Chapitre 10

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- Et comment va ta dulcinée? Demande Junior, un camarade de Jeff à la fac, après une grande gorgée de Coca-Cola

Jeff fait semblant de ne pas entendre la question de son ami, feignant d’avoir l’esprit ailleurs. Les deux étudiants étaient assis près d’une aille endommagée par le séisme du 12 janvier 2010 qui avait frappé le pays. Ils attendaient depuis plus d’une heure un professeur qui leur avait donné rendez-vous pour terminer ses quinze séances le plus vite que possible parce qu’il devait partir en voyage. Constatant que le professeur avait tout l’air de leur poser un lapin, ils avaient fini par acheter à manger et s’étaient réfugiée à cet endroit.

- Yo Jeff! Ne fais pas semblant de ne pas avoir entendu ma question.

- Elle va bien, répondit Jeff les yeux toujours dans le vide.

Il n’avait aucune nouvelle de Gabie depuis plus d’une semaine. Pas très satisfait de la réponse de son ami, Junior lui demande :

- Tu sais ce qu’on raconte à la fac ?

- Non. Qu’est-ce qu’on raconte ?

- Promets-moi de ne pas te mettre en colère.

- Pourquoi je devrais me mettre en colère?

- Ce n’est pas fameux, ce qu’on raconte.

- Vas-y, balance.

Après avoir pris le temps de vider la dernière goutte de Coca-Cola qui restait au fond de la bouteille, Junior dit :

- Ta Gabie … Elle n’est peut-être pas aussi sérieuse qu’on le pense. Il y a de fortes chances qu’elle ait fait de la place pour un autre que toi.

Jeff laisse apparaitre un petit sourire sur son visage. Ce qui étonne son ami.

- Cela ne te fait rien ?

- Non, pas vraiment.

Junior avait l’air abasourdi. La réaction de Jeff le prenait de court.

- Écoute, Junior. Tu ne m’apprends rien. Voilà bien des lustres que je suis au courant.

- Et ça ne te fait rien? Je croyais que tu l’aimais, moi.

- Je l’aimais, ouais. Je l’aimais de ma tête bien plus que de mon cœur.

- Donc c’était de la comédie?

- Tu peux le voir comme ça, si tu veux.

Junior était carrément décontenancé. Il ouvrit la bouche pour une nouvelle question mais la referma, ne sachant à quoi s’en tenir. Jeff, aussi froid, lui paraissait comme un étranger. Jeff sourit de nouveau à son ami et ajouta

- Gabie est une femme intelligente. Elle est très belle et a un corps généreux, bien en chair…

- Comme tu les aimes, interrompt son ami.

- Comme nous les aimons, précisa Jeff avant de continuer. Pour être franc, je n’ai rien vu venir. Et un soir, j’ai reçu une photo d’un numéro inconnu sur WhatsApp…

- Une photo?

- Oui.

- Et sur la photo, il y avait quoi? Il y avait qui?

Un étudiant arriva à ce moment. Il était en sueur, on aurait dit un athlète après une longue course. Il les salue. Ils sont tous dans ce cours et l’étudiant voulait savoir si le professeur n’était toujours pas là. La déception et le découragement avaient pris place sur son visage quand on lui annonça que non. Il s’éloigna, le dos vouté, les pas trainants.

Jeff profite de l’intrusion pour ordonner ses pensées. Il avait évidemment reçu la photo de Gabie et du professeur Sauveur devant un motel mais il ne savait s’il devait le confier à son ami. Pour je ne sais quelle raison, il avait toujours gardé le secret. Il n’avait envie que ses amis le prennent pour un imbécile. Se faire dérober son petite amie par un professeur n’avait rien de drôle. Surtout par ce prétentieux de professeur Sauveur. Lorsqu’il avait reçu ce message Dieu seul sait à quel point il était en colère. La photo n’avait pas besoin d’explications mais il était loin d’imaginer Gabie le tromper avec son professeur. Ce type si arrogant et qui se prend pour le centre du monde. Son orgueil d’homme en avait pris un coup. En tout cas, jusque-là Gabie jouait bien son jeu. Pourquoi ne pouvait-il pas se jouer d’elle à son tour ?

