quelques secondes puis pressa le bouton « envoyer ».

Le souper s’est passé sans histoire. Les jumelles se sont retirées dans leurs chambres tout de suite après. Le weekend palpitant qu’elles venaient de vivre leur réclame un long moment de repos si elles veulent être à point pour l’école le lendemain. Catherine ne tarda pas à monter, elle aussi. Son mari fit de même.

- Dis, Sauveur, tu as vu le dernier bulletin de Victoria? Demanda Catherine en défaisant sa coiffure.

- Oui, chérie. Je voulais justement qu’on en parle.

- Je pense que notre Victoria a un problème. Toutes ses notes ont considérablement baissé. C’est la première fois que cela lui arrive. Je m’inquiète un peu. Si elle continue avec de telles notes, elle risque de ne pas passer en classe supérieure.

- Mais non, ne t’en fais pas. J’ai de grandes influences sur le directeur. Au pire, j’aurai à financer l’un de ses projets et le tour sera joué. Pas question de redoubler de classe. Tu imagines le traumatisme que ça lui ferait de voir sa jumelle la devancer?

- Tu as raison. Mais je voudrais quand même parler à sa maitresse. Je l’ai observée durant tout le week-end; elle est tellement renfermée et distraite…

- Elle a toujours été la plus calme des deux, Catherine.

- Ceci ne m’empêche pas de me faire du souci.

Le professeur poussa un soupir et pris place sous les draps. Catherine l’imita, se cala contre son dos et laissa sa main parcourir son torse.

- Merci pour ce weekend, mon amour. Nous en avions besoin.

- Je sais. Je t’avais promis que je ferais des efforts. Ma famille est tout ce qui m’importe.

- Tu n’es même pas resté pendu à ton téléphone. J’ai été impressionnée! J’espère vraiment qu’on n’en arrêtera pas là. Et j’avoue qu’au début, j’ai eu des doutes.

- Des doutes?

- Je me suis attendu à un appel d’urgence qui te ferait tout annuler, ou une dispute entre nous qui aurait tout gâché, ou un accroc dans les préparatifs…

- Arrête, Catherine. Tu as toujours su t’imaginer des histoires impossibles. C’est sûrement pour ça que tu as cru que je te trompais.

- Pardon, mon chéri. Tu as raison. Ça a dû te blesser…

- Et comment?

- Je suis vraiment désolée.

Elle l’enlaça plus fortement et l’embrassa. Le professeur avait un visage grave qui incitait Catherine à se donner un peu plus en vue de se faire pardonner. Ils savaient qu’ils étaient trop épuisés pour le sexe mais ils passèrent la nuit entrelacés, à se faire l’amour.

Catherine fut la première à s’endormir. Dans la pénombre, le professeur Sauveur repensa au sens de ce weekend qu’il venait de passer. Il avait marqué un beau point. Non. Plutôt deux qu’un. D’une part, il avait regagné la confiance de sa femme; ce qui lui laisse une ouverture sur les jambes de son étudiante. Et d’autre part, puisque l’affaire de divorce qui menaçait n’est plus de mise, il se sentait mieux mis sur la selle pour les prochaines élections.

De toute façon, même sans les élections, il ne souhaiterait pas divorcer. Il avait pris goût au corps de Gabie mais c’aurait pu être n’importe qui. C’était à une période où son corps réclamait une nouvelle expérience, il n’y a pas lieu d’en faire une affaire personnelle. Gabie a certes été à la hauteur de ses attentes mais elle ne pèse pas assez lourd sur la balance. Il ne peut mettre Catherine face à une étudiante de province dont l’État finance les études et qui malgré tout a besoin de sa contribution pour joindre les deux bouts. Gabie est à une place de sa vie qui ne peut – ni ne doit – interférer avec ses plans. Et ceci restera comme tel. Si la jeune femme ne la comprend pas, tant pis. Il se trouvera quelqu’un d’autre pour assoupir les besoins de ses sens.

Le tableau serait presque parfait si l’ombre de ce Jocker ne planait pas sur lui.

- Tu ne vas jamais imaginer ce que m’est arrivé aujourd’hui! lance Camelle avec un mélange de colère et de tristesse en déposant son sac sur sa couchette tout près de Gabie.

- Raconte-moi, répond Gabie qui se redresse pour faire face à son amie qui vient à peine de rentrer.

