Chapitre 11

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Deux jours après l’aveu de Gabie, ses amies lui lançaient toujours des regards incrédules. C’était sans le vouloir. Elles ne pouvaient s’empêcher de détonner même si au fond, elles savent qu’elles n’ont pas à s’immiscer dans les décisions de vie de Gabie. Elles n’avaient posé aucune question, n’avaient porté aucun commentaire cherchant à savoir ni comment ni pourquoi. Elles se sont sûrement dit que Gabie avait assez de problème pour y ajouter le poids de leurs jugements.

Elles étaient parfaitement au courant de la situation précaire de la vie économique de leur jeune amie. Même si elles remuaient ciel et terre pour rapiécer les bouts, elles savent que leurs conditions auraient pu leur mettre dans la position qu’est Gabie. Elles avaient remarqué le changement des habitudes de Gabie depuis des lustres. Elle rentrait tard, elle s’achetait des habits expansives, elle a toujours des crédits sur son téléphone et disposait de belles sommes d’argent.

Un soir, ce fut Anne qui brisa le silence.

- Est-ce que, au moins, il sait que tu attends son bébé?

- Je le lui ai dit. Je lui ai laissé un message sur WhatsApp il y a quelques temps. Il ne m’a pas encore répondue.

- Est-ce que toi, tu as pensé à ce que tu voulais?

- Je suis un peu perdue. Je ne sais pas. Pas encore.

- Il va falloir te décider Gabie. Et le plus tôt serait le mieux.

- Arrête de lui mettre la pression, Anne. Intervient Camelle. Gabie, l’important c’est que nous serons là pour toi. Quoi que tu puisses décider.

- Honnêtement, j’aurais bien aimé le garder. Mais je n’ai pas les moyens de m’en occuper. Et ce ne serait pas juste envers Jeff. Et il y a ma mère aussi…

- Je comprends, fit Anne. Ce n’est pas un choix facile. Tu aurais dû y penser un peu plus tôt.

Carmelle lance un regard noir à Anne pour lui signifier de se taire. Cette dernière hausse les épaules avec cet air innocent sur le visage. Son franc-parler est sans borne.

- Je crois bien que je vais devoir avorter. Murmura Gabie.

Les filles ne réagissent pas. Le silence était pesant.

- Il est encore temps de le faire mais j’angoisse. Je ne sais rien à ces choses. Et je n’ai même pas les moyens de m’offrir les services d’un bon obstétricien.

- Il y a d’autres voies. Les remèdes-feuilles, par exemple.

- Tu es folle? S’écria Carmelle. Tu voudrais la tuer ou quoi? Il y a trop de risques avec ce genre de pratique. Ce n’est pas une option.

- Je connais des gens qui s’en sont sorties. Il y en a plein, à la fac, qui utilise cette méthode. Je peux leur demander de me guider.

- Je n’ai pas confiance en ces genres de procédé. répliqua Carmelle, comme s’il s’agissait de son propre avortement. Le mieux c’est de voir un professionnel.

- Et tu vas lui avancer l’argent? demanda Anne

- Euh… Je… Gabie, j’aurais bien aimé mais pour le moment je suis à sec. fit savoir Carmelle

- Alors on fait avec les moyens du bord. Je vais prendre contact avec l’une de mes camarades.

Gabie a écouté sans mot dire les dernières paroles de l’échange entre ses amies. Avorter ? C’était le contraire de tout ce que sa mère lui avait appris. C’était le contraire de sa foi chrétienne même si elle ne va plus à l’église. C’était le contraire de tous ces principes. Elle était loin d’être une sainte mais elle ne pensait jamais arrive jusque-là. Mais était-elle vraiment prête pour être maman ? Pourrait-elle élever seule cet enfant si jamais elle décide de le garder et que le professeur ne voudrait pas embrasser ses responsabilités ? Comment pourrait-elle accorder du temps, de l’amour, de la tendresse et du bien-être à ce petit être qui commence à prendre vie dans son corps ? Sera-t-elle assez forte pour faire face aux jugements des autres, à la pression de sa famille et surtout à sa mère ? Va-t-elle offrir sans le vouloir la même enfance qu’elle avait eu c’est à dire sans figure paternelle ? Dans sa tête se livrait une véritable guerre entre ses valeurs et sa raison. Jamais son avenir n’était aussi incertain.