Après réflexions, il avait donc décide de faire semblant de n’avoir aucun soupçon. Mais si Gabie pense que leur relation est toujours importante, elle se trompe royalement. Dorénavant, il était un joueur. Rien d’autre. D’ailleurs, il ne voulait pas se voiler la face, il savait bien quel était le mobile d’une telle relation. Être aussi belle et avoir si peu de moyens économique dans une ville comme Port-au-Prince, ça s’agence pour une jeune fille. Elle devient rapidement la proie de nombreux hommes qui veulent en profiter. Il était au courant de la situation économique de Gabie et du jour au lendemain ou du moins juste après le début de la session en cours, elle avait fréquemment de grosses sommes d’argent. Depuis quelques mois, elle avait même un ordinateur tout neuf. Si Gabie avait comme prétexte que c’était un oncle qui lui faisait tous ces cadeaux, après avoir vu la photo Jeff savait désormais qui était à l’origine de tous ces changements. Toutefois, il avait fait un choix raisonnable d’après lui. Ou pa ka bay pòv la, ou pa dwe kraze kuiy li. Il avait donc décidé de ne rien dire. Ou du moins pour le moment. Considérant qu’il n’était au courant de rien, Gabie serait toujours disponible pour lui procurer du plaisir. En plus, il arrive même qu’elle lui donne un peu d’argent quelques fois. Donc, il compte profiter largement de cette situation.

- Jeff c’était la photo de qui ? insiste Junior

Jeff se retourne pour faire face à son ami et lui confie :

- C’était la photo de Gabie et du professeur Sauveur devant un motel.

- Quoi ? C’est quoi cette blague ?

- Ce n’est pas une blague Junior et tu ne dois me promettre de ne pas en parler à personne. Personne, tu m’entends?

- Avec Professeur Sauveur ? Ben dis donc ! Et moi qui croyais qu’elle te trompait avec un autre étudiant.

Le début de semaine n’était pas très réjouissant pour Professeur Sauveur après ce agréable week-end passé en famille au Complexe Decameron.

Lundi matin, après avoir déposé les filles à l’école. Il s’était rendu à la direction de l’école pour demander et planifier un rendez-vous avec la maitresse de ses jumelles. Étonnée, la directrice lui avait demandé s’il y avait un souci. Il a dû alors expliquer le brusque changement dans le comportement de Victoria et de ses mauvaises notes. Devant son inquiétude, la directrice lui avait fait comprendre que cela arrive des fois et qu’en deux décennies dans le domaine de l’éducation elle a rencontré des milliers de cas similaires. Victoria va se ressaisir et qu’il n’y avait pas de quoi à s’arracher les cheveux. Cette réponse n’était guère satisfaisante pour le Professeur qui s’inquiétait énormément des mauvaises notes de sa fille. Il a dû alors se montrer très persuasif pour rencontrer finalement la maitresse pendant une dizaine de minutes. Après quelques mots d’échange, la maitresse a avoué qu’effectivement, elle avait constaté que les notes de l’enfant avaient baissées et qu’à son avis Victoria avait des problèmes de concentration. Elle lui a donc conseillé de consulter un psychologue le plus vite que possible et demander avec un peu de diplomatie s’il n’y avait pas quelques problèmes à la maison. Un peu gêné, le professeur lui répondit que tout allait bien.

Au bureau, il avait passé la journée à penser aux problèmes de sa fille. Ensuite il devait réunir avec les autres du cabinet du ministre de l’éducation mais au dernier moment on lui avait annoncé que la réunion était reportée. Quand il était enfin rentré chez lui et qu’il a rapporté les propos de la maitresse à sa femme, c’était comme s’il lui annonçait que leur fille avait un cancer. Sa femme était effondrée. Après discussion, ils ont décidé de suivre le conseil de la maitresse et de consulter un psychologue avec leur fille.

Et comme si cette journée n’était pas assez chiante, il a fallu qu’il ait une coupure d’électricité pendant toute la soirée. Son gardien n’avait pas pensé à acheter du carburant pour le groupe électrogène. Quelle négligence ! Pourtant il s’était promis de continuer à coller des notes sur les copies restantes pour acheminer enfin la liste au secrétariat de la faculté et en finir avec les notes des sessions ultérieures.

Mardi, il était de très mauvaise humeur. Il a fait annuler tous ses rendez-vous et est resté chez lui. Les rares rencontres qu’il était obligé de tenir, il les effectuait en ligne, via Skype. Avec tous ces ennuis depuis la veille, il n’avait pas prêté la moindre attention aux différents messages qu’il avait reçus.

Tard dans l’après-midi, une fois le diner terminé, il s’est installé confortablement sur son bureau. Il tire son portable de sa poche et consulte ses messages WhatsApp. En les triant, il tombe sur celui de Gabie. Il se redresse avant d’ouvrir la page de conversation. Le message est court. Trois petites phrases simples.

« Je suis là. Je vais bien. Et ton bébé aussi. »

Le Professeur Sauveur lit et relit les messages des milliers de fois, n’arrivant pas à en croire ses yeux. Il dépose tout doucement son portable sur le bureau et s’affale sur sa chaise. Décidément un problème n’arrive jamais seul.

Il s’était débrouillé pour calmer les soupçons de sa femme pour continuer paisiblement profiter des toutes les délices avec Gabie mais il n’avait pas du tout pensé à une grossesse. Oh, mais pas du tout!

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