- Franchement ces gens-là ne sont pas différents des bandits de grand chemin. Il ne leur manque que les armes. Tu as des crédits sur ton portable ? demande Camelle.

- Oui. Attends, j’enlève mon code.

- Merci. Compose le numéro de ma mère, je te prie; le temps que je me change.

Elles avaient au moins un numéro de contact d’urgence les unes des autres. Gabie chercha le numéro de la mère de Camelle et effectua l’appel. Elle mit le haut-parleur tandis que son ami se débarrassait des vêtements. À l’autre bout du fil, personne ne répondait. Gabie raccrocha et recomposa le numéro. Toujours pas de réponse.

- On est quel jour? Demanda alors Camelle.

- Mardi.

- Foutre! Ma mère a sa réunion de prière chaque mardi. Et la connaissant, c’aurait été le président de la République qui l’appellerait pour lui garantir un poste de Ministre, elle ne répondrait pas.

- Est-ce que tu vas te décider à me dire ce qui se passe, Camelle? Tu m’inquiètes.

- Je suis dans la merde, Gabe. Jusqu’au cou! Je me penche encore un peu et j’en prendrai en plein dans la face. Où est-ce que je vais pouvoir trouver une si grande somme d’argent en si peu de temps? Que vais-je faire?

- Et si tu commençais par me raconter ce qui t’arrive? Parce que là, je dois t’avouer que je ne comprends rien du tout.

- Voilà. Tu sais bien que ma promotion a sa cérémonie de graduation cette année?

- Oui, je sais. Et tu ne voulais pas y participer.

- J’avais décidé de ne pas y aller parce que, franchement, je ne voyais pas ou j’allais trouver les vingt-cinq mille gourdes pour une simple cérémonie de graduation en plus de toutes les dépenses qui sont liées pour acheter une robe, de nouveaux souliers etc. Je ne voulais pas infliger cette énième dépense à ma pauvre mère.

- Et tu avais raison. Mais où est le problème maintenant ?

- Eh bien, je viens d’apprendre aujourd’hui que même si on ne participe pas à la cérémonie, on doit forcément verser les vingt-cinq mille gourdes. Sinon, ils ne livrent pas les diplômes. Gabie, je ne vois vraiment pas de porte de sortie. Et je sais d’avance que je ne peux compter sur ma mère. Où est-ce que je vais bien pouvoir trouver cet argent?

Gabie voulait la réconforter mais ne trouva rien à dire. Camille n’a pas besoin de beaux mots mais d’argent. Gabie était à la fois choquée et bouillante de rage. Elle se sentait impuissante. Elle s’approcha de son amie, la prend dans ses bras pendant que cette dernière laissait libre cours à ses larmes.

La situation économique de Camelle n’était trop pas différente de Gabie. Elle n’avait que sa mère. Certes, son père n’avait pas fui la maison comme pour Gabie mais il ne valait pas grand-chose. Il était là mais comme tout objet dans la maison. Depuis son tendre enfance, tout reposait sur sa mère. Pourtant son père avait fait de brillantes études en anthropologie à la Faculté d’Ethnologie. Mais ce genre d’étude ne garantit pas un emploi évident dans un pays comme Haïti. Il n’a jamais réussi à trouver un bon travail qui pourrait l’aider à subvenir aux besoins de sa famille. Il a fini par sombrer dans la dépression et l’indifférence.