Pendant ce temps, Anne avait passé un coup de fil et avait reçu toutes les instructions nécessaires de la part de sa camarade. Elle avait tout noté et lisait à haute voix à l’intention de ses amies.

- D’abord, elle dit qu’il y a plusieurs procédés. Si l’un ne fonctionne pas, tu trouveras la solution avec un autre c’est certain. D’abord, tu dois acheter au marché ces différentes feuilles. Et les bouillir dans une grande casserole pendant un bon bout de temps. Ensuite boire le mélange. Sinon, il y a toute une liste de médicaments qui, pris au même moment, produiront l’effet désiré.

- Je n’ai pas confiance, les filles, se plaint Carmelle. Si vous voulez vous lancez, je serai là; mais il faut que vous sachiez ma position. Je ne suis pas pour cette affaire de feuilles ni de médication sans prescription formelle.

Gabie écoute toujours ses amies sans dire un mot quand il reçoit un message WhatsApp. Elle déverrouille son téléphone et constate que c’est du professeur Sauveur.

« On peut se voir ? Je t’attendrai tout près de la place Jérémie à 20 heures.»

- C’est le professeur. Il veut me voir. Dit Gabie a ses amies.

Il était presque huit heures du soir et il n’y a pas d’électricité dans le quartier. Mais c’était la pleine lune donc il faisait clair.

- Tu veux qu’on t’accompagne ? lui propose Anne.

- Non, je crois que ça ira. Je vais juste prendre un taxi-moto.

Gabie passe dans la pièce qui leur sert de chambre, fouille rapidement dans sa mallette et enfile une paire de jeans et un débardeur. Pendant qu’elle se prépare, elle entend encore ses amies discuter des différents remèdes pour son avortement. Elle prend le temps de brosser ses cheveux et s’apprête à sortir. Avant de partir, elle rassure Camelle qui s’inquiétait.

- Je n’en ai que pour une trentaine de minutes. Le temps d’écouter ce qu’il a à me dire.

Gabie sort et se faufile dans le long couloir qui mène à la rue ou elle fait signe à un chauffeur de taxi moto. Le temps pour que tous les deux se mettent deux d’accord sur le prix du trajet, Gabie s’embarque derrière le chauffeur. Le trajet n’a duré que cinq minutes et la jeune fille se retrouve à côté de la place Jérémie. Elle aperçoit tout près la belle BMW du professeur qui l’attendait. Elle paie le taximan et se dirige vers la voiture. Elle se faufile vers le côté passager et tape sur la vitre de la portière. Professeur Sauveur lui ouvre et la jeune fille le salue, visiblement embarrassée.

- Tu vas bien ? demande le Professeur pour briser la glace.

Gabie ne répond pas. Elle se calle au fond de son siège, croise ses bras et regarde droit devant elle.

- Tu as fait un test de grossesse ? demande le professeur dans deuxième tentative de briser la glace.

- Je n’ai pas besoin d’un test pour savoir que je suis enceinte. Après tout, tu n’as jamais voulu mettre de préservatif.

Le professeur, mal à l’aise, toussota et passa ses mains sur son visage.

- Ben je ne suis certainement pas le seul homme avec qui tu couches sans te protéger.

Gabie lâcha un rire sec, sans joie, à la limite de la raillerie.

- Je m’attendais bien à ce que tu me jettes cette réplique au visage.

- N’est-ce pas la vérité? Tu as bien un copain, non? Comment il s’appelle déjà? demande le professeur en essayant de se souvenir du nom de l’étudiant. Ah ! Jeff. C’est fréquent chez vous autres les jeunes d’avoir des rapports sans préservatif.