Il s’est marié jeune et n’a pas tardé à avoir d’enfants. À cause de cette responsabilité, il avait abandonné l’idée de tenter sa chance pour une maitrise et continuer ses études ailleurs. Avec les années, il avait donné quelques cours dans des écoles publiques. Déjà que ceci n’était pas suffisant pour joindre les deux bouts, des dérèglements au sein du Ministère de l’éducation et celui des Finances ont fini par avoir raison de ses efforts. Les chèques ne venaient plus. Quand il a entamé des démarches pour régler le problème, on lui informa que sa nomination n’était pas effective, et que par conséquent, il n’est plus considéré comme un fonctionnaire de l’État. Il a relancé le processus, a déposé son dossier, et a continué à donner ses cours en attendant la nomination. Les années passèrent, aucune progression sur son dossier. Il ne voulait pas risquer d’arrêter de travailler et de leur donner une bonne raison de refuser sa nomination. C’est donc sans rémunération qu’il a bossé pendant longtemps avant de se résigner à lâcher l’affaire. Cette expérience l’a anéanti. Il a fini par se renfermer sur lui-même. Camelle avait du mal à reconnaitre l’homme qu’elle admirait étant petite. Rien ne lui importait. Il était devenu, pendant un moment, violent et arrogant, avec elle et sa mère comme pour prouver qu’il était encore le chef de la famille. Mais heureusement sa mère a su prendre les choses en main pour offrir une bonne éducation à sa fille. Elle s’est débrouillée tant bien que mal en travaillant comme cuisinière chez une grande dame. Rompue au travail, la mère de Camelle fait plus que son âge. D’autant plus que des douleurs au genou et à la ceinture la fatiguent de temps en temps. Après les études classiques, Camelle voulait rester au Cap-Haitien pour soulager sa mère parce qu’elle savait qu’étudier à la Capitale devrait coûter une somme d’argent hors de leurs portées mais sa mère l’entendait d’une autre oreille. C’était avec fierté qu’elle a fait comprendre à sa fille qu’elle doit apprendre ce qui lui fait plaisir. La mère de Camelle nourrissait l’idée que sa fille serait la femme éduquée, formée et accomplie qu’elle n’a jamais été. Et quand Camelle s’inquiétait pour l’argent, sa mère lui disait avec un sourire aux lèvres : « Jezi konnen pitanm, fè l konfyans ! ».

Camelle vivait donc modestement à la capitale. Après avoir tenté sa chance sans succès, comme beaucoup de jeunes bacheliers dans le pays, aux concours d’admission de la Faculté de Médecine et de Pharmacie, elle s’était alors résignée pour apprendre la technologie médicale dans une école supérieure privée. Gabie et Anne la taquinaient souvent sur sa façon de gérer son argent. Elle dépensait peu et plaignait sans arrêt du coût de la vie à Port-au-Prince.

Si l’accès et le fonctionnement de certaines facultés de l’Université d’État d’Haïti mettent le courage de certains jeunes à de rudes épreuves. La situation n’était pas mieux dans les centres d’enseignement supérieur privés. Il existe dans ces écoles une certaine forme d’injustice ou l’on considérait les étudiants tout simplement comme une source d’argent à exploiter alors que fort souvent la formation laisse à désirer. Et Camelle impuissante comme tant d’autres, depuis trois ans, fait face quotidiennement à cette injustice. Durant ces trois années, les responsables de son école ont toujours essayé de tirer un avantage économique à chaque occasion d’une manière ou d’une autre. En plus des frais mensuels qui augmentaient à chaque session sans raisons apparentes, ils réclamaient pour un rien un billet de cinq cent ou de milles gourdes pour des sorties, des maillots et des formations bidons. Ils n’hésitaient pas non plus à provoquer l’échec des étudiants lors des examens pour leur tirer une somme quelconque pour les reprises. Les étudiants ne pouvaient nullement se rebeller contre un système aussi bien organisé. Ils étaient pris dans un piège. Ils devaient faire avec ou choisir de laisser le pays. Beaucoup sont partis, en Chili ou au Brésil en quête d’un meilleur avenir. Ils ne pouvaient que se résoudre à piétiner leurs potentiels et à regarder des vautours becquer leur peu de moyen.

- Camelle, reprends-toi, ma chérie. Il y a sûrement un moyen de tout arranger. Si tu n’avais pas participé à leur cérémonie, ils n’ont aucune raison de t’exiger de leur en verser les frais.

- C’est ce que j’avais cru comprendre aussi, répond Camelle, les yeux embués et la voix tremblotante. Je ne suis pas la seule à avoir pris cette décision. Nous sommes tous déconcertées. Mais moi, c’est mille fois pire. Je ne vous l’ai pas dit mais mon père est tombé malade il y a quelques temps. Ma mère a dû dépenser la plus grande partie de ses économies pour lui sauver la vie. Et maintenant, il ne lui reste presque rien.

Ses derniers mots furent étouffés par des sanglots. Gabie la gardait dans ses bras, silencieuse.

- E toi, comment vas-tu, Gabie? fit elle quelques minutes plus tard en se mouchant. Je me sens lamentablement égoïste. J’ai presqu’oublié que toi aussi tu as des soucis.