- Et toi, tu n’avais pas peur d’attraper une MST ou un truc de ce genre en voulant goûter à ces plaisirs de jeunesse ? Tu n’avais jamais pensé à ça quand tu mentais à ta femme pour te retrouver avec moi dans cette chambre d’hôtel ?

- Écoute-moi. Je ne suis pas venu ici pour disputer. Je suis prêt à t’aider pour l’avortement même si je ne crois pas que j’ai quelque chose à voir avec ta grossesse. En plus de ton Jeff, je ne suis certainement pas le seul avec qui tu couches. Pourquoi c’est moi qui devrait être le géniteur de ton…

En disant cela, le professeur pointe du doigt le ventre de l’étudiante avec un certain dégout. Gabie, gardait toujours le regard droit devant elle, fixant un point invisible serrant les dents pour garder son calme. Elle avait accepté de rencontrer le professeur mais elle ne s’attendait nullement à ce qu’il l’accuse d’être une pute, rien que pour esquiver sa part de responsabilité. Il n’avait même pas pris le temps de lui demander ce qu’elle comptait faire, si elle voulait garder le bébé ou non. Gabie écoute le professeur lui citer toutes les théories possibles pour démontrer que X ou Y pourrait être le père de son enfant. Des larmes glissent doucement sur les joues. Elle était incapable de les essuyer. Elle était là, assise à côté du professeur, à encaisser toutes les accusations de celui-ci.

- Je ne suis pas méchant ni un homme mauvais mais je ne peux pas courir le risque de recevoir un enfant qui n’est peut-être pas le mien. Tu es jeune. Si tu veux je peux t’aider. Je peux te donner l’argent pour avorter. Tu as toute la vie devant toi pour avoir un autre enfant.

Que pouvait-elle bien lui dire? Que pouvait-elle bien lui répondre ? Dès le départ, il était en position de force et ce n’est pas comme si elle n’était pas consentante à chacun de leurs parties de jambes en l’air. C’est triste mais elle ne pouvait pas le blâmer au fond. Donc elle reçoit sans dire un mot tout ce que le professeur lui dit. A l’intérieur d’elle-même, elle s’effondre petit à petit, à chaque mot prononcé par le professeur. Elle implose en silence. Elle était juste à quelques centimètres de cet homme et il était incapable de voir sa détresse. Au contraire, avec ses mots il l’enfonce d’avantage. Son professeur, à la fois son ancien amant et actuellement son juge et bourreau ne ménageant plus ses mots. Dans un lâche souci de se protéger et de fuir les conséquences de ses actes, le professeur fait tout un sermon sur les mœurs supposées de la jeune femme.

Ne pouvant plus supporter, Gabie ouvre la porte de la voiture et descend tout doucement. Elle n’a pas prêté attention à l’enveloppe blanche que le professeur lui tend. Toute tentative de se justifier ou de s’expliquer pour faire entendre raison à cet homme serait de l’inanité tout simplement. Elle s’éloigne de la voiture et marche doucement dans la rue Cadet-Jérémie, croisant les bras sur son torse comme pour garder et protéger le peu de dignité qui lui restait. Elle était incapable de prononcer le moindre mot ou faire un petit geste pour appeler un taxi moto. Elle se dirige comme un automate en silence, les yeux voilés de larmes et le cœur meurtri.

Arrivée devant la porte d’entrée, elle essuie ses joues et prend une profonde respiration avant d’ouvrir. Elle passe devant ses amies, qui vraisemblablement l’attendaient. Elle file tout droit vers sa couchette et s’étend de tout son long. Ce n’est que la qu’elle vide toutes les larmes de son corps en enfonçant le plus que possible pour cacher ses cris. Camelle et Anne vinrent la rejoindre et tentent de la soutenir comme elles peuvent. Mais Gabie seule, savait combien elle était blessée et humiliée. Elle continue à verser toutes les larmes de son corps pendant un long moment jusqu’à ce le sommeil l’emporte.

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