- Je vais bien, Came. Ne t’en fais pas pour moi.

- Tu mens drôlement bien, ma cocotte.

Gabie laissa s’échapper un long soupir sans répondre.

- Tu as pris une décision?

- Non, pas encore. Tu penses que je devrais avorter ?

- Je ne sais pas. L’avortement c’est une décision personnelle. Mais promets-moi que tu vas bien réfléchir à ce que tu vas faire. Et n’oublie pas, je suis là si tu as besoin d’en parler.

- Merci Came.

- Tu as mangé, au moins?

- Non; à force de vomir tout ce que j’avale une minute après l’avoir pris, je me contente de quelques gorgées d’eau.

- Mais tu dois prendre quelque chose. Donne-moi quelques minutes. Je vais te préparer un bon bouillon. Avec du hareng fumé.

- Bouillon ? À cette heure?

- Ma chère, il n’y a pas d’heure idéale pour un bon bouillon. Epitou, malere pa brital. Je vais y ajouter du bòy comme dans les recettes de ma mère. Bon ou kwè gen chabon nan kay sa menm ?

Les jeunes femmes éclatent de rire. Camelle finit de s’habiller, laisse la pièce avec un sac en plastique et part vers la plus proche boutique acheter ce qui manque à sa recette.

Gabie a failli tout avoué à Camelle. Elle avait envie de se soulager et de tout confesser à quelqu’un. Aucune de ses colocataires ne lui avait demandé de qui elle était enceinte. Elles doivent surement penser que Jeff est le géniteur. Pauvre Jeff! Ce n’est pas qu’elle ne fait pas confiance aux filles pour rester discrètes avec l’information. Ce qu’elle craignait, c’était leur jugement. Ses deux amies et colocataires l’avait toujours encouragée et soutenue dans sa relation avec Jeff. Elles la taquinaient souvent en jouant à qui sera la marraine de son mariage. Mais elle leur répondait toujours avec un ton moqueur que si elle devrait s’engager devant Dieu et devant les hommes, elle n’avait aucunement l’intention de le faire avant d’avoir une maitrise en poche. Ayant vécu tous les desiderata de ses parents, elle avait fini par ne plus croire au mariage. Pendant de très longues années, sa mère a vécu comme dans une prison, pas même dorée. Elle était comme zombifiée par son père alcoolique et infidèle. Et lorsqu’elle avait enfin repris ses esprits, son père était déjà parti vers une autre fille, plus jeune. Elle préfère donc de loin sa liberté.

Le temps que Camelle effectue ses achats, il pleuvait des cordes. La nature est ainsi à Port-au-Prince; capricieuse et imprévisible. Une belle journée ensoleillée peut se terminer par des terribles averses. Camelle s’était tout de suite mise à préparer son fameux brouillon dans la pièce qui leur servait de cuisine. Depuis sa couchette Gabie écoutait le bruit des ustensiles que Camelle déplaçait et captait l’odeur des épices fortes qu’elle faisait frire. Elle eut un haut-le-cœur mais son estomac étant vide, il n’y avait rien à régurgiter.

Elle se retourne sur le dos et consulte son téléphone pour la première fois de toute la journée. Des appels manqués de quelques camarades à la fac mais pas d’appel de Jeff ni du Professeur Sauveur. Elle laisse échapper un soupir et passe aux réseaux sociaux. Les notifications sur Facebook n’avaient rien d’intéressant. Le fil d’actualités non plus. Ce n’était pas différent sur Tweeter. Elle décide de jeter un coup d’œil sur WhatsApp. Parmi les différents messages reçus, elle remarque, non sans étonnement, celui du Professeur Sauveur qui date de la veille. Après une petite hésitation, elle ouvre le message et découvre un simple « M pa tande w ».

Le froid que le professeur dégageait dans ce message laissait un goût amer à Gabie. Encore une fois elle sent que sa dignité de femme a pris un coup. Comment ça « M pa tande w » après plus d’une semaine sans même un appel? Elle se rend compte qu’elle n’était qu’un jouet, un simple moment de plaisir pour cet homme. Elle doit trouver une solution pour mettre fin à cette histoire. Cela ne valait plus vraiment la peine qu’elle se laisse détruire par cette relation toxique. Si c’est pour les sommes d’argent que le professeur lui procure de temps en temps, il y a bien avoir d’autres moyens honnêtes pour survivre le temps de ses études à Port-au-Prince. Elle valait beaucoup plus. Elle méritait beaucoup plus. Même si elle est actuellement enceinte il n’est pas trop tard. Comme elle l’avait lu quelque part dans un livre « nul saint n’est sans passé, nul pécheur n’est sans avenir ». Ce sera un peu difficile mais elle doit reprendre le contrôle de sa vie.

Et la toute première décision qu’elle doit prendre c’est avouer sa grossesse au professeur. Au moins, elle verra sa réaction et son vrai visage. Sans tourner la question plus longtemps dans sa tête, elle décide de lui répondre et écrire :

« Je suis là. Je vais bien. Et ton bébé aussi».

Un bruit se fait entendre à l’entrée. Anne, trempée jusqu’aux os entre en enlevant ses chaussures :

- Vous êtes là, les filles? Oh! D’où vient cette fumée? Vous avez mis le feu à la maison?

Anne s’essuie le visage et les membres d’un vieux maillot qui se trouvait tout près de la porte d’entrée et pénètre, toute trempée, sur la pointe des pieds dans leur deux-pièces.

- Cette fichue pluie m’a surprise pendant que j’étais en route pour me trouver une camionnette. Heureusement que j’avais un sachet dans ma valise pour mettre mes affaires à l’ abri; sinon tout serait mouillé.

- Tu n’aurais pas pu t’abriter quelque part et attendre que ça se passe ? opina Camelle

- Je sais mais j’ai préféré rentrer le plus vite chez moi. Répond Anne en se séchant. Ou est Gabie ? Elle va bien ?

- Je suis là. Répond Gabie de sa couchette. Je vais bien, merci. Et toi?

- Il n’y a qu’à t’entendre pour savoir que tu mens. C’est quoi cette voix fluette?

- Elle n’a rien mangé depuis ce matin. Répond Camelle à sa place. C’est surtout pour elle que je prépare ce bouillon.

- Gabrielle va être obligée de prendre soin d’elle, maintenant.

Justement. Peut-être n’a-t-elle pas encore pris de décision mais entre temps, elle est responsable de deux êtres. Il va falloir agir en conséquence.

- Vous parlez de moi comme si je n’étais pas là. Je vous entends, vous le savez?

Même si sa situation était assez critique, Gabie se rend compte que ses deux amies arrivent toujours à lui arracher un sourire. Au moins ça lui permet de tenir la tête hors de l’eau pendant un moment. Et ces brefs moments, comme des soupapes, lui permettent de baisser la pression et reprendre de la force.

En moins d’une demi-heure, le brouillon était prêt. C’est un vrai gourou de la cuisine, Camelle. Après avoir récupéré chacune leur plat, les trois commères s’installent confortables sur leur couchettes. Dehors, il continue à pleuvoir avec force. Gabie jouait avec sa cuillère dans son bouillon en attendant qu’il se refroidisse un peu quand Anne lui demande :

- Est-ce que Jeff et toi vous vous êtes décidé? Vous allez le garder?

Gabrielle reçoit ces deux questions comme des coups de fouet. Surprise, elle avait même laissé tomber sa cuillère dans le bol. Elle lève la tête doucement, et grâce à la lueur de la petite lampe qui éclaire la pièce, elle rencontre les yeux de ses amies qui en attendaient visiblement une réponse.

- Je ne suis pas enceinte de Jeff. Répond Gabie en appuyant le dos contre le mur.

Les yeux de Camelle ont failli sortir de leurs orbites. Elles n’arrivent pas à croire ce que Gabie vient de leur avouer. Anne s’est étranglée avec sa cuillerée et fut prise d’une quinte de toux qui dura longtemps.

- Si ce n’est Jeff, alors qui? Osa demander Anne une fois qu’elle a repris son souffle.

Gabie gardait la tête baissée, avec un air triste, des larmes commençant doucement à couler sur ses joues. Elle se cache le visage de ses mains. Camelle se lève et vient s’accroupir juste devant Gabie. Elle lui caresse avec toute la tendresse d’une grande sœur la tête et l’épaule. Après quelques secondes de silence, Gabie lève la tête et lâcha

- Je suis enceinte de mon professeur.

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